“Nous manquons de partenaires pour assumer nos frais et investir dans des chevaux de qualité”, Benjamin Aillaud
Meilleur meneur français en attelage à quatre chevaux, Benjamin Aillaud, membre de la team LM avec Philippe Rozier, Julien Gonin, Yoann di Stefano et Camille Condé-Ferreira, participera à nouveau en tant qu’invité à la finale de la Coupe du monde d’attelage. À Lyon, ses Lusitaniens ont clairement montré qu’ils avaient progressé. Pour atteindre ce niveau, cet homme de cheval “complet” passe par plusieurs disciplines, du dressage au spectacle en passant par la liberté. Cette variété d’activités contribue à une éducation tous azimuts et surtout à une meilleure compréhension mutuelle.
Vous avez signé une très belle performance au CAI-W de Lyon, passant tout près de la victoire. Quelque-chose s’est-il déclenché depuis la saison dernière?
Cela faisait deux ans que j’avais débuté ces chevaux-là sur le circuit. C’est le temps nécessaire pour être compétitif. Ils ont quatorze ans. Ce sont d’anciens chevaux de spectacle que j’ai lancés en attelage à l’âge de douze ans. Même s’ils étaient montés, ils travaillaient essentiellement en liberté. Dès lors, deux années d’éducation, de préparation physique et de compréhension mutuelle représentent la période minimale pour arriver à maturité pour ce niveau de compétition. Depuis la saison dernière, ils ont gagné en puissance et en précision. C’est une feuille de route “normale”. Ce résultat de Lyon est donc dans l’ordre des choses. Cela dit, ils n’en ont pas moins livré une performance incroyable.
Sur quels points précis vos chevaux et vous avez-vous progressé? Comment avez-vous travaillé?
Nous avons participé aux championnats du monde de Szilvásvárad, en septembre dernier en Hongrie (la France y a terminé sixième par équipes, ndlr) et ils n’ont cessé de progresser tout au long de la saison. Je les ai énormément montés sur le plat avec beaucoup d’exercices d’assouplissement et de rassembler. Ils exécutent beaucoup de mouvements de dressage qui contribuent à les construire physiquement, à mieux employer leur corps. Il y a eu beaucoup de travail à pied et aux longues rênes pour développer leur explosivité et leur équilibre, mais également leur vitesse et leur rythme.
Pouvez-vous présenter brièvement vos chevaux?
Fez, Fruto, Famoso et Fiasco, tous de la même génération, ainsi que Genio, qui a un an de moins, sont des chevaux que j’avais achetés dans un élevage au Portugal parmi un lot d’une dizaine de poulains de deux et trois ans. Je les ai laissé grandir et les ai éduqués complètement: à pied et en liberté. Ils ont été présentés en spectacle par mon épouse, Magali, et mon fils, Nuno, dans un numéro en liberté à huit chevaux. Ils ont grandi dans ce contexte. Ce sont tous de vraies personnalités. Fez, mon cheval de volée gauche, était le cheval de tête en liberté. Il est très généreux, assidu et sérieux. C’est lui qui donne le ton, et il peut se montrer agacé si les autres ne l’écoutent pas. À droite, toujours devant, j’ai Fruto. C’est le “délinquant” du groupe. Il est énergique, très sensible et impulsif. Il est aussi le plus courageux. C’est un leader. Au timon gauche, j’ai Famoso. Physiquement, il est un peu le vilain petit canard de la bande, mais d’une générosité sans limite. Il est absolument incroyable. S’il juge que l’énergie du groupe n’est pas présente, il ne se donne pas. En revanche, s’il est très présent, cela veut dire que le groupe est bien orienté dans son état d’esprit. Et à l’arrière droit, il y a Fiasco. Son nom peut laisser perplexe, mais il est tout le contraire: c’est un cheval fort physiquement, très beau, se déplaçant très bien. Il est très sérieux, trop peut-être. Chaque jour, ils se donnent toujours plus et je sais qu’ils n’ont pas encore révélé tout leur potentiel.
“L’homme a plus à apprendre du cheval que le cheval de l’homme”
Que représente l’éducation de vos chevaux au quotidien?
Nous essayons d’abord de jouer, de partager des moments ensemble. Dans ces échanges, on se rend compte que l’homme a plus à apprendre du cheval que le cheval de l’homme. J’ai toujours eu pour principe que les chevaux pratiquent plusieurs disciplines: gymnastique à pied, aux longues rênes, à cheval en dressage pour rassembler leurs allures – épaule en dedans, changements de pied rapprochés, etc. Sans oublier les activités en liberté et les sorties en extérieur. Je varie au maximum les exercices en fonction d’un programme établi, mais qui peut évoluer selon mon sentiment du jour ou celui d’Hélène, leur soigneuse. Je m’adapte. Alterner les disciplines permet de mieux les connaître, de tisser une relation et de mettre en place différents moyens de communication. Cela donne des chevaux complets livrant le meilleur d’eux-mêmes.
Pourquoi l’attelage mondial est-il dominé par les Néerlandais, les Allemands, les Belges, les Hongrois… et l’incontournable Australien Boyd Exell?
Cela fait longtemps qu’ils dominent la discipline: ils ont une large base, beaucoup de chevaux et des moyens colossaux pour le haut niveau. Ils ont aussi une culture de la compétition, avec des circuits très développés. Cela concerne surtout l’attelage à quatre. En attelage à un cheval, la France compte parmi les nations fortes, et elle est de plus en plus présente en attelage à deux et à quatre, avec quelques résultats intéressants. Pour autant, ici, nous manquons de compétiteurs. L’attelage à quatre requiert une logistique très lourde. Il faut avoir au moins six ou sept chevaux à l’entraînement, ce qui implique une structure extrêmement professionnelle nécessitant de gros moyens. Pour réussir durant la saison intérieure, en Coupe du monde notamment, il faut pouvoir répéter en compétition. À ce titre, aux Pays-Bas, les meneurs peuvent participer à trois concours nationaux indoor en un même week-end alors que nous n’avons pas deux concours indoor sur l’ensemble de l’hiver en France. Ils bénéficient de ce calendrier plus développé, ce qui attire plus de meneurs à la discipline et élargit la base, d’où se dégage l’élite.
Comment se porte l’attelage français actuellement?
Plutôt bien. En attelage à un (Solo, ndlr), la France a été sacrée championne du monde par équipes l’an dernier au Pin-au-Haras. En attelage à deux (Paire, ndlr), elle a remporte des médailles individuelles et une médaille par équipes. En attelage à quatre (Teams), nous décrochons de bons résultats, certes insuffisants. Il nous faudrait être mieux soutenus. Nous manquons de partenaires pour faire face aux coûts de cette discipline et investir dans des chevaux de qualité. Il faudrait aussi que le circuit de concours se développe pour former les jeunes chevaux et les meneurs. Il faut également multiplier les épreuves à quatre poneys afin de former les futurs meneurs à quatre chevaux, pour qu’ils assimilent les bons réflexes et acquièrent la réactivité qu’exige cette discipline. Mener quatre chevaux requiert des années d’apprentissage. Il faut identifier et motiver les organisateurs à proposer plus de compétitions d’attelage. En Coupe du monde, tous nos concurrents étrangers ont clairement plus de kilomètres au compteur en concours que moi…
La finale de la Coupe du monde d’attelage sera retransmise en direct sur ClipMyHorse.tv