Patrick Rabot, le talentueux éleveur de Mescam, s’en est allé
Patrick Rabot est décédé mercredi à l’âge de soixante-seize ans. De la fin des années 1970 à 2012, cet ancien architecte en construction navale avait fait naître plus de trois cents produits sous l’affixe de Mescam, à Saint-Rivoal, dans le Finistère. Très engagé au service de la filière, il avait notamment fondé la Fédération régionale des éleveurs de chevaux de sport de Bretagne (FEDEB). Jean Hemonic, actuel président de l’association, lui rend hommage.
Patrick Rabot s’en est définitivement allé. Treize ans après avoir vu naître son dernier poulain, Celtic de Mescam (ISO 145, SF, Ugano Sitte x Quiniou), l’éleveur breton s’est éteint des suites d’une forme de la maladie de Parkinson mercredi dans sa Bretagne chérie. Authentique passionné de cheval de sport, il avait notamment fait naître les Selle Français Moka de Mescam (ISO 174, Melkior du Montois x Quouglof Rouge) et Tolède de Mescam*Harcour (ISO 175, Mylord Carthago x Kouglof II), exceptionnels sous les selles respectives de Juan Carlos García et Kevin Staut.
Rien ne prédestinait Patrick Rabot à connaître un tel succès dans une filière à laquelle il ne connaissait rien, ou pas grand-chose. Issu d’une famille étrangère au monde du cheval, fils d’un officier de marine, il avait entamé sa vie professionnelle comme architecte en construction navale. “J’ai vécu deux ans au Congo, où je retapais les bateaux massacrés par les conflits liés à l’indépendance (après avoir subi plus de quatre-vingts ans de colonisation française, le pays d’Afrique centrale a proclamé son indépendance le 15 août 1960, ce qui a engendré une longue période de heurts et d’émeutes, ndlr). Ensuite, j’ai travaillé aux chantiers navals de Saint-Nazaire”, avait-il racontait à GRANDPRIX dans un article paru en 2022. “J’avais toujours rêvé de créer un élevage, mais je ne venais pas du tout du monde agricole. Un jour, j’ai vendu la maison que nous avions fait construire en Loire-Atlantique et me suis installé ici.”
Comptant une quarantaine puis quatre-vingts hectares, la propriété avait d’abord hébergé un élevage... de lapins! “Cela ne demandait pas trop de terres et c’était facile d’accès”, justifiait l’intéressé, qui en vendait alors la chair et la fourrure. Les équidés étaient arrivés en 1978. “J’ai commencé en faisant quelques bonnes affaires avec des poneys Connemara, dont la souche était vraiment prometteuse. Hélas, ils ne se vendaient pas aussi bien qu’aujourd’hui”, le circuit Poneys ayant vécu son grand boom dans les années 1990. Parmi ses produits les plus réputés, citons Arlequin de Mescam (Co, Gulf Stream x Moyglare Bruff), étalon qui a engendré près de deux cents produits, dont cinq sont indicés au-dessus de 140: Ixigrec Mahoud (IPO 144, mère par Blue Horizon, Ps), Jituva de Montjoie (IPO 156, Co, mère par Jumbo), Lady du Janlie (IPO 152 et IPC 129, mère par Glorieux Jour, TF), Odyssée du Courtil (IPO 154, Co) et Quadrette (IPO 146, OC).
Une pionnière nommée Jadida
Après avoir goûté aux poneys, Patrick Rabot s’était tourné vers les Selle Français. La première à débarquer dans son cheptel s’appelait Geisha J (SF, Taquin x Rantzau, Ps). L’alezane, née chez Louis Lemare, lui avait donné sept produits, dont Quellia de Mescam (ISO 156, SF, Kissovo). “Quellia était excellente, très précoce”, se remémore son naisseur. “Elle a été la meilleure jument de vitesse en France (avant d’être vendue à Jérôme Gachignard, ndlr). Elle était imbattable jusqu’à 1,45m!” Trois mois plus tard était arrivée Jadida (SF, Tremolo, Ps x À C’T’Heure), à l’origine de l’une des deux meilleures souches de Mescam. Achetée en 1981 à Jean-Michel Allanic, et née chez Charles Comparat, alors directeur du Haras national de Hennebont, la baie avait débarqué pleine à Saint-Rivoal. En 1982 était né son premier poulain, Quilimar de Mescam (SF, Kouglof II). “C’est l’ancien propriétaire qui m’avait demandé de lui donner ce nom car il s’agissait de son lieu-dit, à Moëlan-sur-Mer”, avait expliqué Patrick, qui avait également accueilli cette année-là sa deuxième fille, Élodie – la première, assistante sociale à Rennes, ayant vu le jour quatre ans plus tôt –, née de l’union avec son épouse Françoise. Assez caractérielle mais facile à monter, la fille de Kouglof II avait vite performé en compétition avec Bruno Rocuet, alors en pleine ascension avec l’excellent étalon Ryon d’Anzex (ISO 165, AA, Massondo x Dandy du Verger), que Patrick avait d’ailleurs lui-même exporté en Italie. “Quilimar était le deuxième cheval du piquet de Bruno”, se réjouissait son naisseur. “Avec deux premiers produits tels que Quilimar et Quellia, j’avais évidemment envie de continuer... C’est à cause d’elles que je suis devenu éleveur. Quelle connerie!”, ironisait-il en 2022, sans même changer de ton.
Avec Bruno Rocuet, l’homme de Mescam avait intensément collaboré, à la fois pour le commerce, le sport et l’élevage. “C’était un excellent cavalier, qui savait repérer un bon cheval très vite – je n’avais jamais vu ça!”, reconnaît le Breton. “Il débutait, tout comme moi, donc nous effectuions des tournées dans la région, allions en Normandie et en Vendée pour trouver des chevaux... Ensemble, nous avons notamment vendu Titi de la Bécane (ISO 168, SF, King’s Road, Ps x Ukase) à cinq ans, pour François Leiser”, mécène belge de son compatriote Philippe Le Jeune et du Suisse Pius Schwizer. Bruno Rocuet avait également permis à Patrick Rabot d’acquérir Nymphe Nantaise (SF, Double Espoir x Pesant d’Or, AA), une jolie alezane née à Nantes, chez Catherine Le Forestier. Si elle avait déjà donné naissance à Vick Condor (SF, El Condor, Ps) à sa naisseuse, ses sept autres produits ont grandi à Saint-Rivoal, dont Isis de Mescam (ISO 127, SF, Quouglof Rouge). Isis s’était consacrée à l’élevage chez la famille Etter, en Suisse, après une carrière internationale honorable avec le Brésilien Pedro Nolasco, alors installé en Belgique. Avant de découvrir la compétition, elle avait donné à Patrick Rabot un certain Moka de Mescam (ISO 174, SF, Melkior du Montois). “Melkior était un étalon du coin, que j’avais initialement choisi pour produire un cheval d’amateur en le croisant avec Isis... Comme quoi, on n’a vraiment que 5% de mérite dans la réussite d’un cheval!” Moka compte parmi les plus belles réussites de l’élevage, ayant brillé jusqu’en CSI 5* avec l’Italo-Colombien Juan Carlos García. En tout, le couple a gagné pas moins de seize épreuves internationales, dont le Grand Prix secondaire du sublime CSIO 5* de Rome, en 2015.
Parmi ses plus beaux coups de poker, Patrick Rabot avait également été le propriétaire momentané d’une belle jument baie nommée Sirène d’Espoir (SF, Ukase x Quastor), mère d’un certain Lamm de Fétan (ISO 180, SF, Fergar Mail), lauréat du Grand Prix CSI 5* de Valence et de la mythique Coupe des nations du CSIO 5* d’Aix-la-Chapelle avec Timothée Anciaume. Si la majorité des produits de Patrick Rabot ont brillé en saut d’obstacles, certains ont été indicés en... endurance! “C’est vraiment arrivé par hasard”, commentait le principal intéressé.
Une pépite nommée Alimar
En parallèle, Patrick Rabot avait continué d’améliorer la qualité de la souche de Jadida, et reproduit le croisement de Quilimar avec Kouglof II. C’est ainsi qu’était née Alimar. “Elle était plus grande que Quilimar, avec plus de force dans le dos. Elle manquait un peu de souplesse, mais avait malgré tout un beau modèle, donc j’ai choisi de la consacrer directement à la reproduction”, avait décrit son naisseur. En tout, Alimar lui avait offert treize produits, dont Keepcool de Mescam (ISO 141, Voltaire), Pretty de Mescam (ISO 141, Hélios de la Cour II), Relmar de Mescam (ISO 128, Gold de Bécourt), Ulimar de Mescam (ISO 124, Mylord Cartago), Vilmar de Mescam (ISO 137, Quartz du Chanu), et surtout Tolède de Mescam (ISO 175, SF, par Mylord Carthago). “J’ai choisi Mylord Carthago (ISO 178, l’ancien crack de Pénélope Leprevost n’avait alors que sept ans, ndlr) car il avait bon caractère et un dos assez long, ce qui correspondait assez bien à Alimar”, explique Patrick Rabot. “Pour autant, il n’y a pas de croisement idéal. La preuve: la propre sœur de Tolède n’a pas autant performé.”
Encore pouliche, la grise avait été proposée aux ventes aux enchères de Pontivy, dans le Morbihan, sans trouver preneur... “Personne n’en voulait!”, s’était étonné Patrick. “Il est vrai que les produits de cette souche sont assez tardifs et pas extraordinaires en liberté. De fait, ce n’était pas une très belle pouliche, mais elle montrait déjà de belles aptitudes. Du coup, je l’ai rachetée pour 2.500 euros!” Tout juste débourrée, la belle grise avait attiré l’œil de Caroline et William Benguigui, gérants des écuries Harcour, situées à une vingtaine de kilomètres du Mans. Après une première visite à Saint-Rivoal, l’affaire avait été conclue pour 11.000 euros. Formée par Jérôme Chartier, Tolède avait obtenu de bons résultats en CSI avec Thomas Rousseau et Tony Cadet, avant de briller au plus haut niveau pendant plusieurs saisons avec Kevin Staut. Classé dans nombre d’épreuves majeures, la paire avait même obtenu une seizième place dans l’immense Grand Prix d’Aix-la-Chapelle. “Elle a été extrêmement bien gérée”, avait salué son naisseur en 2022. “Elle est tombée entre de bonnes mains au bon moment. C’est exactement ainsi que nous l’aurions gérée si elle était restée à la maison.”
Après avoir fait naître plus de trois cents équidés, en 2012, Patrick Rabot avait décidé de tourner la page de l’élevage et de prendre sa retraite. “J’ai donné toutes mes poulinières. Et même en les donnant, j’ai eu du mal à trouver des gens intéressés. Alimar, par exemple, a été offerte à de petits éleveurs qui n’ont jamais réussi à la faire féconder, alors qu’elle était un vrai métronome...”
“Je n’aime pas spécialement que l’on parle de moi...”, disait le Finistérien, un poil rustre mais fort charismatique et très drôle. “Franchement, il ne faut pas être particulièrement doué pour réussir en élevage. Moi, j’ai eu 90% de chance. Il faut simplement essayer de trouver des chevaux avec un bon caractère, et dont les lignées ont déjà fait un minimum leurs preuves. Ensuite, c’est le hasard! Fernand Leredde (éleveur et fondateur du haras des Rouges, ndlr), à qui j’avais acheté l’une de mes premières poulinières, avait cette théorie selon laquelle les chevaux caractériels produisaient des cracks. Je ne suis pas sûr que ce soit vrai, car les plus difficiles ne se vendent pas facilement, et la carrière d’un cheval dépend aussi de là où il tombe. En tant qu’éleveur, on s’attribue souvent des mérites que l’on n’a pas”, aimait-il à philosopher.
Très engagé au service de la filière, il avait notamment fondé la Fédération régionale des éleveurs de chevaux de sport de Bretagne (FEDEB) il y a tout juste trente ans et administré l’Association nationale du Selle Français. “Il a profondément marqué l’élevage breton et le Selle Français par ses compétences, son dynamisme et son engagement”, souligne aujourd’hui Jean Hemonic, actuel président de la FEDEB. “Patrick avait toujours rêvé d’être éleveur. Arrivé dans l’association du Sud-Finistère en 1994, qu’il avait déjà présidée. En 1999, il été devenu président de la FEDEB après l’avoir cofondée.” Au niveau régional, il avait créé un corps de juges des concours de modèles et allures, qu’il avait continué à suivre, mais aussi encouragé le développement des ventes de Dinard et Rennes. Il avait aussi participé activement à la création de la Fédération nationale du cheval. “Il était toujours resté au conseil d’administration et la vice-présidence de la FEDEB. C’est aussi pourquoi j’ai accepté la présidence lorsque les éleveurs ont voulu que je la prenne.”
“Conscient d’appartenir à un terroir breton au fort caractère, Patrick aimait à parler de tous les élevages bretons ainsi que de leurs poulinières”, reprend Jean Hemonic. “Il fut un ami pour beaucoup d’entre nous, et je reçois beaucoup de message ces derniers jours pour saluer sa mémoire. Nous avons toujours respecté son choix de se retirer tant il a fait pour l’élevage breton. L’élevage de Mescam perdure via ses produits. Il envoyait toujours des petits messages quand il y avait de bons résultats. Mon seul regret est de ne pas avoir pu le saluer avant son décès.”
Un dernier hommage sera rendu à Patrick Rabot ce lundi 14 avril à 10h30 au Pôle funéraire de Saint-Thégonnec, dans le Finistère.
GRANDPRIX adresse ses plus sincères condoléances à la famille, aux proches et aux nombreux amis du défunt.
