La FEI avance en terrain miné au Forum des sports de Lausanne

Entre l’avenir des Coupes des nations, les règles encadrant la participation des cavaliers aux CSI 2, 3, 4 et 5* et les normes régissant les CSI et CSIO, le programme de la première journée du Forum des sports de la Fédération équestre internationale (FEI) était sacrément chargé, aujourd’hui à Lausanne. Cet après-midi, les débats ont permis de mettre en lumière les intérêts très divergents des différentes parties prenantes de l’industrie du saut d’obstacles.



Il a fallu attendre jusqu’à 15h30 pour voir les vrais problèmes jetés sur la table de ce sixième Forum des sports de la FEI organisé dans un amphithéâtre de l’International Institute for Management Development, à Lausanne. Depuis quelques semaines, plusieurs fronts se sont ouverts entre les cavaliers, propriétaires, chefs d’équipes et fédérations européennes d’une part, une portion des organisateurs de CSI d’autre part, et enfin les promoteurs du Longines Global Champions Tour et de la Global Champions League après l’accord conclu avec la Fédération équestre internationale. Le site internet de Grand Prix s’en est régulièrement fait l’écho (lire ici, ici, ici, ici, ici, ici et ici).
 
Jusqu’à ce moment-là, au cours de trois sessions consacrées à l’avenir du circuit des Coupes des nations, au nouveau système d’invitation et d’engagement en CSI et aux conditions d’organisation des CSI et CSIO, les échanges étaient plutôt polis voire lisses. Les différentes parties prenantes du jumping se sont encouragées elles-mêmes à mieux défendre les Coupes des nations en les programmant le samedi ou le dimanche au lieu du vendredi pour en faire réellement les épreuves phares des CSIO, en augmentant les dotations et le nombre de points mis en jeu au classement mondial ou encore en récompensant mieux les performances individuelles à travers une prime financière comparable à celle en vigueur dans la finale mondiale de Barcelone. La session très technique consacrée au nouveau système informatique d’invitations – 30 à 60 % des cavaliers devant désormais être admis en concours au mérite de leur classement mondial – a mis au jour quelques inquiétudes quant à l’effectivité de sa mise en œuvre, notamment en CSI 2*, mais rien de bien saillant.
 
Des questions capitales pour l’avenir du sport
 
Il a donc fallu attendre la troisième table ronde, dédiée aux «CSI and CSIO requirements», autrement dit aux prérequis ou exigences s’appliquant aux CSI et CSIO pour que la salle se réveille. Soigneusement resté en retrait ce matin, John Madden, le puissant premier vice-président de la FEI et président de son comité de saut a cette fois fait face à ses opposants. Au terme d’un exposé très intéressant, il a assailli l’assemblée de questions ouvertes, dont voici les principales :
- Quels sont les droits et devoirs des athlètes envers les organisateurs et des organisateurs envers les athlètes?
- Comment les concours devraient-ils être financés?
- Les petits concours se tenant une fois par an dans des installations temporaires et les autres organisés plusieurs fois par an dans des installations permanentes peuvent-ils survivre en se conformant au régime réglementaire actuel et au nouveau système d’invitation?
- Ces règles devraient-elles différer selon les régions du monde concernées ? Autrement dit, doit-on tout harmoniser, y compris les frais d’engagement ?
- Les exigences minimales sont-elles efficaces ? Pourrait-on mettre sur pied un système plus libéral récompensant le travail d’excellence en la matière?
- Les fourchettes de dotations des différents niveaux (de 1 à 5*) sont-elles appropriées? Les dotations devraient-elles être le seul critère déterminant le nombre d’étoiles ?
- Que devraient couvrir les frais d’engagement? Ceux-ci doivent-ils être liés à la dotation des concours ?
 
Les panélistes ont alors évoqué le fameux projet d’harmonisation porté par l’Alliance des organisateurs de Jumpings (AJO), lequel Ingmar de Vos, président de la FEI, avait enterré avant même la tenue du Forum… Dès lors, vu le temps imparti (1h30 seulement) pour ce débat, Eleonora Ottaviani, secrétaire générale du Club des cavaliers internationaux de saut d’obstacles (IJRC) les as exhortés à revenir aux questions posées par John Madden, donnant le coup d’envoi à des échanges plus passionnés. «Non, les dotations ne doivent pas être le seul critère déterminant le nombre d’étoiles. Le Club des cavaliers a hâte de remettre à plat les règles et conditions d’attribution des points du classement mondial. En tout cas, dès lors qu’il y a des points en jeu, les organisateurs doivent respecter des exigences claires et précises, notamment concernant les invitations. En outre, nous estimons que les meilleurs cavaliers ne devraient pas avoir à payer pour participer aux CSI 5* dans la mesure où leur présence dans ces événements attire le public et les sponsors, donc des sources de revenus pour les organisateurs. Imaginerait-on Roger Federer payer pour jouer à Wimbledon?!» Réponse de John Madden : «Je suis d’accord, mais alors est-il normal qu’en dehors d’Europe, les meilleurs cavaliers doivent payer cher pour participer aux concours?» «Non, et les Américains membres du Club déplorent cette situation. Nous espérons parvenir à un système plus favorable pour eux», rétorque Eleonora Ottaviani. De son côté, un organisateur américain a défendu bec et ongles le système en vigueur outre-Atlantique, incroyablement plus coûteux pour les cavaliers et propriétaires, invitant la FEI à maintenir le régime spécifique de l’Amérique du Nord et à se contenter de garantir le respect des règlements et le bien-être des chevaux.
 


« Il nous faut bien trouver de l’argent quelque part », Stephan Conter

 
Sur le même thème de l’harmonisation des frais d’engagement, l’Irlandais Jack Dodd, l’un des quelques cavaliers présents avec son compatriote Michael Duffy, le Néerlandaise Lisa Nooren, le jeune Belge Boy-Adrian van Gelderen et le Suisse Steve Guerdat, s’est montré très ferme : «Si l’on augmente les frais pour les CSI 2 et 3* européens, où nous nous produisons le plus régulièrement, on les tuera et cela repoussera les cavaliers comme nous vers les concours nationaux.»
 
Très attaché au renouvellement des générations, Alban Poudret, éditeur du Cavalier Romand et directeur sportif du prestigieux CHI de Genève, a déploré que le nouveau système d’invitations ne laisse aux organisateurs la possibilité de choisir que 20% de leur plateau. «Pour nous, il ne s’agit pas de pay-cards, car nous ne sommes jamais tombés dans ce travers, mais l’an passé encore, nous avons invités 20% de jeunes, et nous souhaitons aussi inviter d’autres cavaliers au mérite de performances qui nous semblent méritoires. Avec ce nouveau système, cela nous sera malheureusement impossible… alors que dans le même temps, la FEI permet désormais aux quinze et bientôt vingt étapes du LCGT/GCL d’inviter 60% de ses participants…»
 
Face à l’hypocrisie encadrant l’interdiction des pay-cards, Stephan Conter, patron des écuries Stephex et organisateur du Brussels Stephex Masters et de la tournée du Knokke Hippique, a franchement mis les pieds dans le plat : «Je veux bien qu’on interdise les pay-cards, mais des concours comme les nôtres doivent trouver de nouvelles sources de revenus sous peine de disparaître. Soit la FEI nous laisse plus de flexibilité concernant le système d’invitation des CSI 2* organisés parallèlement à des CSI 5*, soit elle nous accorde ce qu’elle a donné au LGCT/GCL. Il nous faut bien trouver de l’argent quelque part pour financer nos concours modernes et très coûteux. Jusqu’à présent, le système fonctionnait très bien, alors pourquoi ne pas laisser le marché s’autoréguler.» John Madden n’a pas caché la complexité de la situation : «Le comité de saut veut vraiment essayer de trouver un compromis entre tous ces avis divergents formulés par l’IJRC, des organisateurs comme ceux du CHI de Genève et de concours comme les vôtres. C’est pour cela que ce débat est organisé.» À l’évidence, ce ne sera pas simple…
 
L’ancien sélectionneur de l’équipe de France, Henk Nooren, impliqué avec la Fédération équestre européenne dans la lettre ouverte critiquant le protocole d’accord signé par la FEI avec le LGCT/GCL, a soulevé l’incohérence d’une fédération interdisant les pay-cards, mais homologuant un championnat d’écuries privées dont le droit d’entrée a été fixé à 2 millions d’euros par écurie… «Vous avez beau appeler cela un investissement, je ne vois pas la différence avec une pay-card, quand on voit que seuls les quinze meilleurs cavaliers du monde peuvent participer au GCT sans faire partie d’une équipe…», a-t-il déclaré en substance. «D’abord, aucun cavalier n’est obligé de payer pour faire partie d’une équipe et donc pour concourir. Ensuite, la FEI n’a pas à s’immiscer dans les investissements des cavaliers. Cela reviendrait à contrôler leurs achats de chevaux… En outre, ce ne sont pas les quinze, mais au moins les vingt meilleurs qui sont invités au GCT», a martelé John Madden, tentant de couper court à ce débat juridique.
 


«La question des pay-cards est un faux débat», Ingmar de Vos

 
«Mais alors, pour obtenir les mêmes conditions d’invitations que le GCT, devrions-nous également organiser des compétitions par équipes?», s’interroge Stephan Conter. «Si vous venez avec un projet solide et sérieux, la FEI l’acceptera», répond fermement Ingmar de Vos, piqué au vif par l’insistance de son compatriote, avant d’ajouter: «La discussion ne va pas dans le bon sens. Chaque système a ses avantages et ses inconvénients. Les CSI 1* restent libres, pas les 2*, car ils offrent des points au classement mondial. La question des pay-cards est un faux débat. J’ai organisé des concours pendant vingt ans. Il y a toujours eu des pay-cards, des pay-tables, des faveurs à des amis ou des sponsors. Les pay-cards étaient clairement interdites, mais ces règles n’étaient pas respectées. Beaucoup d’organisateurs, pour ne pas dire tous, ont profité de l’absence de contrôle pour financer leurs concours avec des pay-cards. Désormais, avec notre nouveau système d’invitation, ils ne peuvent plus inviter que 20% de leur plateau. Nous reprenons donc le contrôle sur la situation. Maintenant, je dois vous rappeler que ces nouvelles règles ont été approuvées à l’unanimité par l’assemblée générale l’an passé à Tokyo. Vous me dites: “Avec ce système, mon concours ne va pas survivre.” Je l’entends, mais je vous encourage à entrer en discussion avec votre fédération nationale, car elle a voté ce projet, et à lui demander de défendre une réforme de ce système. Si vous venez avec une proposition défendue par plusieurs parties prenantes et fédérations nationales, et que nous pouvons parvenir à un consensus, alors tout le monde sera satisfait», a conclu le président de la FEI.
 
En conclusion de cette première journée, Sabrina Ibáñez s’est évertuée à rappeler que «la Coupe des nations reste sans aucun doute le produit et le circuit phare de la FEI, qui mettra tout en œuvre pour qu’elle le reste.» Pour cela, il faudra trouver un nouveau sponsor-titre à la série, ce qui loin d’être gagné si l’on considère qu’il n’y a plus de véritable partenaire commercial – Meydan et Furûsiyya n’avaient aucune ambition en termes de visibilité et de retour sur investissement – depuis le retrait de Samsung il y a une dizaine d’années…
 
Les deux dernières sessions, surtout la quatrième dédiée aux tenues des cavaliers, semblaient pour le moins incongrues après des débats aussi vifs et essentiels pour l’avenir du sport… mais telle est la règle de ce Forum, qui reste une excellente initiative de la part de la maison-mère de l’équitation. Demain, les participants se pencheront sur l’avenir des officiels de compétition, sujet qui avait été largement ouvert à la discussion l’an passé, sur la notation des reprises de dressage, sur la gestion des risques d’accidents en concours complet ainsi que sur l’étude de facteurs de risques d’accidents en endurance et notamment des fractures mortelles des chevaux survenant trop fréquemment dans cette discipline. D’autres sujets essentiels où le consensus sera plus sûrement de mise.