Jumpy de Kreisker a rejoint le panthéon des reines du Selle Français
Jumpy de Kreisker s’est éteinte le jour de ses vingt-huit ans, avant-hier à Plozevet, dans la Finistère, où elle a vécu ses dernières années. Issue d’une souche d’exception, elle laisse derrière elle onze filles et fils Selle Français, nés pour le compte des élevages de Kerglenn, de Kreisker et de Hus. Mère notamment de Quito et Shana de Kerglenn, elle est aussi la grand-mère de l’exceptionnel Dexter de Kerglenn. Une page se tourne pour Guillaume Ansquer, mais aussi pour l’élevage tricolore.
Née le 5 mars 1997 à l’élevage de Kreisker, installé à Plozevet, dans le sud-ouest du Finistère, Jumpy de Kreisker était une fille de Quito de Baussy, le premier crack d’Éric Navet, double médaillé d’or aux Jeux équestres mondiaux de Stockholm en 1990, puis sacré champion d’Europe individuel en 1991 à La Baule, médaillé de bronze par équipes aux Jeux olympiques de Barcelone en 1992 et aux Européens de Gijón en 1993 et enfin d’argent par équipes aux Mondiaux de La Haye en 1994! Betty de Kreisker, mère de Jumpy, est issue du croisement de Muguet du Manoir et Danaé (SF, Starter x Fra Diavolo, Ps).
“Jumpy provient de l’une des meilleures souches d’Europe”, rappelle à raison Guillaume, fils de Marie-Antoinette Ansquer, la naisseuse de Jumpy. “Cette souche nous a donné notre étalon olympique Quickly de Kreisker (ISO 183, SF, Diamant de Semilly x Laudanum, Ps, très grand gagnant en CSI 5* avec le Marocain Abdelkebir Ouaddar, ndlr), ainsi que les propres frères Kirfa (ISO 171 avec le Néerlandais Henk van de Pol, SF, Papillon Rouge x Muguet du Manoir)et Once de Kreisker (ISO 171 avec le Belge Philippe Le Jeune). Elle produit beaucoup de gagnants à 1,40m et plus et des chevaux taillés pour la compétition, même s’ils ne sont pas dotés des plus beaux modèles. C’est une vieille souche (remontant à Son Altesse et développée notamment par Michel Lebourgeois via Magali, mère de Danaé, puis l’élevage de Thurin via Kavala, sœur de Magali, ndlr) et dont sont issus de nombreux gagnants, dont Ratina d’la Rousserie (ISO 168 avec Pénélope Leprevost, SF, Quincy x Apache d’Adriers) et son propre frère Viking (ISO 171 avec Kevin Staut, SF)”, mais aussi les étalons SF Leprince de Thurin (Uriel x Rantzau, Ps), Hurlevent de Brekka (Quidam de Revel x Quat’Sous), Guépard de Brekka (ISO 165, Papillon Rouge x Quat’Sous), Hastings (ISO 172, Laudanum, Ps x Quastor), grand gagnant avec Bruno Rocuet, Labrador de Brekka (ISO 172, Olisco x Paladin des Ifs), excellent avec Julien Épaillard, Javelot d’Helby (ISO 173, Vas y Donc Longane x Laudanum, Ps), très performant avec Florian Angot, et First de Launay (ISO 189, Laudanum, Ps x Quastor), olympique avec le même Florian Angot, ou encore les performeurs SF Nokia de Brekka (ISO 176, Quick Star x Apache d’Adriers), fort bien valorisé par Michel Hécart, Ionesco de Brekka (ISO 171, Dollar du Mûrier x Quat’Sous), excellent avec Olivier Guillon, Saura de Fondcombe (ISO 168, SF, Balou du Rouet x Paladin des Ifs), brillante avec la Suissesse Nadja Peter Steiner et le Canadien Éric Lamaze, ou encore Valdocco des Caps (ISO 168, SF, Number One d’Iso x Quidam de Revel), très prometteur en équipe de France avec Guillaume Foutrier, avant de poursuivre sa carrière avec l’Irlandais Cian O’Connor et l’Espagnol Sergio Álvarez Moya.
À dix-huit mois, Jumpy de Kreisker fut acquise par Alain Richard, fondateur l’élevage de Kerglenn, implanté à Plougonvelin, à vingt kilomètres à l’ouest de Brest, tout près de la fameuse pointe Saint-Mathieu. Après avoir débuté avec des poneys Connemara, ce Breton s’est peu à peu réorienté vers le Selle Français. “J’ai fouillé partout à la recherche d’une bonne jument”, se souvient-il. “À cette époque, Ronan, mon fils ainé, était en stage chez Hubert et Bertrand Pignolet, au haras d’Elle, afin d’apprendre auprès des meilleurs. Nous nous sommes alors rendus dans les plus fameux élevages de Normandie, mais n’y avons pas trouvé notre bonheur. Puis, j’ai découvert Jumpy à l’occasion d’un concours de poulinières suitées. Pouliche, elle se déplaçait de manière incroyable: elle ne touchait pas le sol tant elle se propulsait fort.”

Jumpy de Kreisker, ici en 2008 à Béthune avec Charlène Homond, se montrait d’une générosité sans faille en piste, qualité qu’elle a transmise à nombre de descendants.
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Une grande dame au mental d’acier
Jumpy de Kreisker débuta sur le Cycle classique à cinq ans avec Jean Le Monze, cavalier breton installé à Vitré, en Ille-et-Vilaine. Après quelques parcours, il conseilla à l’éleveur de la reprendre pour la faire reproduire par transferts d’embryons, lui assurant qu’elle savait “déjà tout faire”. L’alezane reprit les concours à six ans avec un grand succès, se classant troisième du Critérium à la Grande Semaine de Fontainebleau. La saison suivante, le couple termina quatrième du championnat de France de Deuxième Catégorie avant de gagner la finale nationale des chevaux de sept ans au Grand Parquet, à la grande joie de Guillaume Ansquer “Cette victoire est celle qui nous a rendus les plus fiers. Sa fille, Shana de Kerglenn, l’a d’ailleurs imitée neuf ans plus tard. Après Fakir, Jumpy a été notre deuxième cheval à concourir en CSI 2 et 3*, ce qui procure toujours beaucoup d’émotions. Nous sommes très fiers et contents de voir nos chevaux briller à ces hauteurs-là. Et puis, c’est une publicité non négligeable pour notre élevage.”
Alors que la championne a déjà engendré huit poulains, les Richard la vendent à Charlène Homond, une cavalière francilienne. “La première fois que je l’ai vue, elle avait six ans. À l’époque, j’allais souvent travailler chez Jean Le Monze avec mes chevaux. Elle m’a tapé dans l’œil, comme dans ceux de nombreux cavaliers (rires). Pour l’anecdote, nous l’avons achetée juste avant son sans-faute en seconde manche de la finale des sept ans.” “Au début, certains ne comprenaient pas pourquoi j’avais acheté Jumpy”, rappelle Alain Richard. “Et ensuite, ils se demandaient pourquoi je ne l’avais pas gardée. Or, il fallait bien que je rembourse les investissements liés aux transferts.” Le nouveau couple évolue jusqu’en CSI 3* et même 4*, avec une participation au Grand Prix de Chantilly en 2008.“Mon plus beau souvenir restera notre troisième place dans le Grand Prix Pro Élite de Vannes, en 2008”, raconte Charlène Homond. “C’était sur ses terres, avec son public breton qui l’aimait. C’était très émouvant. L’année précédente à Vannes, nous avions déjà fini sixièmes du Grand Prix Pro 1. Cette épreuve indoor était toujours difficile mais elle était très à l’aise à l’intérieur malgré son gabarit (Jumpy toisait entre 1,75 et 1,78m selon son ancienne cavalière, ndlr). Elle était réactive et généreuse à chaque saut. C’était une partenaire exceptionnelle, avec un mental d’acier.”
Son naisseur et son ancienne cavalière resteront tous deux marqués par la générosité de Jumpy. “Elle était généreuse et se donnait à 100% pour son cavalier. Rien ne l’arrêtait en piste” se remémore Charlène, qui a dû composer avec son caractère particulier. “Elle était pleine de qualités, douée d’une sensibilité à fleur de peau. Entrer en piste était presque un soulagement car elle était très compliquée à gérer à pied. Avec ma groom de l’époque, nous passions beaucoup de temps avec Jumpy, car elle était très spéciale. Elle avait peur de tout. Nous ne pouvions jamais l’attacher ni dans le camion, ni pour la soigner, ni pour la douche. Elle cassait tout et se montrait très précieuse, c’était son gros défaut. Au paddock, elle était terrorisée par les autres chevaux. Elle pouvait se jeter contre les lisses de peur, c’était la reine des situations improbables. Parfois, je ne pouvais sauter que trois ou quatre fois pour essayer de garder sa confiance. Après cela, je me disais: ‘Ouf, le paddock, c’est fini’ (rires)”, raconte-t-elle, un sourire dans la voix.
La carrière de la Selle Français s’acheva en 2009, alors qu’elle n’avait que douze ans. “Je pense qu’elle aurait pu réussir une très belle carrière et sauter de plus grosses épreuves si elle ne s’était pas blessée”, se désole Charlène Homond, qui l’aimait profondément. Jumpy s’en était fort heureusement remise, puis elle s’était consacrée à l’élevage.
Des Diamant comme s’il en pleuvait
En 2001, Alain Richard tenta trois premiers transferts d’embryons avec Jumpy de Kreisker: un avec Parco et deux avec Diamant de Semilly. Au printemps suivant naquit Olympe de Kerglenn, une première fille de Diamant, labellisée Excellente à quatre ans à Fontainebleau et créditée d’un ISO 125 avec Ronan Richard, puis mère notamment de Rafale de Kerglenn (ISO 139, SF, Dollar dela Pierre) et To Jump de Kerglenn (ISO 148, SF, Cassini II), huitième du championnat des cinq ans avec Guillaume Batillat. À noter que Rafale est déjà la grand-mère de l’étalon Champagne d’Ar Cus (IPO 166, PFS, Machno Carwyn x Quidam de Revel), excellent sous la selle de Romane Orhant.
Après un transfert échoué en 2002, Jumpy avait engendré cinq produits de Diamant en 2004 pour les élevages de Kerglenn et Kreisker. Le meilleur restera Quito de Kerglenn (ISO 164), très régulièrement classé à 1,45m et 1,50m et vainqueur d’un Grand Prix CSI 2* à Dinard en 2014 avec Gilbert Doerr. Pour sa part, Quindy de Kreisker, mère de Cerruti de Kreisker (ISO 159, SF, Conrad) parmi trente et un poulains, produit pour Guillaume Ansquer et les élevages de Hus, de Perhet, du Ry, de Marny, de Paddy et Villeclare, ainsi que la Team VDW Monte-Carlo. Quant à Quenza de Kerglenn, elle a surtout donné Unna de Kerglenn (ISO 155, SF, Cap Kennedy), classée à 1,50m avec Kevin Staut après avoir engendré plusieurs poulains dans le Finistère, dont Driss de Kerglenn (ISO 150, SF, Mylord Carthago).
Sacrée championne des cinq ans en 2009 avec Erwan André, Quandice de Kerglenn (ISO 136, SF) est la mère de talentueux chevaux dont Urcos de Kerglenn*HDC (ISO 164, SF, Toulon), très performant jusqu’à 1,50m avec Patrice Delaveau après avoir été formé par Régis Bouguennec et Valentin Besnard. Quandice a aussi engendré Ashelka West (ISO 150, SF, Sharkann) et Kinoa d’Ayrifagne (ISO 146, sBs, Douglas). Enfin, Qaresse de Kreisker (ISO 145, SF), fort bien valorisée par Jean Le Monze, a surtout fait souche au Hus.
Après Reine de Kerglenn (ISO 125, SF, Parco), elle-même mère d’Absolut de Lacke (ISO 158, Diamant de Semilly), performeur international sous la selle de Laurent Goffinet, en 2006, Jumpy de Kreisker vit venir au monde une nouvelle héritière de talent, la jolie Shana de Kerglenn, issue elle aussi de Diamant. Formée par Ronan Richard à quatre, cinq et six ans, elle signa un début de carrière très prometteur. “Elle s’est classée cinquième du championnat des cinq ans, puis je suis passé à côté de la finale des six ans. L’année suivante, je me suis cassé la clavicule et nous avons décidé de la confier à Jean Le Monze. Ensemble, ils ont gagné le Critérium des sept ans à Fontainebleau.” De fait, Jean Le Monze a pris beaucoup de plaisir à monter la baie. “À sept ans, elle a gagné pas mal d’épreuves. Elle avait littéralement dominé la saison avant de gagner la finale des sept ans. Elle était plus facile que Jumpy et c’était une super jument de concours.” Après avoir donné quatorze poulains à l’élevage de Kerglenn, elle fut vendue à Philippe Léoni, qui la monta jusqu’en CSI 4*.
Digne héritière de Jumpy, Shana compte à ce jour pas moins de vingt-huit produits, dont la délicate Vent du Sud Kerglenn (ISO 147, Crusador), excellente sous la selle de Mathieu Billot, Vasco de Kerglenn (ISO 143, Cassini II), et trois excellents fils et fille de Mylord Carthago: Darius de Kerglenn (ISO 151), Dana de Kerglenn (ISO 142), sacrée championne de France des cinq ans en 2018 avec Margaux Rocuet et elle-même mère d’Isa de Kerglenn (SF, Balou du Rouet ; ISO 142 à six ans), et bien sûr l’étalon Dexter de Kerglenn (ISO 175), avec lequel Jeanne Sadran vise une participation aux championnats d’Europe de La Corogne.
En 2012, après une pause et quelques tentatives manquées, Jumpy fait l’objet de trois derniers transferts réussis, lesquels donnent trois filles: Dynamo de Hus (SF, Shouppydam des Horts), sa propre sœur Dourga de Kreisker et enfin Djedda de Hus (SF, Ulixe), toutes trois consacrées à l’élevage. Depuis, Jumpy coulait une heureuse retraite dans les prés qui l’avaient vu naître, dans le Finistère sud. Pour tous ceux qui l’ont côtoyée, Jumpy restera une grande dame au cœur immense, dont la fabuleuse et généreuse descendance porte fièrement sa marque de fabrique sur les plus beaux terrains de concours. “Vu ce qu’elle a produit, elle mérite que nous lui rendions hommage”, dit à raison Guillaume Ansquer, qui conserve à l’élevage Quindy de Kreisker, ainsi que des filles et petites-filles de celle-ci. “C’est une souche à laquelle nous sommes très attachés et qui a largement fait ses preuves sur le plan sportif.” Et on peut parier qu’elle continuera à briller sur les terrains de concours longtemps encore.


