’’Notre sport part complètement à la dérive’’, Philippe Rozier

À l’occasion de la conférence de presse annonçant le Longines Masters de Paris, plusieurs invités de marques se sont succédés aux côtés de Christophe Ameeuw, le fondateur de la série. Parmi eux, le champion olympique par équipes de Rio de Janeiro Philippe Rozier qui espère bien briller du côté de Villepinte du 30 novembre au 3 décembre. S’il ne pourra compter sur son exceptionnel Rahotep de Toscane, encore arrêté pour blessure, le cavalier de Bois-le-Roi sera présent avec sa nouvelle recrue, Shériff de la Nutria LM et Rêveur de Kergane. Par ailleurs inquiet quant à la direction que prend le sport avec le système d’invitations et le classement mondial, un sujet qui créé la polémique ces dernières semaines, Philippe Rozier s’est confié à GRANDPRIX.  



GRANDPRIX-REPLAY : Le Longines Masters de Paris approche à grands pas, savez-vous déjà sur quels chevaux vous pourrez-compter du 30 novembre au 3 décembre ? 
P.R. : À Paris, je serai présent avec Rêveur (de Kergane, ndlr) et Shériff (de la Nutria*LM, ndlr) normalement. Normalement je ne vais pas courir le Grand Prix Longines, pour la simple et bonne raison que Rahotep de Toscane n’est pas encore performant et que le Grand Prix de Paris est très gros et très difficile. Je n’ai pas vraiment envie d’y faire de la figuration, c’est aussi pour cela que je n’ai pas pris le départ de la Coupe du monde de Lyon au début du mois. Pour ce type d’épreuves, il faut un vrai bon cheval pour se mesurer aux meilleurs cavaliers du monde. Si je rentre en piste, c’est parce que je crois que je peux être sans faute !
 
GPR : Vous êtes un fidèle du Longines Masters de Paris, s’agit-il d’un concours qui vous tient particulièrement à cœur ? 
P.R. : Oui totalement, Paris représente la dernière grosse compétition de l’année en France. C’est l’occasion de fêter la saison et de la clôturer avec tout le public parisien, tout le monde du cheval se retrouve. Certains cavaliers repartent sur d’autres étapes Coupe du monde par la suite, mais c’est le seul moment où la grande famille du cheval se retrouve à la fin de l’année.
 
GPR : Nous vous avons vu plusieurs fois dans l’épreuve caritative où les cavaliers sont déguisés à Paris, est-ce un rendez-vous que vous appréciez particulièrement ? 
P.R. : Oui, quand c’est bien fait et lorsque l’on joue le jeu. À mon sens, il ne s’agit pas simplement de rentrer en piste et de se dire qu’on monte pour une association. C’est pour cela qu’à chaque fois nous avons essayé de faire de beaux déguisements et de jouer le jeu afin que le public nous voit avec une image différente, plutôt qu’avec celle du cavalier un peu coincé. C’est l’occasion de montrer notre côté un peu plus marrant, toujours dans le respect du cheval. Il faut que le public parte en se disant “on a passé une super soirée de sport et les grands cavaliers savent vraiment s’amuser.” C’est une relation avec le public qui est très importante !


“J’avais vraiment dans un coin de la tête la finale Coupe du monde de Paris”

GPR : Savez-vous sur quel cheval vous compterez pour partir à l’assaut du Longines Speed Challenge ? 
P.R. : Normalement ce sera Rêveur qui est un cheval très rapide. Avec ce cheval, je pense avoir une carte à jouer dans cette épreuve !
 
GPR : Vous montez Shériff de la Nutria*LM depuis quelques semaines maintenant, comment le couple se forme-t-il ? 
P.R. : Tout s’est très bien passé jusque-là, j’ai fait un concours national où il était sans faute tous les jours. Je l’ai aussi emmené au CSI 2* du Mans où le cheval a très bien sauté et réalisé de beaux parcours. Pour le moment ce n’est pas encore sur des grosses cotes mais il s’agit de faire connaissance et de créer une complicité avec le cheval dans un premier temps. Il a déjà fait ses preuves avec Julien (Epaillard, ndlr), tous deux ont obtenu de très nombreux résultats. Maintenant il faut voir si le feeling entre lui et moi passe bien. Dimanche dernier, il a encore été deuxième d’une épreuve à Dreux et sans faute dans le Grand Prix. Tous les feux sont au vert !
 
GPR : Rahotep de Toscane n’est pas apparu en compétition internationale depuis le début du mois de septembre, comment va-t-il ? 
P.R. : Rahotep a eu un début de tendinite suite à notre chute dans le Grand Prix du CSI 5* de Valence. Nous sommes mal tombés ce qui a entrainé une petite tendinite sur un postérieur. Rien de grave, mais il fallait l’arrêter tout de suite sinon nous aurions pris de gros risques. Le projet est qu’il saute à nouveau à la fin du mois de janvier, ou début février. Le problème que cela me pose, c’est que j’avais vraiment dans un coin de la tête la finale Coupe du monde de Paris. Peut-être que je pourrai accrocher quelques points en début d’année, si le cheval est en forme il n’y a pas de raison que ça ne passe pas. Ce serait un véritable regret de ne pas pouvoir monter à Bercy, mais un cheval reste un cheval et nous devons le respecter. Je n’ai pas le choix…
 
GPR : Unpulsion de la Hart a récemment été castré, comment se porte-t-il ? 
P.R. : Très bien, il a changé et dans le bon sens. C’est un cheval très gentil, qui n’a pas de réactions d’étalon mais qui ruait beaucoup dans les parcours, ce qui me posait beaucoup de problèmes entre les obstacles. Nous avons vraiment pensé que c’était cela qui le dérangeait, et il se trouve que oui puisque le cheval ne rue plus du tout. Dès les premiers parcours il ne ruait plus, son comportement en compétition a complètement changé. C’est très positif !


“Devoir payer deux millions d’euros pour faire du haut niveau me dérange”

GPR : Le torchon brûle actuellement entre le Club international des cavaliers (IJRC) et la Fédération équestre internationale (FEI), est-ce un sujet qui vous interpelle particulièrement ? 
P.R. : Oui complètement, j’en parlais encore il y a peu de temps avec des amis. Je pense que notre sport part complètement à la dérive. Je suis contre le fait que de nos jours, un cavalier qui veut prouver qu’il est bon doive payer son entrée à un concours. S’il avait dû faire face à un tel système lorsqu’il avait vingt ans, je ne suis pas sûr que Jan Tops aurait été champion olympique. Devoir payer deux millions d’euros pour faire du sport de haut niveau, ça me dérange énormément (le droit d’entrée pour une équipe de la Global Champions League est de deux millions d’euros par saison, ndlr). En ce qui me concerne, je n’ai pas les moyens de le faire, même en étant champion olympique. Je n’ai ni propriétaire, ni sponsor, ni mécène prêt à payer autant pour que je puisse faire mon sport. Je suis donc bien placé pour avoir un avis sur le sujet. Si je ne peux pas accéder à ce haut niveau-là, où dois-je aller pour pratiquer mon sport, qui est aussi mon métier ? Le problème aujourd’hui, c’est que l’on va empêcher les jeunes de quinze ou vingt ans qui se lèvent tous les matins en rêvant d’être champion olympique, ce que j’ai réussi à faire. Je pense que c’est une très mauvaise chose et ça me dérange. Les jeunes qui rêvent vont à terme être ceux qui ont des parents très aisés.
 
GPR : Comment est-il possible selon vous de contrer ces phénomènes ? 
P.R. : De façon très simple, je pars du principe qu’à partir du moment où l’on paye pour aller en compétition, on ne doit pas obtenir de points pour le classement mondial, tout simplement. Aujourd’hui, les gens payent pour avoir des points ranking ! Tout le monde cherche des solutions, mais pour moi la solution la plus simple est là. Les gens sont prêts à payer, cela permet à certains cavaliers du Top 30 mondial de concourir sur les mêmes compétitions que leurs élèves. Aujourd’hui, je compare le Global au polo. Un joueur qui a des moyens financiers s’offre deux ou trois joueurs argentins dans son équipe ce qui leur permet de faire le tour du monde, c’est très bien je ne suis pas contre. Il y a des personnes qui veulent faire du sport de haut niveau et c’est très bien, mais je pense qu’ils doivent rester sur leur propre circuit. Ce système devient un gros problème aujourd’hui, et cela aura un impact sur les grands championnats, que ce soit les Européens ou les Jeux olympiques. On s’aperçoit aujourd’hui que trouver où l’on peut prouver que l’on a le niveau est un problème. Quand on voit que les Britanniques n’ont pas aligné d’équipe aux championnats d’Europe, c’est la première alarme. Cela veut dire que l’on va ensuite faire pareil pour les championnats du monde, et il arrivera un moment où nous allons banaliser les championnats. Ok, je gagne moins que les autres, mais ma médaille n’a pas de prix ! Je pense que la FEI doit rapidement mettre le holà car à un moment ou à un autre, nous ne pourrons plus faire machine arrière. Cela peut se traduire par la création d’un circuit parallèle, comme cela se fait par exemple dans le basket et la boxe où il y a deux ligues.
En ce moment, on mélange tout. Je ne pense pas qu’il faille empêcher Jan Tops de faire le Longines Global Champions Tour, c’est un circuit qui a le mérite d’exister. On ne peut pas non plus cracher dans la soupe ou taper sur Jan Tops, si nos chevaux valent si cher et si notre sport a autant évolué, quoi qu’on en dise, c’est aussi grâce à lui et nous devons le remercier pour cela. Aujourd’hui, il y a toutefois une dérive et il faut un garde-fou. Le Global est un bon circuit qui doit continuer, mais il faut simplement un équilibre que l’on n’a pas encore trouvé. Il ne faut pas oublier que ces concours-là sont extrêmement bien doté, ce qui veut dire qu’ils offrent le double de points pour le classement mondial ! On entre dans un système où certains propriétaires se disent qu’ils vont payer une place à leur cavalier dans une étape du Global Champions Tour afin qu’il grimpe dans le classement mondial. C’est exactement ce que je n’ai pas envie d’entendre ! Qu’on veuille y participer pour enrichir son compte en banque, c’est normal, mais profiter des wild-cards revient à acheter son classement mondial.