“Je ne dresse plus mes chevaux, je travaille à interagir avec eux”, Frédéric Pignon
Comme chaque année, le Jumping international de Bordeaux s’ouvrira par une belle soirée de gala. Jeudi prochain, la compétition se conjuguera avec des moments équestres de pure magie grâce à un spectacle inédit mettant à l’honneur deux grands noms de l’art équestre: Frédéric Pignon et Magali Delgado. Leur création, “Sueño”, entraînera le public dans un voyage émotionnel, où la relation entre l’homme et le cheval atteint des sommets de grâce et d’harmonie. En deuxième partie de soirée, le spectacle continuera avec la Battle de dressage by STX France, un show sportif revisitant cette discipline olympique.
Frédéric Pignon et Magali Delgado, auteurs et interprètes de Sueño, le spectacle équestre que le public du Jumping International de Bordeaux pourra découvrir le jeudi 6 février, sont des artistes de renommée internationale. Cocréateurs du célèbre spectacle canadien Cavalia, qui a parcouru le monde, ils ont touché plus de deux millions de spectateurs grâce à leurs performances. Ces artistes hors pair, avant tout passionnés de cheval, ont su tisser une relation exceptionnelle avec leurs compagnons, fondée sur l’amour et le respect. Cette complicité se traduit par des prouesses spectaculaires, en liberté ou sous la selle. Tout cela est mis en scène de manière onirique, sublimé par la collaboration d’artistes d’autres disciplines, invitant le public bordelais à une soirée inoubliable, empreinte de magie et d’émerveillement. Frédéric Pignon plante le décor.
Pourquoi ce nom, Sueño?
Parce que Sueño, est un rêve et une envie d’exprimer une relation simple avec le cheval. Sueño, c’est l’histoire de cette connexion avec nos chevaux, de la relation d’égal à égal avec le cheval dans la création. Les chevaux ont proposé ce qu’ils aiment faire, ce qu’ils ont envie de dire. Cela commence par un cheval qui parle et qui exprime ses envies, son rôle sur scène. Sueño, c’est avant tout l’histoire du rêve d’une vie avec les chevaux.
Vous aimez répéter que ce sont vos chevaux qui sont les stars de vos spectacles. Pouvez-vous présenter ceux que le public verra à Bordeaux?
Il s’agit des chevaux stars de notre écurie. Cela commence avec Lancelot, qui a maintenant vingt-quatre ans. Cela fait vingt ans qu’il est avec nous. Nous pensions le mettre à la retraite, mais il veut toujours faire partie du spectacle. Il nous a fait comprendre que ce n’était pas l’heure, qu’il avait encore des choses à dire. Il y aura également Talento, le fils de Dao, le cheval de dressage de Magali, Phébus, le Frison qui nous accompagne depuis un certain nombre d’années, Bamboo, le petit Pur-sang Arabe bourré de charisme et d’énergie, un petit groupe de Pur-sang Arabes qui est avec nous depuis près de quinze ans. Sans oublier les jeunes comme Guido, qui commence à s’imposer sur la piste ou Machachito, un cheval de dressage de six ans monté par Magali.
Nous travaillons également avec un groupe d’acrobates ukrainiens extrêmement talentueux qui ont créé un numéro pour se fondre dans le spectacle, un musicien, guitariste et chanteur, ainsi qu’un magicien artiste qui est un peu le fil conducteur du spectacle et qui amène sa poésie. Tous ces talents se mêlent pour former un spectacle d’environ une heure et cinquante minutes.
Quel est le secret pour obtenir de vos chevaux tout ce qu’ils vous donnent en scène?
Tout dépend de leur humeur. Phébus, par exemple, peut entrer sur scène dans sa meilleure humeur et tout donner sans être sollicité, mais il peut arriver d’humeur renfrognée et là, il faut composer avec cela ou alors il peut être également fatigué et il faudra le solliciter. Avec lui, on ne sait jamais à quoi s’attendre: il donnera toujours le meilleur de lui-même, mais il faudra lui demander de manières différentes. Il s’agit pour nous de développer l’envie, le besoin même, de faire des choses ensemble sur scène. Je ne dresse plus mes chevaux, je travaille à interagir avec eux, et c’est ainsi qu’on les amène à participer avec plaisir et qu’ils donnent le plus.
J’ai longtemps pensé que j’étais le seul chef d’orchestre, mais désormais, j’ai appris que je n’étais plus l’unique meneur sur scène. Il s’agit d’un dialogue avec des chevaux qui ont des envies, des choses à exprimer. Les répétitions ou les entraînements consistent à définir quelles sont ses envies, s’ils préfèrent s’exprimer en liberté ou sous la selle en dressage. Certains chevaux décident qu’ils ne sont pas prêts ou qu’ils veulent faire un break et ne veulent plus venir en spectacle. Le secret consiste à être attentifs à ce qu’ils ont à dire et de créer des numéros ensemble. On a l’impression que les chevaux donnent tout, parce qu’ils aiment donner.
“Le public non équitant a une lecture beaucoup plus fine de l’échange entre l’homme et le cheval”
Sont-ils différents en scène, donnent-ils encore plus? Sont-ils conscients du contexte? Et communiquent-ils, non seulement avec vous, mais entre eux également?
Parfois, on est surpris par certains chevaux, qui donnent plus sur scène, car ils semblent avoir conscience qu’il se passe quelque chose quand, à la maison, le rythme de travail est plus lent. On essaye d’éviter cette boulimie de travail, on suit leur rythme; certains préfèrent travailler le matin, d’autres l’après-midi, comme Phébus. Sur scène, je pense qu’ils sont conscients du contexte: ils peuvent sentir une certaine pression face au public, les applaudissements peuvent les inquiéter au début. Mais ils comprennent très rapidement ce qui se joue. Ainsi, Lancelot, dans une communication récente que nous avons faite pour les besoins d’un livre, a exprimé qu’il aimait ouvrir les cœurs et qu’il tenait à faire les introductions des spectacles, et nous avons trouvé intéressant de mettre ce texte en ouverture. On le voit bouger en scène, essayer de s’exprimer en fonction de ses propres mots. Sur la piste, nous communiquons sans arrêt et observons également comment ils communiquent entre eux, notamment dans le groupe de chevaux Arabes. C’est une communication très intuitive liée au langage corporel. Parfois, ce sont des choses plus profondes qu’il n’est pas toujours facile de comprendre.
Pouvez-vous expliquer comment se crée ce lien avec le cheval, comment se faire comprendre de cet énorme animal, craintif de surcroît? Est-ce à la portée de tous?
C’est une relation qui est à la portée de tous ceux qui en ont le désir. Je conçois que c’est une relation différente de celle qu’on a l’habitude d’avoir, obligeant à savoir s’exprimer et à savoir comprendre, ce qui est sans doute plus compliqué. Je pense qu’elle peut être plus à la portée de gens qui ont moins d’expérience avec les chevaux, qui ont sans doute moins d’habitudes liées à l’équitation traditionnelle, et abordent ainsi le cheval avec un œil neuf, plus ouvert à l’expression du cheval. Il est intéressant à cet égard d’entendre les retours d’un public non équitant, qui a une lecture beaucoup plus fine de cet échange entre l’homme et le cheval. Les cavaliers seront plus sensibles à la technicité, tandis que les non-initiés seront plus attentifs au plaisir et à l’interaction avec le cheval. Alors oui, et je le vois au cours de mes stages: les gens qui sont vraiment intéressés par cette interaction peuvent la développer de manière spectaculaire. Les personnes doivent alors consentir un gros travail sur eux-mêmes et bien savoir où ils veulent aller avec leur cheval dans leur relation. Si le but est d’avoir un cheval obéissant, cela ne fonctionne pas, mais si l’on cherche à avoir un cheval qui s’exprime avec soi, alors oui, il peut se passer beaucoup de choses intéressantes.