La FEI peut-elle vraiment mettre un terme au système des pay cards ?

Depuis de nombreuses années, les défenseurs d’un sport pur et juste s’appuyant sur les seuls mérites des cavaliers et chevaux dénoncent le système des pay cards. Moyennant des contreparties financières, celles-ci permettent à des cavaliers fortunés et/ou bénéficiant de l’appui de généreux sponsors de se produire dans des concours internationaux auxquels ils ne peuvent pas accéder en vertu de leur classement mondial. Si la Fédération équestre internationale semble avoir pris des mesures pour sinon y mettre un terme, limiter l’ampleur de cette dérive, peut-elle vraiment y parvenir ? Et si oui, que deviendraient les concours ayant bâti leur modèle économique sur cette manne ?



Hier, la rédaction de Grand Prix a interrogé la Fédération équestre internationale (FEI) au sujet de la définition du concept de “pay card”. Ayant cours depuis de nombreuses années en CSI, mais aussi en CSIO et CSI-W de tous niveaux, ce système permet à des cavaliers non invités en vertu de leur classement mondial d’y participer en l’échange d’une contribution directe ou indirecte (achat de table, sponsoring, etc.) à l’organisation du concours. De fait, le règlement général de la FEI définit le terme de pay card comme “toute rémunération versée en échange d’une invitation à participer à un événement FEI”.
Approfondissant cette notion, l’article 115 du même règlement stipule que “le pourcentage d’athlètes personnellement invités par les comités d’organisation doit être précisé dans le règlement spécifique de chaque discipline. Toutefois, ces invitations d’athlètes étrangers et/ou du pays hôte du concours doivent intervenir dans les mêmes conditions que celles d’autres athlètes et ne doivent en aucun cas être directement ou indirectement liées à une contribution financière. Les pay cards et autres frais d’apparition, même sous forme d’achats de tables VIP ou de privilèges événementiels, sont strictement interdits et seront sanctionnés.”
Ce principe étant posé, un cavalier auquel un organisateur refuserait la participation à un concours sous prétexte qu’il ne consentirait pas à acheter une table VIP ou à contribuer d’une autre manière au budget de son concours pourrait théoriquement dénoncer cette situation à la FEI en espérant faire appliquer le règlement. Toutefois, il lui faudrait apporter une preuve tangible de la transaction qui lui aurait été proposée par ledit organisateur. De plus, s’il entamait une telle démarche, ne risquerait-il pas de se retrouver black-listé par d’autres organisateurs? Par ailleurs, cet article 115 se concentre sur les athlètes, autrement dit les cavaliers. Or, on sait que les pay cards ou pay tables sont rarement réglées directement par eux, mais plutôt par les propriétaires de leurs chevaux, ou encore leurs mécènes ou sponsors. Au-delà du principe qu’elle semble ériger en règle d’or, la FEI se donne-t-elle vraiment tous les moyens de mettre un terme à cette dérive ? Pas sûr.


Le nouveau système d’engagement

À l’issue d’un long travail, mené conjointement par le comité de saut de la FEI, présidé par l’Américain John Madden, l’Irlandais John Roche, directeur du saut de la FEI, et diverses organisations dont la Fédération européenne, les fédérations nationales, le club des cavaliers (IJRC) et l’Alliance des organisateurs (IEOA/AJO), un nouveau système d’engagement en ligne est en passe d’entrer en vigueur pour les CSI 2, 3, 4 et 5*. Outre des modernisations techniques dans le processus, de nouvelles règles ont été édictées. Ainsi, une partie des cavaliers doit désormais être invitée à participer à un concours en fonction du classement mondial publié trois mois avant la tenue de celui-ci. Cette proportion est plus ou moins importante (60, 50, 40 ou 30%, dont une à deux invitations laissées à la discrétion de la FEI) en fonction du quota de places réservées aux cavaliers membres de la fédération du pays où se tient le concours (20, 30, 40 ou 50%).
Dans ces quatre cas de figure (60+20, 50+30, 40+40, 30+50), sauf désengagements de dernière minute, ces deux groupes représentent donc 80% du plateau de cavaliers, ce qui laisse aux organisateurs la liberté d’inviter librement les 20% restants. Les concernant, la FEI est claire: il ne s’agit surtout pas d’un quota de pay cards, puisque celles-ci sont théoriquement interdites… Le règlement précise aussi qu’un cavalier n’a pas le droit de proposer une contribution financière à l’organisateur pour bénéficier d’une telle invitation.
Dès lors, s’ils appliquent scrupuleusement et honnêtement les règlements, de nombreux organisateurs de CSI ayant jusqu’alors bâti une partie de leur modèle économique sur les revenus liés aux pay cards, soit pour leur meilleur label (3, 4 ou 5*), soit pour les CSI 1 et 2* complétant leur programme, risquent de rencontrer des difficultés à boucler leur budget… À bien y réfléchir, cela pourrait expliquer la demande prêtée à l’IEOA/AJO d’harmoniser par le haut les prix des engagements, en suivant le modèle appliqué en Amérique du Nord. Pour autant, compte tenu de la récente levée de boucliers des cavaliers, entraîneurs et chefs d’équipes, et l’avis défavorable exprimé par Ingmar de Vos, président de la FEI, ce projet semble enterré avant même ses mise en discussion au Forum des sports, les 10 et 11 avril à Lausanne.


Un régime d’exception pour le LGCT et la GCL

Afin de protéger le modèle qu’il a construit depuis la naissance du Longines Global Champions Tour (LGCT) en 2006, mais aussi et surtout de légaliser la Global Champions League (GCL), disputée en dehors de tout contrôle fédéral l’an passé et ne comptant donc pas pour le classement mondial, cet hiver, Jan Tops est parvenu à la signature d’un protocole d’accord avec la FEI. Avec l’appui de Frank McCourt, son associé américain, le Néerlandais a obtenu de la maison mère des sports équestres des règles spécifiques d’invitation.
Pour les quinze étapes du double circuit GCT/GCL, comme le règlement le permet aux autres CSI 5*, 30 % du plateau est invité selon le classement mondial, soit environ quinze cavaliers, plus une wild card attribuée par la FEI. En revanche, le quota de concurrents nationaux est abaissé à 10%, ce qui représente quelque cinq pilotes. Les 60% restants, environ trente compétiteurs, sont invités à la discrétion des organisateurs, la moitié d’entre eux devant simplement justifier d’une place dans le Top 250 du classement mondial édité au mois d’août de l’année précédente. En fait, il s’agit de permettre la bonne tenue de la GCL, compétition opposant des écuries privées composées de cinq cavaliers, dont deux sont sélectionnés pour chaque étape par un manager.
Cette année, dix-huit écuries devraient prendre part à la GCL. Le droit d’entrée pour la saison s’établissant officiellement à 2 millions d’euros par écurie, cela représente donc une coquette manne de 36 millions d’euros ! Selon de nombreux observateurs et parties prenantes du sport, l’IJRC en tête, ces 2 millions ne sont rien d’autre qu’une colossale pay card. Plus globalement, ils considèrent le fameux protocole d’accord comme un blanc-seing donné par la FEI à un système visant à refermer l’élite sur elle-même, compte tenu de l’opportunité offerte aux concurrents de la GCL d’engranger un maximum de points comptant pour le classement mondial et ainsi de se maintenir plus aisément au sommet de celui-ci.
Également interrogée à ce sujet hier, la FEI reste droite dans ses bottes : “Il n’y a pas d’exception à la règle des pay cards pour le GCT et la GCL. Il est clairement établi dans notre protocole d’accord que les pay cards ne sont pas autorisées. Les athlètes ne peuvent être tenus de payer pour faire partie d’une équipe ou pour participer au GCT/GCL, ni être obligés d’acquérir la propriété d’une équipe de la GCL. Le processus et les sanctions sont inscrits dans les règlements de la FEI et l’accord du GCT/GCL à ce sujet était l’une des exigences préalables à la signature du protocole d’accord par la FEI. Les promoteurs du GCT/GCL nous ont donné la ferme garantie qu’ils n’accepteraient pas de pay cards, et qu’aucun cavalier ne serait obligé de payer pour faire partie d’une équipe. Un athlète ne peut être obligé de payer pour participer à un événement. Nous voulons protéger nos athlètes, car notre sport ne peut pas être réservé aux super riches”, assure le porte-parole de la FEI dans sa réponse écrite.
Pourtant, certains cavaliers ayant manifesté leur volonté de participer à la GCL se sont bel et bien vu rétorquer oralement qu’il fallait s’acquitter de deux millions d’euros pour intégrer le circuit via une équipe. Sans doute auraient-ils mieux fait de proposer leurs services aux managers des écuries déjà engagées l’an passé, ou des nouvelles créées en 2017… Dans un entretien vidéo accordé à Noelle Floyd Magazine, John Madden, le tout puissant premier vice-président de la FEI, n’a pas hésité à qualifier ces colossaux frais d’engagement… d’investissement. “Le fait qu’un cavalier, ou n’importe quelle autre personne, investisse dans la propriété d’une équipe ne regarde probablement pas la FEI, mais chaque personne individuellement. En outre, si quelqu’un choisit d’investir dans une équipe, il acquiert aussi tous les droits et privilèges liés à la propriété. C’est donc une question différente de la participation d’un cavalier à ces concours”, argue l’Américain. Peut-être les plus fins analystes parviendront-ils à expliciter ce distinguo, qui laisse… perplexe!