“Le para-dressage évolue clairement dans la bonne direction”, Anne Prain

Début septembre à Versailles, Anne Prain a jugé les épreuves de dressage des Jeux paralympiques pour la cinquième édition consécutive. Nommée présidente du jury, la Versaillaise, jeune retraitée de la Banque de France, relate cette expérience exceptionnelle, livre sa vision de la discipline et envisage son développement.



La passion transpire dans tous les propos et analyses d’Anne Prain.

La passion transpire dans tous les propos et analyses d’Anne Prain.

© Collection privée

Quel bilan tirez-vous des Jeux paralympiques de Paris 2024?

Je retiens prioritairement la belle équitation, avec beaucoup d’harmonie, dont le stade équestre éphémère de Versailles a été le théâtre. Nous avons vraiment récompensé des chevaux bien présentés, sans exubérance, suivant l’échelle d’entraînement, avec des allures très correctes, de la souplesse et de la décontraction. Les meilleurs ont aussi montré une bonne connexion, étant bien posés sur la main, avec la nuque en point le plus haut de l’encolure. On n’a pas vu de chevaux enfermés: leurs chanfreins étaient à la verticale, ou légèrement devant. Il y avait aussi de l’impulsion, ou de l’activité au pas, contrôlée par les cavaliers. Je n’ai pas vu de chevaux mis sous pression par les cavaliers. On a pu voir des incurvations symétriques des deux côtés, un bon équilibre et un vrai rassembler en Grades IV et V. Finalement, les meilleurs étaient vraiment dans la justesse et ont présenté de très belles reprises qui nous ont permis d’attribuer de belles notes, dépassant allègrement les 80%!

C’était très intéressant et attendu, parce que le niveau ne cesse de progresser. Les entraîneurs et cavaliers ont accompli un travail énorme dans le sens où cette qualité de prestation nécessite un investissement phénoménal. Le para-dressage évolue clairement dans la bonne direction. Les cavaliers ne peuvent pas agir en force, contrairement à ceux de dressage pur, donc ils trouvent d’autres moyens d’obtenir ce qu’ils souhaitent présenter. À Versailles, certains ont montré des chevaux un peu trop lents ou trop ouverts, ce qui explique parfois des notes un peu plus basses. Nous avons aussi vu quelques chevaux – ou cavaliers peut-être – qui ont témoigné d’un stress inhabituel. Je pense notamment à la Française Lisa Cez (Grade V), qui monte des reprises très réussies d’habitude. Là, son cheval (Stallone de Hus, ndlr) s’est montré très chaud et difficile à gérer. 

Dans quelle mesure pensez-vous que les meilleurs para-dresseurs puissent encore évoluer? Voyez-vous arriver de nouvelles nations sur le circuit international?

On peut toujours progresser: toute reprise comporte de petites fautes techniques. Par exemple, certains chevaux peuvent encore éloigner le bout de leur nez, gagner en rondeur… De même, des chevaux comme celui d’Alexia Pittier (Sultan 768, ndlr), qui dispose de très bonnes allures, peuvent largement viser des moyennes synonymes de médailles. Pour cela, il faut bien sûr progresser techniquement pour maîtriser toutes les composantes d’un mouvement. Un ou deux mouvements moins bien préparés minorent une note moyenne, alors qu’il faut des années de préparation pour se présenter cinq à six minutes comme à Versailles.

Ces derniers temps, on voit émerger très peu de nouvelles nations, parce que beaucoup sont déjà représentées. Cette année, la Grèce était là (ce qui n’était plus arrivé depuis les Jeux d’Athènes, en 2004, ndlr). Par le passé, la Croatie présentait une équipe, ce qui n’a pas été le cas cette année. Nous voyons régulièrement l’Afrique du Sud, le Japon, l’Australie, et presque tous les pays européens. De plus, on assiste à un renouvellement régulier des cavaliers comme des chevaux.



“Vivre au village nous a vraiment baignés dans l’ambiance paralympique”

Personnellement, quel grand souvenir garderez-vous, s’il fallait n’en retenir qu’un? 

En tant que présidente du jury, la journée dédiée à l’épreuve par équipes, le vendredi 6 septembre, a été un moment-clé. Il faisait un soleil radieux, j’avais la carrière en premier plan, puis les bassins, les jardins et le château en toile de fond, avec les allées d’arbres de chaque côté. À chaque fois que je me levais à l’accueil d’un cheval, j’étais frappée par ce décor extraordinaire. Les couples se succédaient à raison d’un toutes les neuf minutes, ce qui est assez large. Une fois ma note d’ensemble attribuée, j’avais donc vraiment l’occasion de profiter. Ce vendredi restera mon meilleur souvenir de cette édition, et je suis heureuse de l’avoir savouré.

J’ai aussi eu l’occasion de passer aux Invalides pour le tir à l’arc, au Grand Palais pour l’escrime, etc. Indéniablement, tous les sites étaient exceptionnels, et Versailles a participé de cette magnificence. Tout cela a vraiment été digne de ce que visait Paris 2024: proposer des sites remarquables, dont tout le monde a profité.

Comment s’est passée la collaboration avec vos collègues? 

Très bien. En amont, nous avions créé une conversation de groupe sur une messagerie qui a bien fonctionné. D’une manière générale, j’ai veillé à créer une bonne dynamique et des liens entre nous. Je me suis attachée à répondre à toutes les questions et j’ai tenu mes collègues au courant de tout au fur et à mesure: réunions, informations de la FEI, etc. Je crois que cela a sécurisé tout le monde. Ce fut d’autant plus facile que nous nous connaissons depuis longtemps. De plus, nous avons bénéficié d’une collaboration exemplaire de nos secrétaires, tous juges passionnés, ce qui nous a franchement aidé à juger au mieux, dans la décontraction et la concentration. Certains collègues ont ressenti un peu de fatigue. Il faut dire que nous étions logés au village olympique et qu’il nous a fallu jusqu’à deux heures pour nous rendre sur le terrain de concours avec des bus, au nombre de trois le matin, qui ne correspondaient pas forcément avec nos horaires d’épreuves, plus de la marche à pied… Les juges qui n’avaient pas l’habitude de ce genre d’exercice ont un peu souffert, à l’image de notre consœur américaine (Kristi Wysocki, ndlr) qui a déclenché une belle sciatique et qu’il m’a fallu accompagner chez le médecin. En revanche, cela crée des liens et nous étions en totale sympathie, nous soutenant les uns les autres . De plus, nous logions dans des appartements de quatre personnes, donc nous avons collaboré à temps plein! Vivre au village, au milieu de tous les athlètes et participants qui se promenaient le soir, nous a vraiment baignés dans l’ambiance paralympique. Les rencontres qu’on peut y faire en font une expérience unique. J’ai donc tâché de maintenir notre esprit d’équipe tout en étant capable de réagir rapidement.

Enfin, pour la première fois, nous avions des superviseurs, des collègues avec lesquels il fallait aussi établir des liens. Tous les soirs, grâce aux services de Black Horse One, nous avons pu analyser les épreuves ensemble, ce qui a été très constructif, nous permettant de progresser dans un bon état d’esprit. En tout cas, la charge était vaste pour la présidente que j’étais!



“Rihards Snikus a présenté la reprise de sa vie, et j’ai beaucoup aimé celles de Vladimir Vinchon”

Sportivement, quelles performances vont ont-elles particulièrement surprise?

Nous avons réellement aimé celle de King of Dance avec le Letton Rihards Snikus, qui nous a pour ainsi dire bluffés. À Tokyo, il avait déjà été médaillé d’argent. L’an passé, aux Européens de Riesenbeck, après un bon début de compétition, son hongre n’avait pas été accepté à la seconde inspection vétérinaire sur la Libre, ce qui m’a inquiétée. À Versailles, il a présenté la reprise de sa vie, avec beaucoup d’énergie et de décontraction en même temps. Enfin, j’ai beaucoup aimé les reprises de Vladimir Vinchon, particulièrement lors de l’épreuve par équipes, où son cheval (Pégase Mayenne, ndlr) semblait voler. C’était certainement la meilleure reprise de sa carrière aussi. J’ai donc pris beaucoup de plaisir à faire monter les points, car je suis fidèle à mon principe de juger ce que je vois quand j’assiste à un travail harmonieux. À l’inverse, lorsqu’une prestation ne rentre pas dans les exigences de l’échelle d’entraînement, j’applique le règlement et mes moyennes baissent.

Les États-Unis ont dominé ces Jeux, à quatre ans de leurs propres Jeux, prévus à Los Angles. Les autres nations pourront-elles les concurrencer durant cette olympiade?

C’est compliqué à prévoir, surtout dans notre contexte. Il n’y a que trois couples par équipe, et une nation peut très vitre redescendre en fonction de la disponibilité de tel ou tel cheval. Certes, les Allemands sont toujours compétitifs (ainsi que les Néerlandais et Britanniques, ndlr). Avec son très bel élevage, le Danemark peut présenter des couples splendides et demeure imprévisible. Quant à l’Italie et la Belgique, elles sont performantes, pas invincibles.

Aujourd’hui, je crois beaucoup en l’équipe de France: Vladimir peut encore progresser, tout comme Alexia, jusqu’à être médaillable. Chiara Zenati (qui a concouru avec Swing Royal*IFCE) a acquis une expérience indéniable. Quant à Lisa, c’est aussi une excellente cavalière, avec un mental fantastique. Nous avons donc vraiment affaire à des cavaliers compétitifs qui doivent progresser en régularité. Selon moi, les Bleus peuvent concurrencer les Américains, Allemands, Danois et Britanniques, qui plus est depuis qu’ils ont perdu Michel Assouline (le génial technicien français, qui œuvre désormais au service des États-Unis, ndlr), grâce auquel ils avaient énormément progressé. 

Des évolutions techniques sont-elles à prévoir d’ici 2028?

Je n’appartiens à aucun comité décisionnaire, mais je crois qu’il y a une volonté de retravailler les reprises. Les textes actuels datent de 2017, et il avait été question d’en changer après les Jeux de Paris. Une révision des classifications pourrait aussi être mise à l’ordre du jour, mais je ne connais absolument pas le degré d’avancement de ces projets. Il faudra donc attendre un peu pour y voir plus clair.



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