Produire des chevaux de petite taille est-il l'avenir de l'élevage du poney de sport?
Ce n’est plus un secret pour personne: pour performer au plus haut niveau en saut d’obstacles à poneys, il est devenu impératif d’être équipé d’équidés ressemblant le plus possible à des chevaux, en termes de rayons, d’amplitude et d’action. Les derniers championnats d’Europe, fin juillet 2024 à Opglabbeek, n’ont pas démenti cette certitude, avec un podium individuel composé exclusivement d’animaux d’origines 100% cheval. Les éleveurs de poneys de sport intéressés par le haut niveau doivent-ils irrémédiablement changer leur fusil d’épaule et faire naître des chevaux de toute petite taille?
Au sens réglementaire de la compétition, un poney est un équidé respectant la limite de taille maximale d’1,499 m ferré. Il peut donc être issu de toute race de poneys ou de chevaux. Respecter ce critère incontournable rend la tâche de l’éleveur de poneys de sport plus ardue que celle de l’éleveur de chevaux de sport – sans parler de la facilité d’utilisation, critère encore plus essentiel chez les poneys, destinés à des enfants et adolescents. Pour chaque catégorie de taille, le marché demande logiquement d’être le plus proche possible de la limite supérieure. Viser si juste dans la fenêtre de tailles attendues par les utilisateurs, avec tous les aléas des croisements, de la génétique, de la croissance et les multiples autres critères à prendre en compte pour produire un très bon poney de sport, n’est pas une mince affaire.
Jusqu’à la fin des années 2000, l’élevage français du poney de sport, tiré par le Connemara, originaire d’Irlande, était à la traîne par rapport à celui d’autres pays par ailleurs leaders – comme la France – de l’élevage de chevaux de sport. Les éleveurs d’autrefois ignoraient même tout simplement ce qui se faisait en Irlande, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique. Dans les compétitions internationales, les cavaliers de l’Hexagone étaient à la peine, écrasés par leurs homologues européens, qui montaient de vraies bombes.
Deux événements ont révolutionné les mentalités, la sélection et l’élevage du poney de sport en France : l’apparition du Syndicat Linaro en 1998 (Jean-Marc Lefèvre et Guillaume Levesque, auteur de cet article, en furent les initiateurs, ndlr), devenu en quelques années leader sur le marché de l’étalonnage en France et en Europe grâce à l’acquisition audacieuse d’une bonne partie des meilleurs reproducteurs poneys et petits chevaux étrangers ; et de façon presque concomitante, les activités de l’Association française du poney européen de sport, de 1997 à 2000, avec ses fameux bulletins d’information ouvrant les perspectives françaises vers d’autres cultures et pratiques de croisements, également défendues dans les colonnes du magazine L’Éperon.
Le bond en avant du Poney Français de Selle
En quelques années, le Poney Français de Selle (PFS), race française assumant ces croisements, a surpassé le Connemara sur les terrains de concours. Et en 2011, au bout de trente-trois ans d’existence des championnats d’Europe courus sous l’égide de la Fédération équestre internationale (FEI), la France a remporté son premier titre individuel, en concours complet, avec l’étalon PFS Mon Nantano de Florys*SL (Nantano*SL, Poney de selle Allemand x Hand In Glove, Ps) aux rênes de Luce Bentejac à Jaszkowo en Pologne. En 2014, l’étalon PFS Quabar des Monceaux (Nabor et mère SF par Rosire) a été lui aussi sacré champion d’Europe, en saut d’obstacles cette fois, avec Ninon Castex à Millstreet, en Irlande. L’année suivante, le hongre Connemara part-bred (croisé) Shamrock du Gîte (Welcome Sympatico*SL, Hanovrien x Kid de Garenne, Co) a lui aussi permis à sa cavalière, Justine Maerte, de se parer de l’or individuel à Malmö en Suède. Enfin, en 2021 à Strzegom en Pologne, Vedouz de Nestin (Connemara part-bred par Impérial du Blin*SL, Co et une mère SF par O Malley) et Jeanne Hirel ont à leur tour rapporté deux médailles d’or à la maison.
Le sang cheval introduit dans le PFS et les sections part-bred des races dites pures, la sélection, avec l’aide des meilleurs étalons étrangers, dans les élevages de Connemara et accessoirement New-Forest (voire Welsh pour les catégories de tailles inférieures) ont ainsi permis à l’élevage tricolore de se positionner sur les podiums des meilleurs berceaux européens de poneys de saut d’obstacles et de concours complet, encore derrière l’Irlande sans doute et peut-être ex æquo avec les Pays-Bas et/ou l’Allemagne.
Difficile de sortir des cracks en France?
Les exemples précédemment cités, révélateurs du sursaut français, pourraient toutefois demeurer des exceptions sans nouvelle réaction des éleveurs. De fait, il est indéniable que la France peine encore à produire de véritables cracks capables de concurrencer les meilleurs poneys irlandais, allemands, néerlandais et belges. On parle bien ici de la niche du très haut niveau, qui concerne quelques poneys par pays en Europe mais attire toutes les convoitises, forçant l’admiration et participant à la formation de vrais pilotes qui passeront beaucoup plus facilement et avec succès à cheval et que l’on revoit régulièrement, quelques années plus tard pour les meilleurs d’entre eux, performer en CSI5*. Le constat est devenu très clair: pour pouvoir briller en finale individuelle des championnats d’Europe, qui reste l’épreuve suprême à nulle autre pareille chez les poneys, il faut de purs chevaux de très petite taille ou, en tout cas, des poneys très empreints de sang cheval, capables de réussir des sans-faute à 1,40m ou 1,45m.
Lors des derniers Européens, qui se sont tenus fin juillet 2024 à Opglabbeek, en Belgique, sur des parcours dignes de petits Jeux olympiques, avec de superbes obstacles, des enchaînements techniques et difficiles, la femme ou l’homme de cheval – mais pas de poney – aurait été fort surpris·e en observant de près les stars de la finale individuelle, sous la selle comme en main lors de l’inspection vétérinaire. Qu’ont encore ces montures de poney? Juste la taille. De fait, sur les vingt-sept qualifiés pour la finale dont on connaît les origines, douze ont un pedigree comptant 100 % de sang cheval. Quant aux quatre finalistes sans origine connue, ils ressemblaient complètement à des chevaux. De même, le podium a récompensé trois cavaliers montant de purs chevaux: Double Pleasure (Follow Me, Westph x Quidam de Revel, SF), un irlandais du Breeders Elite Studbook for Irish & European Sporthorses, Elando van de Roshoeve (Rebus G, KWPN x Quickfeuer van Koekshof, BWP), un belge du BWP, et Inez (Entertainer, KWPN x Calvaro, Holst), un néerlandais du KWPN.
Comment expliquer cette domination ? Dans l’absolu, les chevaux ne sautent pas mieux que les poneys, mais les rayons et la force dont ils sont porteurs sont nécessaires pour affronter avec suffisamment d’aisance le niveau de technicité, les cotes, la largeur des oxers et les distances proposées dans les tours les plus ardus. Ce constat prévaut également dans les catégories de taille inférieures. Par exemple, à l’observation des croisements entre des poneys B et D pour produire du C.
Une tendance accentuée par le nouveau règlement du toisage
Concernant les poneys D, les plus grands, la présence accrue, sur le circuit européen, de petits chevaux ou de très grands poneys très imprégnés de sang cheval fut encore plus frappante lors des derniers championnats d’Europe, et cette tendance ne fera probablement que se confirmer, car elle résulte du nouveau règlement de la FEI concernant la toise, qui permet aujourd’hui de voir sur les terrains des poneys mesurant jusqu’à 1,54 m. Avant cette réforme, entérinée en 2020, on toisait systématiquement les poneys sur place pendant les championnats d’Europe avec un maximum d’1,51 m ferré, soit 1,49 m avec une tolérance de 2 cm.
Désormais, la FEI fixe la limite à 1,499 m ferré et organise des sessions de toisage en amont au cours de l’année dans les différents pays européens. Paradoxalement, cela a permis l’arrivée en CSIP d’équidés mesurant en réalité jusqu’à 1,53 m, voire 1,54 m. En effet, avec des pieds parés très courts – pas au point que le poney boite, puisque les deux vétérinaires toiseurs vérifient, théorique- ment en tout cas, que les poneys marchent, voire trottent, correctement –, des fers tout fins, voire encastrés, une formation à une présentation en main favorisant l’abaissement du garrot et une mise au repos de deux ou trois mois avant le toisage – la musculature augmentant la taille – on peut faire passer pratiquement tous les poneys toisant 1,52 m en conditions normales. Mieux: selon leur morphologie, leur façon de se tenir ou leur capacité à bien vouloir se présenter favorablement, certains équidés mesurant jusqu’à 1,54 m, dans certains cas, parviennent à être toisés 1,499m le jour J. Sûrement pas un jour de compétition, mais le jour J du toisage – qui n’a plus lieu qu’une fois dans la vie d’un poney âgé d’au moins huit ans – avec l’expertise et la préparation adéquates.
Les effets de cette évolution réglementaire sont manifestes au bout de quatre ans. Est-ce néfaste ? Peut-être pas, compte tenu de la taille des adolescents d’aujourd’hui. La règle est en tout cas la même pour tous. C’est le jeu. Dans les conditions actuelles de toise, si la taille maximale était d’1,45m avec fers, on verrait des poneys d’1,48 m sur les terrains. Si la taille maximale était d’1,52m, on verrait des poneys d’1,55 m. Il se trouve que le règlement de la FEI, sur lequel s’alignent logiquement ceux des fédérations nationales, l’a fixé à 1,499m et que cela autorise des équidés d’1,52m, voire un peu plus, à concourir en épreuves Poneys. Sportivement, la nouvelle règle change significativement la donne, car elle ouvre ces compétitions à davantage de chevaux restés anormalement petits. De fait, on peut assez aisément repérer sur les circuits nationaux des chevaux de grande qualité et anormalement petits, qui font exception dans leur famille, et les orienter vers le circuit Poneys après le toisage impératif.
“Le pedigree des poneys m’importe peu: ce que je veux, c’est un poney qui ressemble à un petit cheval et qui soit le plus grand possible”, déclare sans ambages l’incontournable Katrina Moore, sélectionneuse nationale de 1995 à 2014 de l’équipe britannique de saut d’obstacles Poneys – rarement vaincue depuis 1978 et aujourd’hui gérée par Clare Whitaker. “De ce fait, je recherche en permanence de purs chevaux de grande qualité qui n’ont pas assez grandi, toisant entre 1,50 m et 1,52m et étant donc susceptibles d’être mesurés moins d’1,50 m le jour d’une session de toisage FEI. Il leur faut un super galop, beaucoup d’équilibre et énormément d’action – en plus de toutes les qualités habituelles d’un bon cheval ou poney de sport : puissance, respect, rapidité, volonté, etc.”, conclut celle dont l’époux, Jason, voit presque chaque année l’un de ses élèves intégrer l’équipe britannique.
Gérant du centre équestre de la Roche, dans la Loire, Patrick Vallat, coach de plusieurs cavaliers de niveau Grand Prix, ne dément pas l’Anglaise. “Les meilleurs poneys sont définitivement de petits chevaux. J’en suis désolé pour les éleveurs qui travaillent leurs pures souches poneys depuis des générations, mais c’est la réalité qui s’impose en sport”, analyse le père de Nohlan, sacré champion d’Europe par équipes en Poneys en 2021 sur Daenerys d’Hurl’vent (PFS, Roudoudou d’Hurl’vent x Quidam de Revel) puis en Juniors l’an passé sur Éole Cyclamen (SF, Malito de Rêve x Fidelio du Donjon). “Même les croisements entre poneys et chevaux ne ramènent pas toujours suffisamment d’action: croiser une petite Welsh avec un étalon cheval donne des poneys parfois trop Welsh en termes de locomotion, par exemple. Ce n’est pas une question de taille: j’ai fait travailler et beaucoup observé de très grands Connemara irlandais, y compris hors taille, qui n’avaient pas pour autant l’action suffisante. Inversement, il y a de grands chevaux qui n’ont pas d’action ou ne sautent pas ce que certains poneys sautent. Un petit cheval doté d’une grande action, on peut rassembler son galop, le tendre et aller sauter d’énormes obstacles, ce qui fait toute la différence. Par ailleurs, il faut reconnaître que cette grande action induit une équitation d’un autre niveau : c’est à la fois beaucoup plus formateur et beaucoup plus exigeant pour les cavaliers.”
Coach des très performants sœur et frère Victoria et Jordan Scherbakov, membres de l’équipe suisse, et gérante d’une écurie de concours établie à Évian, Katy Jarret n’hésite pas à affirmer: “Concernant la taille des poneys autorisés sur le circuit international, tant que l’on peut jouer avec les limites, on serait bête de s’en priver !” Et la mère de Baptiste Eichner, médaillé d’argent avec l’équipe de France aux derniers championnats d’Europe Jeunes Cavaliers, de continuer: “Les petits chevaux ont davantage de rayons, plus de braquet et donc plus d’action, d’amplitude et de trajectoire. Au milieu d’un gros triple, quand sa monture donne le coup de jarret nécessaire pour couvrir et éviter une faute, on est content!”
Faut-il rationnaliser l'élevage de petits chevaux?
Face à ce constat, comment doivent réagir les éleveurs de poneys intéressés par le très haut niveau ? Il leur faut nécessairement s’adapter à la demande et tenter de produire ces petites pépites de très haut niveau. Quitte à abandonner leurs souches traditionnelles? À eux d’y réfléchir et, pourquoi pas, de tenter de rationnaliser la production de chevaux nés petits par hasard, comme ont été standardisés les croisements entre poneys et chevaux il y a quelques années.
Parmi les meilleurs éleveurs français de poneys, certains ont suffisamment de chance ou de talent pour voir au moins un de leurs produits participer aux championnats d’Europe, et ont donc l’opportunité de se forger un avis sur la question. Pour Jean Drexler, sextuple leader du palmarès des éleveurs et œuvrant avec son épouse Marie- Claude, “plus un poney a de sang cheval (du bon, bien entendu), mieux il saute”. Le créateur de l’élevage d’Hurl’Vent, dans la Drôme, n’en démord pas: “J’utilise des ponettes B de qualité que je croise avec des chevaux: j’obtiens des C que je recroise avec un cheval et j’obtiens au bout du compte des poneys présentant 75% de sang cheval. Ce taux atteint même 90% chez certaines de mes pouliches. Si l’on arrive à produire de purs chevaux dans la taille poney pour le très haut niveau, pourquoi pas ?”, ose le naisseur de trois poneys sélectionnés aux championnats d’Europe (un en complet et deux en jumping, dont la dernière est Daenerys, qui a obtenu un IPO 186 en 2021). “Pourquoi se l’interdire ? Il faut y aller à fond!” Et d’avertir: “Bien sûr qu’avec ce type de croisements et de démarches, on peut obtenir des hors taille, mais cela vaut le coup de prendre le risque. Produire des poneys de Poney Élite (1m) ou d’As 2 (1,10 m), tout le monde sait faire. Mais ce n’est pas cela qui fait rêver. Sans compter l’aspect économique (les poneys de très haut niveau se vendent plus de 200000 euros, parfois plus de 500000 et même d’un million, ndlr). Or, en pur poney, je ne sais pas produire un crack.”
Ce constat pourrait choquer les adeptes du poney d’antan et de ses caractéristiques premières, qui préféreraient sûrement voir les parcours de haut niveau adaptés à la morphologie de ces équidés plutôt que d’observer leurs exigences sans cesse augmenter. “Je ne suis absolument pas gêné que la génétique d’un poney puisse provenir totalement de races de cheval”, déclare Christian Morel, à la tête du renommé élevage de Blonde, en Haute-Saône. “La production de poneys de sport, ce n’est qu’une affaire de respect de la taille maximale. Mon objectif, c’est de produire des poneys au look et aux caractéristiques de chevaux de petite taille, avec deux ou trois qualités supplémentaires, comme la facilité. Pour cela, il faut de la galopade et de la force. Un beau cheval de sport, ce n’est pas un Connemara!” Et d’enchaîner: “J’ai fait naître la très bonne ponette C Fredaine de Blonde (PFS, Scandix, Han x Ultra du Rouhet, AA), à 75% de sang cheval, sur la souche de la Welsh B Mélodie de Courcelles (Vinci du Logis x Burstye Saturn). Avant de l’exporter en Irlande, où elle a vécu une très belle carrière sportive, je l’ai fait saillir à deux ans par l’étalon Oldenbourgeois L’Arc de Triomphe et j’ai obtenu Incredible de Blonde, à 87,50 % de sang cheval donc, et qui toise 1,47m. Celle- ci, je la croise à des étalons poneys, mais je l’adresserai peut-être à Balou Star (Old, Balou du Rouet x Quick Star), ce qui me donnerait un poney ayant 93,75% de sang cheval. Quant à sélectionner de purs chevaux de taille poney, personne n’est empêché de le faire, mais je suis trop vieux pour initier cela.” L’éleveur de soixante-dix ans conclut néanmoins: “L’apparition récente du génotypage du gène majeur de la taille au garrot pourrait en tout cas aider dans ces démarches de sélection. J’ai fait tester plusieurs de mes poneys et Incredible est d’ailleurs « petit x petit ».”
Tenter de produire de purs chevaux de moins d’1,50m n’est sûrement pas la piste la plus aisée ni la plus accessible à tous. De ce fait, elle ne constituera sûrement jamais une vague de fond. Mais ne pourrait-elle devenir la démarche de sélection des éleveurs les plus audacieux ?