“La victoire de Julien Épaillard et Donatello d’Auge est un chef-d’œuvre”, Rodrigo Pessoa

Dimanche à Bâle, en Suisse, Julien Épaillard a remporté la finale de la Coupe du monde Longines de saut d’obstacles avec son généreux Donatello d’Auge. Vingt et un ans après Bruno Broucqsault et Dilème de Cèphe, la Marseillaise a donc de nouveau retenti au terme de cette compétition si sélective. Le Normand a gagné là son premier titre majeur, partageant le podium avec le Britannique Ben Maher, très bon deuxième sur Point Break, et Kevin Staut, ravi de sa troisième place avec Visconti du Telman. Triple vainqueur de cette compétition en 1998, 1999 et 2000 avec Baloubet du Rouet, le Brésilien Rodrigo Pessoa analyse les deux passionnantes dernières manches de cette finale.



Ils ont tenu jusqu’au bout

“La victoire de Julien Épaillard est éclatante. Comme Visconti du Telman (âgée de seize ans, ndlr), la jument de Kevin Staut, Donatello d’Auge (qui en a douze, ndlr)a tenu jusqu’au bout. Sur ce point, il s’agit de deux cavaliers qui ont beaucoup d’expérience et qui ont déjà prouvé leur capacité à amener des chevaux à haut niveau et les y maintenir. À vrai dire, je ne me posais pas beaucoup de questions au sujet de la jument de Kevin, parce que je sais qu’elle s’est bien endurcie et qu’il la considérait en grande forme. Quant au hongre de Julien, il a pu sembler un peu plus près de la ligne rouge, mais c’est probablement aussi son style. Ce n’est pas un cheval exubérant, qui se donne beaucoup de marge. De l’extérieur, on ressent plus d’aisance en regardant des chevaux comme Kick On, United Touch S, Leone Jei ou même Point Break (partenaires respectifs de l’Étasunienne Lillie Keenan, de l’Allemand Richard Vogel, du Suisse Martin Fuchs et du Britannique Ben Maher, ndlr).

Cependant, Julien a son propre ressenti et donne confiance à ses chevaux, notamment à Donatello. Sa victoire est un chef-d’œuvre. Il a conservé la tête de bout en bout, avec cette Chasse parfaite, son sans-faute de vendredi, puis son choix risqué de ne pas prendre part au barrage ce soir-là (il aurait pu, dans le meilleur des cas, compter cinq points d’avance sur Martin Fuchs et le Suédois Henrik von Eckermann, associé à Iliana, mais aussi n’en avoir que trois au lieu de deux, ndlr). Il n’y a que des gars comme lui qui tentent de tels paris, et Julien l’a toujours fait. À Bâle, cela a payé pour lui, et on ne peut que l’applaudir.”



Des parcours qui ont permis à tous les couples de s’exprimer

“Le chef de piste (le Suisse Gérard Lachat, ndlr) a accompli du très bon travail tout au long de cette finale, et notamment dimanche, où ses deux parcours n’ont pas avantagé un type de cheval plutôt qu’un autre. Preuve en est, c’est l’un des chevaux les moins puissants au départ, Donatello, qui a gagné à la fin. Comme je l’ai dit précédemment (lire les deux premières analyses de Rodrigo Pessoa ici et ici, ndlr), cette piste (ne mesurant que 64 x 39m, ndlr) est un endroit qui ne laisse pas beaucoup d’options à un chef de piste, mais cet homme-là connaît très, très bien son espace. On peut dire que la première manche était un poil trop facile, avec dix sans-faute (sur vingt-quatre partants, ndlr), mais nombre de favoris ont tout de même commis des fautes sous le poids de la pression. Techniquement, bon nombre de couples étaient prêts à sauter un tel parcours, parce que le niveau des chevaux comme des cavaliers progresse d’année en année.

La seconde manche était vraiment intéressante, avec un triple (oxer, une foulée, vertical, une foulée, vertical, ndlr) stratégiquement placé (en numéro 8, ndlr), puis cet oxer rouge (le 9, surmontant un bidet, ndlr) et un double vertical-oxer à une foulée (placé en 11, ndlr). C’était exigeant pour les cavaliers, mais fin. De fait, je suis sûr que les chevaux engagés à Bâle pourront repartir en concours dans deux ou trois semaines. Par le passé, les parcours des finales de Coupe du monde étaient vraiment gros, et nos chevaux se retrouvaient vraiment sur les jantes à la fin. C’était encore le cas il y a dix ou douze ans. En 2013 à Göteborg (où l’Italien Uliano Vezzani avait construit les parcours sur la petite piste ovale du Scandinavium, ndlr), par exemple, c’était vraiment énorme. Je n’avais pas monté cette finale, mais j’y étais et m’en souviens encore (au terme d’un barrage qui l’avait opposée au Suisse Steve Guerdat sur Nino des Buissonnets, l’Américaine Beezie Madden s’était imposée sur Simon, ndlr). Depuis, les choses ont quelque peu changé, et le spectacle n’en pâtit pas du tout. Comme toujours, en championnats, la pression provoque plus de fautes que la hauteur des obstacles. Les mêmes parcours, proposés dans un Grand Prix habituel ou même un vendredi dans une qualificative, bien des couples les sauteraient comme si de rien n’était. Là, le scénario était parfait, et on ne peut que féliciter Gérard Lachat.”



Des favoris qui ont craqué ou joué de malchance

“Après avoir réussi de beaux tours, Lillie Keenan a été rattrapée par la pression de l’enjeu. Pour Ben Maher (qui a fauté sur l’oxer 8a, en entrée de triple, ndlr), je ne dirais pas cela. C’est une toute petite faute: Point Break s’est retrouvé légèrement trop enterré pour couvrir le second plan de cet oxer. Ben monte avec un pied cassé depuis deux semaines et ne voulait absolument pas manquer cette finale – l’adrénaline a dû prendre le pas sur la douleur. Idem pour la faute carrément infime de Leone Jei sur le dernier oxer de la première manche. Il a manqué de chance, mais Martin et lui ont aussi tutoyé d’autres obstacles auparavant (et ont commis deux fautes plus franches dans le tout dernier acte, ndlr). Dans notre sport, il faut aussi avoir un petit peu de chance pour gagner.

Cette dernière journée a été décevante pour Henrik von Eckermann (double tenant du titre avec King Edward Ress, ndlr), qui n’est passé si loin avec Iliana. Il a concédé deux petites fautes (sur l’oxer 7 de la première manche, puis l’oxer 9 de la seconde, ndlr). Je dirais que cela illustre la différence entre monter un super cheval et monter un crack. Il a réussi de super parcours aussi, sa jument semblait prête, et lui a gardé ses nerfs, mais cela n’a pas suffi, et je comprends sa déception. Je ne pense pas qu’Iliana aurait obtenu un meilleur résultat avec un autre cavalier, donc il n’a pas à rougir de sa performance.

Concernant Julien, je ne nourrissais aucune crainte au sujet de la pression. Avec la fatigue, Donatello aurait pu lâcher et coucher une ou deux barres, mais pas lui. Il est tellement solide! Sa victoire est vraiment méritée, et je suis content pour lui. De la Chasse à ce dernier parcours, il a tout maîtrisé. C’est en cela que sa victoire est un chef-d’œuvre. Il s’agit de la première victoire française depuis celle de Bruno Broucqsault et Dilème de Cèphe en 2004, ce qui ne gâche rien à la fête. Julien est un cavalier sympa et respecté, qui méritait ce premier grand titre.”



Mention spéciale à Katherine Dinan

“Katherine Dinan a signé le seul double sans-faute de la dernière épreuve (se classant finalement huitième sur Out of the Blue, ndlr), et elle ne l’a pas volé. Je la croise régulièrement en concours aux États-Unis, et elle travaille de longue date avec le Suisse Beat Mändli (après avoir été coachée pendant plusieurs années par McLain Ward, ndlr), ce qui se ressent dans la capacité à bien préparer un cheval pour un tel événement. À Bâle, Katie a aussi fait valoir son expérience, puisque c’était déjà sa septième finale. Cet hiver, elle n’a pas trop concouru, et son cheval est arrivé en grande forme. Elle aurait sous doute pu mieux faire vendredi (le couple avait concédé huit points après avoir fini onzième de la Chasse, ndlr). Dimanche, ce couple nous a offert une démonstration d’équitation à l’américaine: fluide, légère, impeccable et avec cheval à 100% sous contrôle. On avait l’impression que Katie montait une épreuve à 1,35m. C’étaient les deux plus beaux parcours de l’après-midi. Magnifiques.”



Rendez-vous en 2026 au Texas!

“L’an prochain, la finale de la Coupe du monde se déroulera à Fort Worth, près de Dallas, au Texas. Il s’agit d’une tout nouvelle arène couverte, très grande et multifonction. Ses dimensions et infrastructures promettent du grand sport dans les meilleures conditions d’accueil. L’organisateur (Derek Braun, ndlr) est un garçon qui orchestre beaucoup de concours (dont des CSI à Lexington, Santa Fé, Sonoma et Columbus, sous la bannière du Split Rock Jumping Tour, ndlr). Fin 2023, il avait déjà organisé un CSI 4*-W à Fort Worth, mais dans une autre halle, pas vraiment adaptée à un tel événement. Là, ce sera complètement différent. Je pense que ce sera une chouette finale. Si je le peux, je tâcherai de me qualifier et d’en faire un objectif du début d’année 2026. C’est encore loin – je verrai où j’en suis en fin d’été – mais la perspective d’une telle finale donne envie. Et regarder celle de Bâle à la télé n’a fait que renforcer cette envie. Cela m’a donné des frissons. La Coupe du monde a toujours beaucoup compté à mes yeux, et je suis heureux de voir que cette finale l’a ramenée sur le devant de la scène. D’ailleurs, je tire un coup de chapeau aux organisateurs (Andy Kistler à la direction et Thomas Straumann à la présidence, ndlr), qui ont réussi à livrer un CHI-W en janvier puis ce grand CHI-WF avec trois disciplines la semaine dernière, et qui se projettent déjà sur l’étape de Coupe du monde de janvier 2026. Notre sport a besoin d’organisateurs comme ceux-là, et nous devons saluer leur engagement. C’était une belle finale. Vivement la prochaine!”

Les résultats
Le parcours de la première manche
Le parcours de la seconde manche
Notre analyse
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