“La médaille d’or des Mondiaux de Monpazier gardera une saveur particulière”, Jean-Michel Grimal
Au cours d’une saison riche en émotions, l’endurance française a obtenu un bilan historique avec un titre mondial par équipes et une médaille de bronze pour Mélody Théolissat chez les Séniors, ainsi qu’un titre européen individuel pour Carla Mosti et une médaille d’argent par équipes chez les Jeunes. Aux championnats de France, Philippe Tomas, Clémentine Chaud et Léa Vandekerckhove ont conclu 2024 en beauté en se parant d’or, d’argent et de bronze à Fontainebleau. Jean-Michel Grimal, sélectionneur national, revient sur ces résultats. Le maréchal-ferrant de profession évoque également le futur des équipes nationales et l’état de santé du commerce de chevaux d’endurance, dont la France reste une plaque tournante.
Quel bilan tirez-vous des championnats de France de Fontainebleau, qui se sont soldés par le troisième sacre de Philippe Tomas, associé cette année à Faïza d’Équi’Rêve, vainqueur devant Clémentine Chaud, en argent avec Filahé d’Espé, et Léa Vandekerckhove, en bronze sur Farouck El Ishhara?
Le bilan est plus que positif, d’autant que les cavaliers montaient des chevaux différents de d’habitude. Quand je vois les résultats, cela me conforte dans mes choix et prouve qu’ils ont d’autres chevaux performants pour l’avenir. Il y avait presque cinquante partants dans la CEI 3* (cette épreuve, support du championnat, était ouverte aux cavaliers étrangers, ndlr) donc le niveau était relevé. La course s’est très bien passée dans l’ensemble. Mélody (Théolissat, ndlr) a eu un peu moins de chance car son jeune cheval (Darwin du Vialaret, huit ans, éliminé pour cause de boiterie, ndlr) a été écarté lors du dernier contrôle vétérinaire. Dans l’ensemble, nous avons vécu du beau sport dans une belle ambiance, donc c’était top!
Que vous inspire le parcours de Philippe Tomas et Biwaka de Chalendrat, qui depuis leurs débuts en compétition en 2018, ont conquis un titre de champion et vice-champion d’Europe par équipes, une médaille de bronze européenne en individuel et deux titres mondiaux par équipes?
Philippe Tomas est le cavalier le plus âgé (cinquante-sept ans, ndlr) et expérimenté de l’équipe, donc je ne m’étonne pas qu’il soit double champion du monde. Il est très rigoureux de nature et cherche toujours à progresser. Concernant Biwaka (de Chalendrat, treize ans, ndlr), il a quelque peu contre-performé à Monpazier (terminant tout de même onzième, ndlr), mais il a prouvé sa solidité puisqu’il a tout de même terminé la course et contribué à notre médaille d’or par équipes. Le couple évolue très bien et ses résultats parlent d’eux-mêmes.
À Monpazier, l’équipe de France, composée de Mélody Théolissat, Virginie Atger, Clémentine Chaud, Philippe Tomas et Julien Lafaure, local de l’étape, a décroché une deuxième médaille d’or consécutive, après celle acquise début 2023 à Bouthieb, aux Émirats arabes unis. Que retenez-vous de ces championnats?
Cette médaille d’or gardera une saveur particulière. À Bouthieb, nous étions montés sur la deuxième marche du podium, avant de récupérer la médaille d’or en raison de la disqualification de l’équipe de Bahreïn (à la suite d’un cas de dopage, ndlr). Monter sur la première marche à la remise des prix et entendre l’hymne national, c’est autrement plus fort que de récupérer une médaille six mois après une épreuve. Et puis, cette année, nous étions en France, ce qui était d’autant plus génial! Ces championnats du monde ont été organisés d’une main de maître par la famille Lafaure, ce dont je ne doutais pas. Lorsque j’ai poussé les organisateurs à présenter un dossier il y a quatre ans, j’étais certain qu’ils relèveraient le défi avec brio. Et ils l’ont fait! Nous avons eu du beau spectacle, avec une cérémonie d’ouverture grandiose et une chouette remise des prix à cheval. Ce fut une réussite sur toute la ligne, d’autant plus avec notre médaille d’or par équipes et le bronze gagné par Mélody (avec Yalla de Jalima, PsA, Djevar des Graves x Piruet).
Généralement, notre discipline n’attire pas les foules, mais à Monpazier, le public était au rendez-vous au départ, à l’arrivée et aux points d’assistance (malgré un ciel des plus capricieux, ndlr). Dès qu’un casque de l’équipe de France approchait, on entendait les applaudissements. C’était vraiment une très belle expérience. Aux Jeux olympiques de Paris, on a pu assister aux victoires de nombreux Français comme Teddy Riner en judo, Léon Marchand en natation, l’équipe de France de rugby à sept et bien d’autres encore. En quelque sorte, la victoire de nos Français aux championnats du monde d’endurance s’est inscrite dans ce sillage. Le sport nous a permis de vivre une très belle année en France.
De fait, cette année a été riche en médailles pour la France, puisque les Jeunes ont eu aussi décroché l’argent par équipes aux Européens d’Arborea, en Sardaigne, où Carla Mosti a remporté l’or individuel avec Gino d’Armani (PsA, Sahar d’Aïza x Roco Ibn Persik). Quels axes de travail avez-vous mis en place avec vos équipes pour arriver à de tels résultats?
Ces très bons résultats montrent la compétitivité de nos couples et ça faisait longtemps que ça n’était pas arrivé. Concernant les Seniors, la France avait déjà été sacrée championne du monde par équipes, mais cela remontait à 2002 et 2006 (aux Jeux équestres mondiaux de Jerez de la Frontera et d’Aix-la-Chapelle, ndlr). Là, c’est la première fois que nous obtenons ce titre deux fois consécutivement, ce qui n’est pas rien. Il n’y a pas de recette miracle. Nous avons la chance d’avoir une Fédération qui considère la discipline et se donne les moyens de réussir. Par rapport à leurs homologues de certaines autres nations, je dirais que les cavaliers français sont très bien lotis. Ils ont l’opportunité de participer à des stages hivernaux avec des intervenants de grande qualité (dont Nicolas Sanson, spécialiste de la pédagogie, et Olivier Henocque, expert fédéral de la discipline, mais aussi une nutritionniste équine et un préparateur mental, ndlr). La préparation mentale, par exemple, nourrit la cohésion d’équipe. L’endurance est un sport qui se pratique individuellement durant la majeure partie de l’année, mais le fait d’être sélectionné pour un championnat requiert de savoir travailler en équipe. C’est toujours le défi à relever, et finalement, toute cette préparation nous a réussi parce que tous ces cavaliers s’entendent très bien.
“Je suis partagé entre continuer et m’arrêter sur ces très bons résultats”
Le stage organisé en début d’année au Parc équestre fédéral peut-il expliquer ces bons résultats? Souhaitez-vous le faire perdurer?pour les années à venir?
Oui, c’est sûr. Ces stages sont très importants, car nous essayons vraiment de créer un groupe France soudé et performant que nous essayons d’étoffer dans l’intérêt des performances collectives. Nous n’avons pas trouvé la solution d’un coup de baguette magique. Si les résultats sont là, c’est grâce aux stages hivernaux, à l’esprit d’équipe qui s’est créé et à l’aide apportée par la Fédération. Tous ces éléments font que chacun se sent considéré. C’est un tout. Et puis nous avons aussi de très bons chevaux et des propriétaires qui jouent le jeu et savent les garder. C’est un facteur capital de succès, qui plus est dans notre discipline. Sans cela, rien ne serait possible.
Individuellement, le niveau des Français est exceptionnel, avec pas moins de sept cavaliers dans le top dix du classement mondial. Comment analysez-vous cette situation?
La France a toujours pu s’appuyer sur des cavaliers de très haut niveau, qui participent à beaucoup de courses avec plusieurs chevaux. De plus, en France et en Europe, nous avons la chance de pouvoir participer à davantage de CEI, ce qui permet aux cavaliers d’engranger plus simplement et plus vite de l’expérience et des points au classement mondial. Tout cela les aide à être performants.
En tant que sélectionneur, comment gérez-vous l’arrivée continue de nouveaux talents au sein des équipes de France et le fait que des cavaliers plus expérimentés parviennent à conserver leurs meilleurs chevaux?
Évidemment, il faut que le ou la cavalière désire intégrer l’équipe de France. De notre côté, avec Martin Denisot (conseiller technique national en charge de l’endurance, ndlr), nous observons les performances et regroupons les cavaliers selon ce facteur. Lorsque nous repérons des couples performants, nous allons les voir en compétition, puis nous les convoquons aux stages hivernaux avant de faire nos choix. Martin et/ou moi assistons à 90% des compétitions en France, ce qui nous permet de dénicher facilement des talents. En fonction des épreuves de sélection ou du programme établi pour l’année suivante, s’ils performent, ils intègrent le groupe France, puis l’équipe du championnat si tout se passe bien.
Concernant nos cavaliers expérimentés, certains gardent leurs chevaux, et d’autres non. Le fait d’être professionnel, avec des impératifs financiers, ou amateur, animé par le seul plaisir de la compétition, joue pour beaucoup dans ces choix. Vu le faible niveau des gains dans notre discipline, les professionnels doivent se financer soit par les pensions, soit par la vente des chevaux, et régulièrement se résoudre à vendre leur cheval de tête, parce que c’est celui qu’ils pourront le mieux vendre. C’est une réalité avec laquelle l’encadrement fédéral doit composer.
En termes de sélection, nous misons parfois sur des cavaliers moins expérimentés, parce que nous considérons qu’ils le méritent et qu’il leur faut justement participer à des championnats pour se forger une expérience. La régularité des résultats jouent un rôle important, tout comme la performance de leur cheval.
Comment envisagez-vous l’avenir proche des équipes de France? Les Seniors remettront en jeu leur titre européen dès le 21 juin 2025 à Castiglione del Lago, en Italie…
Les contrats de tous les cadres travaillant au sein de la direction technique nationale de la Fédération s’arrêtent le 31 décembre 2024, puisque des élections fédérales sont prévues en fin d’année. Se posera ensuite la question d’une possible reconduction en fonction de l’envie de la Fédération et des personnes concernées de poursuivre ou non. Pour les prochains championnats d’Europe, le gros changement est effectivement la programmation de cet événement en juin. D’habitude, c’est soit en fin d’été ou début d’automne en Europe, soit en hiver dans les pays du Golfe. Il est possible que soient sélectionnés des chevaux sur la foi de leurs performances cette année, car il n’est pas certain que nous puissions les faire courir sur 160km suffisamment tôt en 2025. Sur le papier c’est faisable, mais il faudra discuter de tout cela cet hiver lors des stages du groupe France, et déterminer la stratégie la plus adaptée à ce changement. De plus, certains cavaliers préfèrent préparer les championnats sur des distances inférieures, donc il faudra faire les bons choix au moment venu. C’est la santé du cheval qui doit primer.
À titre personnel, avez-vous envie de poursuivre votre mission de sélectionneur national?
Je ne sais pas. Je suis partagé entre continuer et m’arrêter sur ces très bons résultats. Je pense qu’il faut laisser passer les élections fédérales. Il appartiendra au successeur de Serge Lecomte (président de la FFE depuis 2004, qui ne sollicitera pas de nouveau mandat, ndlr) de conserver les équipes actuellement en poste ou de remodeler la direction technique nationale.
“Seize des vingt meilleurs chevaux des Mondiaux de Monpazier sont nés en France”
Que retirez-vous de votre expérience à la tête des équipes de France, entamée fin 2018?
Que tout est possible! En réalité, j’étais déjà au service de l’équipe depuis 2011, en tant que maréchal-ferrant, donc j’observais déjà les volontés de changement de certains cavaliers. À ma prise de fonction, sept ans plus tard, tout l’encadrement avait changé, sauf le vétérinaire, donc il y avait une nouvelle dynamique. Je ne dirais pas que nous avons fait mieux que nos prédécesseurs, même si les résultats ont été au rendez-vous et si toutes les personnes impliquées dans notre discipline ont évolué positivement. Après la crise sanitaire, sans que celle-ci n’en ait été la cause, le commerce s’est un peu retrouvé à l’arrêt, si bien que nos cavaliers ont gardé leurs chevaux de tête. Sportivement, cela nous a facilité la vie!
À l’initiative de la Société hippique française (SHF), cette année, la Grande Semaine d’endurance s’est déroulée pour la première fois de son histoire à Lignières. En avez-vous eu des échos? Est-ce positif pour l’avenir de la discipline?
Malheureusement, je n’ai pas pu me déplacer à Lignières cette année. En tant que maréchal-ferrant, j’ai accepté un poste d’enseignant au lycée professionnel agricole de Mirande, dans le Gers, donc j’étais occupé ce week-end-là. En revanche, j’en ai reçu de bons échos. Il n’y avait pas énormément de participants, mais le changement de lieu a été bien apprécié par les cavaliers. Je pense que la SHF cherche constamment à améliorer cette Grande Semaine. A priori, les acheteurs étaient de retour cette année, ce qui est positif pour notre filière!
La France reste le premier producteur mondial de chevaux d’endurance. Vous-même en élevez, sous l’affixe d’Artagnan, dans les Hautes-Pyrénées. Comment se porte globalement le commerce ces temps-ci?
Pour les chevaux de grande qualité, il y a toujours eu de l’activité, même durant les années dites creuses. À une époque, n’importe quel cheval qui pointait le bout de son nez sur n’importe quelle distance était vendu. J’espère que cet âge d’or reviendra, même si je pense qu’il est plutôt derrière nous. La France reste prépondérante en termes d’élevage. Ainsi, seize des vingt meilleurs chevaux des Mondiaux de Monpazier sont nés chez nous. Nous avons la chance d’avoir un très grand réservoir grâce à l’engagement des éleveurs, qui sélectionnent pour l’endurance depuis plus de trente ans, avec l’aide des Haras nationaux au départ. Le circuit SHF joue pour beaucoup dans la formation des jeunes chevaux, tout comme la multitude d’épreuves qui s’offrent aux cavaliers pour progresser et engranger de l’expérience. Plus la pyramide est large à la base, plus elle monte haut, et c’est vraiment ce qui nourrit l’excellente réputation des élevages, entraîneurs et cavaliers français.
En tant qu’éleveur, acteur et observateur avisé de la discipline, pensez-vous que les récentes performances de la Chine et de la Malaisie, médaillées d’argent et de bronze aux Mondiaux de Monpazier, puissent avoir un impact positif sur l’avenir de la discipline et la prospérité de la filière française?
Tout à fait! Ces cavaliers ont su faire confiance à des entraîneurs français, et louer ou acheter de bons chevaux. C’est très bien que des nations émergentes comme la Chine ou la Malaisie s’invitent sur les podiums, car plus il y a de nations impliquées, plus le niveau va s’élever. Et là encore, tout cela influera positivement sur l’activité commerciale. Autrefois, il y avait un mono-client, voire un mécène, le Sheikh Mohammed ben Rachid al-Maktoum (émir de Dubaï, vice-président et premier ministre des Émirats arabes unis, double champion du monde par équipes, champion du monde individuel en 2012 à Euston Park et propriétaire notamment de l’écurie M7, qui dispose d’une antenne à Lisle-sur-Tarn, près de Toulouse, ndlr). Il a énormément apporté à notre discipline. Depuis sa première venue en Europe, en 1997, il a permis à beaucoup de cavaliers de se professionnaliser et a joué un rôle majeure dans le rayonnement de l’endurance, en engageant des moyens financiers importants dans l’élevage, l’entraînement, la compétition et le développement des structures équestres. Visiblement, l’Arabie saoudite (où seront organisés les Mondiaux de 2026, ndlr) commence aussi à pointer le bout de son nez avec beaucoup d’ambitions. Ce sera intéressant à suivre ces prochaines saisons.
Les chevaux espagnols ont dominé les championnats du monde des chevaux de huit ans, fin septembre à Arborea, en Italie. La production espagnole constitue-t-elle une concurrence de masse et dangereuse pour l’élevage français?
Non, pas du tout, parce que ce sont soit des chevaux français élevés en Espagne, soit achetés en France, donc le sang français est présent aux avant-postes quoi qu’il arrive (rires)!