“Il faut soutenir les cavaliers dans leur combat”, Éric Louradour
À trois jours de l’ouverture de l’assemblée générale de la Fédération équestre internationale (FEI), Éric Louradour, ancien entraîneur national des équipes italiennes Enfants, Juniors et Jeunes Cavaliers de saut d’obstacles, mais aussi de plusieurs grands cavaliers, dont José Larocca, Edward Levy et Christina Liebherr, a décidé de prendre la parole. Le collaborateur et ancien assistant de Georges Morris soutient pleinement la mobilisation menée notamment par le Suisse Steve Guerdat, le Français Kevin Staut, le Belge François Mathy Jr, les Suédois Malin Baryard-Johnsson et Henrik von Eckermann, le Néerlandais Jeroen Dubbeldam ou encore l'Allemand Ludger Beerbaum. Sous la bannière du Club des cavaliers internationaux de jumping (IJRC), présidé par la Suissesse Christina Libherr soutenu par plusieurs fédérations européennes, ceux-ci réclament notamment un classement mondial plus juste, qui ne tiendrait plus compte que d’une épreuve par jour de concours au maximum et qui exclurait les CSI fonctionnant avec plus de 20% de wild-cards et pay-cards. Éric Louradour évoque également la formation des jeunes chevaux ou les revers de démocratisation de l’équitation. Grand Prix publie sa lettre ouverte en intégralité.
L’argent ou le pouvoir ne doivent absolument pas en être les locomotives, guidées par certaines personnes qui en sont avides ! Celles-ci nous mèneraient, nous professionnels, à notre perte et n’inciteraient pas un grand nombre de personnes à se passionner pour les chevaux, l’équitation ou les sports équestres. Cela vaut aussi au niveau amateur… Aujourd’hui, notre milieu manque d’acteurs bienveillants et bien intentionnés, de dialogue et de concertation avant la prise de décisions qui peuvent se révéler tragiques pour le futur… Ne voyant que leurs intérêts personnels, quelques personnes illustres ou de pouvoir veulent imposer leur vision au détriment du sport. Lancé dans une course aux points pour le classement mondial, ou à l’argent, le haut niveau devient un réel cirque commercial où se mélangent, certes, quelques superbes champions, mais aussi des amateurs richissimes et peu éclairés qui ne font le bonheur que de l’organisateur et non du spectateur. Pour les autres, qui ne peuvent pas participer à ces beaux concours, la quête de points pour se maintenir ou s’élever au classement mondial devient un véritable casse-tête face à ces cavaliers qui y accèdent seulement par le biais de l’argent et de sponsors importants.
Ce système fait perdre la motivation à bien des cavaliers qui pensent ne plus jamais pouvoir accéder au grand sport, qui leur semble désormais réservé à des gens très fortunés. Même parmi ces derniers, certains pensent ne plus l’être assez, vu les tarifs demandés pour participer aux plus beaux concours, ou pire encore, ils ont le sentiment d’être devenues de véritables “vaches à lait”. Ainsi la passion et la motivation finissent par s’estomper… Mais où est donc passé la vocation, la passion, le dévouement, l’honnêteté, le courage, la responsabilité, le bon sens et surtout le sens commun ?
Des CSI 5* trop nombreux ou trop fermés
En avril 2013, j’écrivais déjà une lettre ouverte intitulée “Où va-t-on?”, dans laquelle je m’insurgeai de la direction que prenaient notre sport et le monde équestre en général. Aujourd’hui encore, je ressens le devoir de réagir, jugeant, à mon humble avis, que la route n’est pas bonne. Par exemple, il me semble que le haut niveau devient stressant également pour les chevaux. Ces derniers sont trop sollicités. Les difficultés techniques ne faisant que s’accroître, ils subissent pour offrir du spectacle. Soit il y a trop de CSI 5*, soit il faudrait qu’ils soient ouverts à bien plus de cavaliers et pas toujours aux mêmes ! Les plus grands passionnés, les spectateurs et téléspectateurs se blasent à force de voir toutes les semaines leurs stars… Il faudrait que certains chevaux ou cavaliers d’exception se fassent plus rares et que les observer ou les applaudir redevienne pour nous un véritable privilège. Cette méthode d’homme de cheval d’antan permettra aux cavaliers de retrouver une image de centaure, de prodige et d’artiste respectant leurs chevaux en se focalisant sur les grands événements. C’est exactement ce que fait Steve Guerdat! En effet, il fait partie des tout meilleurs cavaliers du monde (il est classé onzième en novembre, ndlr) sans participer au LGCT. Il prépare ces chevaux en CSI 2 et 3* en vue des événements majeurs, ce qui lui a permis d’accumuler des médailles, et d’être le meilleur cavalier du monde en CSIO et Coupes des nations cette année.Puisque nous sommes dans une période de réflexion, j’en profite également pour vous faire part de réflexions personnelles qui me laissent pensif et qui ne concernent pas seulement le haut niveau. Travaillant depuis bientôt quarante ans dans le monde du cheval et au niveau international, j’observe énormément l’évolution de notre milieu et ce dans différents pays. Je constate un manque d’uniformité, d’égalité et de prévoyance dans certains d’entre eux. Quelques orientations ou règlements décrétés par certaines fédérations nationales ou organismes dirigeant certains secteurs me laissent perplexe.
Une meilleure formation des jeunes chevaux
En premier lieu, je citerai les concours Jeunes Chevaux. De plus en plus, aux Pays-Bas, en Belgique et dans quelques autres pays, des concours d’entraînement sont organisés en semaine, formant un circuit parallèle au circuit classique, non “ponctionné” par les fédérations nationales concernées... Ces entraînements permettent également une réelle formation du jeune cheval sans la hantise du résultat publié sur internet ou l’appât du gain. Nous sommes tous conscients que former un jeune cheval est long, risqué et coûteux et que les frais doivent être réduits. Il faut donc trouver des solutions pour maintenir la motivation des éleveurs, qui réduisent malheureusement depuis quelque temps déjà leurs effectifs, mais aussi celle des propriétaires, qui s’épuisent financièrement, et celle des cavaliers de jeunes chevaux, qui voient leur métier disparaître... Il faut également rappeler l’importance d’une réelle formation du cheval, auquel on doit donner sa chance d’évoluer lentement et correctement. Lors de ces rassemblements, le jeune cheval peut reproduire son parcours ou au moins une partie afin de toujours sortir de piste avec une expérience positive.À la décharge des fédérations, un grand nombre de cavaliers n’éduquent peut-être pas assez leurs propriétaires. Les professionnels doivent leur faire comprendre qu’un jeune cheval a droit à l’erreur, qu’il peut être responsabilisé pour apprendre et qu’il commettra donc plus facilement des fautes. Celles-ci l’inviteront à rester concentré, à gérer ses émotions et à devenir plus respectueux. En ce qui concerne le commerce, il appartient aussi aux professionnels de faire comprendre qu’un bon cheval peut ne pas présenter un excellent curriculum ou commettre des fautes mais n’en être pas moins qualiteux. Le seul réel point sur lequel il faut vraiment trouver des solutions reste donc les coûts. Ainsi les mentalités changeront.
Repenser la démocratisation de l’équitation
En second lieu, j’aimerais parler de la démocratisation, voire de la “vulgarisation” de l’équitation. Afin de pousser à la consommation et de remplir les clubs de clients, certaines fédérations entendent faire croire que tout le monde peut monter à cheval et surtout pratiquer notre sport en compétition. Ces discours sont vraiment dangereux! J’ai eu connaissance de personnes se ruinant littéralement pour leur enfant. Pensant avoir affaire à un jeune champion à la maison, certains n’hésitent pas à faire des crédits insoutenables ou même à vendre leur maison pour acheter une voiture capable de tirer un van et dans lequel voyage un cheval qui souffre bien souvent de problèmes physique vu son faible coût d’achat mais qui revient finalement très cher compte tenu des frais d’entretien et de compétition. À la fin de l’histoire, on se retrouve avec un enfant triste ou aigri et des parents désespérés...
En outre, face à cette volonté de démocratisation, il existe une telle rivalité entre les clubs que leurs dirigeants sont contraints de pratiquer des prix au rabais. À la fin, ils n’arrivent même plus à dégager assez d’argent pour offrir des salaires décents ni à leurs employés ni à eux-mêmes, alors qu’ils ne comptent pourtant pas leurs heures de travail… Il est donc indispensable que nos dirigeants nationaux se battent face à des réglementations européennes destructrices pour nos activités. Je pense notamment aux taux de TVA auxquels nous sommes soumis et au PTAC des véhicules légers, qui sont devenus plus confortables pour les chevaux et plus sûrs sur la route.
Nous avons également besoin d’enseignants bien informés et formés pouvant répondre aux besoins de la clientèle et de l’économie actuelle. Il faut inviter ces professionnels à être des personnes responsables et conscientes de l’impact qu’ils peuvent avoir sur l’élève mais aussi sur son entourage. Ils doivent se comporter en vrais hommes de cheval, capables de transmettre avant tout leur amour et leur passion de l’animal, puis de l’équitation – tout type d’équitation, exactement comme une salle de sport qui propose musculation, gymnastique, Body Pump, step ou yoga. Les instructeurs doivent apprendre à “vendre” leurs services sans pousser absolument tous les cavaliers vers la compétition. Après tout, on peut bien apprendre à jouer du piano sans imaginer un jour faire un concert ou apprendre à jouer au tennis sans penser aux plus grands tournois. Tout cela doit se faire dans l’honnêteté et la sincérité, des valeurs que tous les sports doivent véhiculer et que tout enseignant doit posséder.
Malheureusement, force est de constater que le monde équestre est en train de perdre le solide socle éthique sur lequel il reposait par le passé, ou à tout le moins qu’il fait fausse route. Peut être est-ce le monde en général… Souvenons-nous que nous sommes tous venus aux chevaux et à l’équitation par amour et fascination de l’animal, que certains d’entre nous y dédient leur vie sans compter leurs heures ni ménager leurs efforts, unis par une même passion, et qu’en vivre reste un privilège. L’équitation est le plus beau sport au monde car elle inculque bien d’autres valeurs que toutes les autres disciplines classiques. C’est aussi une véritable école de la vie pour apprendre “le vivre ensemble”, un sport qui permet une très grande mixité sociale et où certaines histoires sont dignes de contes de fée.
Je sais de quoi je parle, venant d’un milieu social très bas et d’une famille à problèmes variés. Je suis reconnaissant au monde équestre de m’avoir élevé en m’incitant à rêver, à me structurer, à me dépasser, à aimer la vie et à la vivre avec passion. Grâce aux chevaux, j’ai pu évoluer à tous les niveaux : culturel, social, économique, intellectuel, etc. Et j’ai trouvé le bonheur! À sa recherche, j’ai rencontré des gens exceptionnels allant du simple palefrenier jusqu’à des familles princières ou à certains des personnages les plus puissants de cette planète, mais surtout de grands professeurs, des hommes de chevaux et particulièrement des chevaux. Tous m’ont permis d’être celui que je suis aujourd’hui. Merci donc à eux et à ce milieu pour tous les enseignements qu’ils m’ont offerts et à vous de m’avoir lu. J’espère que mes mots sensibiliseront des personnes qui ont le pouvoir de changer les choses et donneront de la force à l’IJRC et à Steve.
Sportivement vôtre.
Éric Louradour