Le pas de deux des selliers et de leurs cavaliers partenaires
“Quel est votre sponsor?” Soutenir un cavalier, autrement dit cofinancer sa carrière sportive en échange de la promotion de sa marque, est une pratique très courante à haut niveau en équitation, comme dans tous les autres sports. Professionnel jeune ou chevronné, amateur de bon niveau, personnalité appréciée du public: chaque partenaire est ciblé avec soin par les équipementiers. Fournissant aux cavaliers un financement direct, des selles ou des remises à l’achat, les selliers multiplient les contrats de partenariat. Panorama d’un accompagnement bénéfique au commerce et au sport.
Dans le secteur équestre, le terme sponsoring semble étonnement perçu de façon ambivalente dans l’inconscient collectif: soit il est positif, signifiant que le cavalier soutenu a atteint un niveau et une aura remarquables; soit il est négatif, car associé à une sur-financiarisation de la pratique de l’équitation à haut niveau, dont le coût est substantiel. Sponsorise-t-on un athlète uniquement pour la beauté du geste? Non, ce parrainage doit être une opération promotionnelle bénéfique aux deux parties. Ce soutien, qu’il soit humain, matériel ou financier, rentre dans une même catégorie. Selon un site gouvernemental, le sponsoring est défini comme un “soutien matériel apporté à une manifestation, une personne, un produit ou une organisation en vue d’en retirer un bénéfice direct. Les opérations de parrainage sont destinées à promouvoir l’image du parrain et comportent l’indication de son nom ou de sa marque.” De fait, les équipementiers équestres sont unanimes: le respect du bien-être animal est non négociable et les marques se réservent le droit de rompre le partenariat avec un athlète incriminé pour mauvais traitements et / ou dopage. Même si ces valeurs étaient déjà défendues de longue date, l’ajout de cette clause aux contrats de sponsoring est récent pour certains acteurs.
Les dépenses de parrainage et les conditions de déductions du résultat de l’entreprise relèvent du Code général des impôts. “Dans le cadre d’un sponsoring, le cavalier n’est pas salarié de l’entreprise, mais il dispose néanmoins d’un contrat”, informe un cabinet comptable spécialisé. “Un tel contrat peut être détaillé au maximum: quels sont la période convenue et son montant associé? Quels sont les déplacements prévus – passage à l’atelier, présence à un événement de la marque, etc. –? Quelle est l’exclusivité de matériel requise, etc.? Souvent protéiforme, le partenariat est ajusté au cas par cas. Il se distingue bien sûr du mécénat, à travers lequel une entreprise mécène apporte un soutien financier, humain ou matériel à un organisme d’intérêt général sans attendre de contrepartie équivalente.”
Les selliers présents dans le sponsoring événementiel
Dans le secteur de l’équitation, on est loin du flockage multiple sur l’équipement du cheval ou du cavalier, à l’image des maillots de football ou des tenues de pilotes de Formule 1, par exemple, même si celles des cavaliers participant à la Global Champions League s’en rapprochent un peu. Pour les selliers et équipementiers, il est d’usage de parrainer un cavalier grâce à du matériel, mais il est également possible de parrainer un événement, à l’instar de Prestige Italia, même si cette pratique est moins courante. Si elle rayonne par ses nombreux utilisateurs et cavaliers ambassadeurs, la marque italienne mise en effet aussi sur le sponsoring événementiel, autrement dit l’association avec une épreuve sportive au programme de championnats d’Europe ou de CSI, comme le font beaucoup Hermès Sellier et les marques du groupe LIM (CWD, Devoucoux, Butet concernant les selles) en France et ailleurs. Dans certains cas, une selle de la marque est offerte au vainqueur, comme ce fut le cas cette année pour la compétition Golden Saddle, réservée aux cavaliers de moins de vingt et un ans lors du salon Partner Pferd, à Leipzig, en Allemagne. “Le sponsoring événementiel est un élément clé de notre stratégie marketing; il est essentiel pour construire la notoriété et le positionnement de la marque”, introduit Andrea Rasia, directeur général de Prestige Italia. “Notre ligne de produits, axée sur le sport haut de gamme pour cavaliers professionnels et amateurs, se conjugue naturellement avec les prestigieuses compétitions internationales, ainsi que celles dédiées aux jeunes talents. Ces événements offrent une plateforme mettant en valeur la qualité et l’innovation de nos produits, tout en favorisant des liens authentiques avec la communauté équestre. Ils offrent également des opportunités de rencontres avec nos cavaliers partenaires. En nous associant à des événements aussi prestigieux, nous créons des liens durables avec les cavaliers et les spectateurs, tout simplement, puisque nous partageons tous la même passion pour l’équitation.”
Qui mieux qu’un cavalier pour éprouver les qualités techniques d’une selle?
“Nous avons plusieurs types de contrats de partenariat: un pour les cavaliers de niveau 5*, un pour ceux de niveaux intermédiaires (de 1* à 4*) et un autre pour les influenceurs de niveau Amateur”, confie Barbara Sayous, directrice de Forestier, en Nouvelle-Aquitaine. “Le marketing d’influence s’est bien développé ces temps-ci et nous en sommes satisfaits, parce que le résultat est professionnel. Les influenceurs sont choisis pour leur implication, leur qualité de communication et la taille de leur communauté. Les cavaliers professionnels ou semi-professionnels sont souvent des étoiles montantes que nous souhaitons accompagner sportivement; nous faisons également appel à eux pour tester nos produits. Enfin, les cavaliers de niveau 5* ont un accompagnement spécifique: suivi quotidien du fitting de leurs chevaux, suivi des performances, contacts réguliers avec l’équipe qui les entoure, etc.”
La figure du compétiteur professionnel de haut niveau, qui monnaie légitimement son image, est-elle incontournable en la matière? Non, à en croire Paul Couineau, responsable commercial de la marque gasconne Maurel Sellier: “Depuis quinze ans, nous avons noué des partenariats avec des professionnels de tout bord (gérants d’écurie, moniteurs et autres) et avons d’ailleurs accentué ce procédé marketing depuis cinq ans. Nous avons une vingtaine de partenaires à ce jour; tous sont des clients sélectionnés pour leur personnalité et leurs capacités à communiquer sur notre marque. Nous établissons ensemble un contrat avec, à la clé, des avantages matériels: remise sur les prochaines selles ou le renouvellement. C’est donnant / donnant. Nous sommes souvent capables de chiffrer quel client vient de la part de qui. Dès lors, nous préférons établir des relations de long terme. Pour notre marque, relativement confidentielle (quarante ans d’existence tout de même, ndlr), c’est un parfait équilibre”, complète-t-il.
La marque Platinium Sellier, créée par Swann Biclet, en Essonne, a adopté le même raisonnement. “Nous avons choisi des ambassadeurs qui représentent les clients de notre marque, c’est-à-dire des Amateurs ou des semi-professionnels. L’avantage est net à nos yeux, car cela crée une grande proximité avec nos clients”, rapporte le designer et créateur de Platinium Sellier. “Nous avons mis en place ce système depuis deux ans. Les ambassadeurs concourent au même niveau que nos clients: les selles sont régulièrement valorisées et, en sus, il est plus aisé pour un parent ou un jeune cavalier de s’adresser à quelqu’un de son âge ou, du moins, accessible pendant un concours ou au quotidien via les réseaux sociaux. Nous sélectionnons souvent des cavaliers qui ont un objectif sportif tel que des championnats de France ou les finales Jeunes Chevaux, et de belles valeurs associées. C’est un plan marketing qui illustre à merveille notre credo: proposer des selles accessibles à tous.”
Mieux comprendre l’image de marque et sa valorisation
“Les retombées d’un sponsoring sont difficiles à évaluer avec précision, mais c’est un vecteur marketing incontournable”, analyse Marie Picquet, responsable marketing et communication de la marque Antarès Sellier, en Nouvelle-Aquitaine. “Nous tenons à toujours valoriser un couple et pas seulement le cavalier – la selle, fabriquée aux mesures du cheval et de son cavalier et au service de leur union et de leurs performances, en est la parfaite illustration.” Associée à des compétiteurs de multiples disciplines, Antarès est présente à haut niveau, mais également dans d’autres catégories non sportives (associations, équitation éthologique, etc.). “Le sponsoring nous permet d’être visibles d’un maximum de personnes, de valoriser et de crédibiliser nos produits jusqu’à haut niveau et de porter nos valeurs. C’est ainsi que nous pouvons entretenir l’image de la marque (considérée comme un actif immatériel, la bonne notoriété d’une marque appuie sa légitimité tant du point de vue du consommateur que de celui des acteurs financiers, ndlr). Ainsi, par exemple, nous nous attendons à un impact sur nos ventes grâce à la prestation très médiatisée de l’une de nos partenaires lors des Jeux olympiques de Paris 2024 (Pauline Basquin, la cavalière de Sertorius de Rima*IFCE, porte un casque Antarès, ndlr).”
À l’instar du respect du bien-être animal, tous les équipementiers interrogés assurent nouer des relations avec des partenaires partageant leur philosophie. “Les valeurs humaines et sportives du cavalier sont primordiales”, glisse Barbara Sayous, de la Maison Forestier. “Ainsi, nous sommes fiers de pouvoir être représentés par des cavaliers unanimement appréciés”, dont Nicolas Touzaint, Christopher Six, Julien Anquetin et Marie Demonte. “Notre approche marketing repose sur des partenariats authentiques et durables, que nous aimons qualifier d’amicaux et familiaux”, appuie Guillaume Lancelot, responsable marketing de l’entreprise ligérienne Childéric Sellier. “Notre équipe de partenaires est principalement constituée de jeunes cavaliers, mais aussi de collaborations de plus longue date avec des cavaliers olympiques, à l’instar de Karim Laghouag et Alexandre Ayache. Nous établissons des relations de confiance sur le terrain. C’est à travers cette interaction que nous décidons si un cavalier peut devenir partenaire: partage-t-il nos valeurs sportives? A-t-il de bons résultats? Met-il spontanément en avant notre marque sur les réseaux et dans la presse? Pour nous, le partenariat est avant tout un sentiment d’appartenance mutuelle. Nous privilégions le bien-être du cheval et l’excellence sportive, plutôt que les enjeux financiers. Nous ne rémunérons pas les cavaliers en fonction des selles qu’ils vendent – pratique courante dans le milieu du sponsoring – et nous ne mesurons pas les retombées commerciales liées à nos partenariats. En revanche, nos cavaliers répondent présent lorsque nous avons besoin d’eux pour des tournages ou des interviews spécifiques.”
“Notre leitmotiv est de coconcevoir les produits de demain avec nos partenaires. Ces athlètes, que nous suivons de longue date pour la plupart, nous boostent dans nos propres performances techniques grâce à leurs exigences”, ponctue Céline Perrot, directrice marketing du groupe français LIM, leader mondial du secteur sellerie. “La sincère relation entretenue avec nos cavaliers nous est chère. Nous souhaitons comprendre comment leur être utiles et les accompagner dans leur carrière. La médiatisation du couple via notre communication peut lui permettre de tisser d’autres sponsorings avec d’autres acteurs de notre filière, ce qui est toujours une grande joie! Le partenariat a donc plusieurs avantages à nos yeux: permettre de valoriser un cavalier ou un couple, développer notre offre de produits et, plus simplement, sublimer notre sport en avançant toujours plus vers un matériel parfaitement adapté aux besoins de chacun, équin comme humain.”
La dotation matérielle, une pratique priorisée
Un équitant peut être sponsorisé à travers une dotation matérielle – don ou prêt de selles – et / ou une dotation financière (telle somme pour tels services et engagements). Naturellement, vu les produits qu’ils commercialisent, les selliers privilégient majoritairement la dotation matérielle. La dotation financière, moins répandue, s’adresse globalement aux cavaliers de très haut niveau. “En règle générale, nous n’offrons pas de selles à nos partenaires: soit nous leur prêtons une selle que nous récupérons ensuite lors du renouvellement annuel, soit nous leur accordons une remise à l’achat. Ces derniers s’engagent à représenter la marque lors d’événements et à promouvoir nos selles”, explicite Lucas Buisson, commercial chez Flex-on Equestrian Equipment, en Nouvelle-Aquitaine. “Nous avons plusieurs contrats de sponsoring, adaptés à la visibilité et au poids marketing de chacun: si c’est un cavalier présent à tous les concours de haut niveau, si c’est un cavalier professionnel qui gère une écurie de propriétaires, etc. Actuellement, nous avons une trentaine de partenaires commerciaux.”
De même, Antarès favorise la dotation en produits plutôt qu’une aide financière directe. “Durant un an, nous avançons une ou plusieurs selles en fonction du piquet de chevaux de notre partenaire et de son agenda sportif. Cela a un coût, bien sûr, que nous cherchons à minimiser en orientant ensuite les selles récupérées vers le marché de seconde main. En contrepartie, le partenaire s’engage à monter avec notre selle à la maison et en concours, par exemple. Néanmoins, cette obligation n’est jamais perçue comme telle, puisque nous aimons travailler avec des cavaliers qui ont choisi nos produits pour ce qu’ils leur apportent dans leur discipline (confort, proximité, mobilité) et nous veillons à un suivi régulier pour coller au plus près de leurs besoins”, reprend Marie Picquet.
Les attentes vis-à-vis du cavalier sponsorisé
La plupart des selliers établissent des contrats annuels, renouvelables, bien sûr, avec leurs cavaliers partenaires, à l’exception de Forestier, qui table davantage sur une durée de trois ans, renouvelable. “Les contrats de sponsoring de Flex-on Equestrian Equipment sont relativement simples”, poursuit Lucas Buisson. “L’important est d’expliquer clairement ses attentes vis-à-vis du partenaire et de ne rien cacher. S’agissant d’une relation de confiance, il est important que le cavalier ambassadeur ne se sente pas empêché.” Si ce n’est pas systématique, la contrepartie des contrats de partenariat peut néanmoins s’appuyer sur des échanges commerciaux établis. “Par exemple, nous tenons à jour un tableau de ventes, et nous pouvons dès lors connaître l’activité marketing d’un cavalier. Le plus souvent, c’est le partenaire qui nous indique qu’il a un essai de selle à effectuer pour l’un de ses clients.”
“Le maître-mot de nos contrats est liberté: le cavalier échange sur les produits et la marque selon les occasions (presse, rencontres avec le public en concours, etc.), sans pression”, commente à son tour Nolwenn Meyniel, chargée de communication du sellier francilien GBS. “Le cavalier doit se sentir libre d’avoir choisi GBS et doit être intimement satisfait du matériel fourni. Dès lors, l’échange est souvent plus fluide, et la communication spontanée plus évidente, avec les retours commerciaux associés. Ce partenariat souple illustre nos valeurs: authenticité et sportivité. Notre plan marketing via le sponsoring est relativement discret à ce jour. Nous allons plutôt communiquer sur le tannage du cuir, les qualités techniques de nos selles, etc. Nous avons néanmoins cinq principaux cavaliers partenaires”, dont le médiatisé Grégory Cottard.
Les équipementiers établissent presque tous des contrats écrits, mais il existe des exceptions. “Pour nous, la valeur de la parole donnée est plus importante que le contrat signé. Nous poursuivons ainsi le procédé de Jean-François Meyer, le fondateur de notre marque, qui a noué de solides relations amicales avec ses partenaires tout au long de sa carrière”, narre Natalia Ivanova, gérante de Meyer Selles. “Nous avons des partenaires historiques et d’autres plus récents. Nous sommes quatre associés, toujours sur le terrain, et nous pouvons ainsi tisser des liens avec de nouveaux cavaliers. La collaboration est simple: une remise est faite sur le premier achat de selle, puis nous renouvelons ensuite gratuitement la selle annuellement. Nous ne notons aucun abus ou conflit, le mot d’ordre est fluidité.” Avoir un contrat écrit ne serait-il pas plus rassurant? “Cela n’arrête pas un cavalier qui a envie de changer de sponsor, même s’il y a une clause d’engagement. À partir du moment où la relation est rompue, rien ne sert de s’éterniser: on reprend le matériel et on passe à autre chose”, poursuit Alexandre Schneider, directeur export de la marque gasconne. “Il est surtout important que le cavalier demeure un bon exemple sportif et qu’il puisse profiter de nos selles, tout en les valorisant aux yeux du public. Nos partenaires ne sont pas des commerciaux. Par ailleurs, pour conclure sur le sujet, nous avons essayé une fois de faire appel à un influenceur équestre et cela n’a pas été concluant en termes de ventes. Nous avons des ambassadeurs en France, en Allemagne, en Suisse, en Espagne, aux États-Unis, au Brésil, en Italie… La visibilité en concours est là et cela nous convient parfaitement ainsi.”
Des pratiques qui s’exportent
Certains selliers français réalisent la majorité de leurs ventes à l’étranger. De fait, il est d’usage d’accentuer la collaboration avec les cavaliers ambassadeurs des pays concernés. Le saut d’obstacles de haut niveau brasse de nombreuses nationalités, ce qui semble n’amener aucun changement en termes de sponsoringsellier. De fait, si la marque-mère peut garder un œil sur la sélection d’ambassadeurs de ses distributeurs internationaux, elle a tendance à leur laisser les coudées franches. “Notre société réalise une grande partie de son chiffre d’affaires à l’étranger, donc il est naturel d’avoir des cavaliers ambassadeurs dans le monde entier”, note Grégoire du Haÿs, directeur général de la Maison Bruno Delgrange, en Île-de-France. “Nous aimons nous inscrire dans la durée avec nos partenaires. Notre structure nous permet de travailler aussi bien avec les meilleurs cavaliers de niveau 5* qu’avec des pilotes ayant une empreinte plus locale. En fonction des objectifs, nous adaptons notre approche et nous en discutons avec nos distributeurs internationaux. Nous collaborons avec des cavaliers dont l’équitation est fine, qui sont soucieux du bien-être de leurs chevaux et en quête de performances sportives. Ces partenariats sont, pour nous, un moyen de faire rayonner notre marque en France et à l’étranger, mais également de travailler notre gamme et la technicité de nos produits. Ainsi, l’impact est très positif pour la Maison.”
L’entreprise ligérienne Childéric Sellier est, de même, implantée dans de nombreux pays européens et en Amérique du Nord, avec des filiales et des revendeurs: “Nous reproduisons le même schéma de partenariats à l’étranger, c’est-à-dire nouer une relation de confiance et amicale. Ce plan marketing nous convient ainsi parfaitement et nous n’envisageons pas de le changer à l’avenir”, conclut Guillaume Lancelot.