?’’L’intérêt du sport passe toujours au second plan’’, Philippe Guerdat

Philippe Guerdat est un homme en colère, et un rien fataliste. Qu’il s’agisse des nouvelles règles du Longines Global Champions Tour (GCT) et de la Global Champions League (GCL), de l’explosion annoncée des frais d’engagements en CSI, ou de l’avenir du circuit des Coupes des nations, le sélectionneur national de l’équipe de France de saut d’obstacles ne comprend plus où va la Fédération équestre internationale (FEI), ni les principes guidant son action. Croisé hier au paddock du Saut Hermès au Grand Palais, le Suisse compte désormais sur un front uni des fédérations européennes lors du prochain Forum des sports de la FEI, les 10 et 11 avril à Lausanne.



GrandPrix-replay.com : Il y a une semaine, via un courriel co-signé par Marco Fusté, directeur du saut de la Fédération espagnole, Henk Nooren, entraîneur de l’équipe italienne, Sönke Lauterbach et Theo Ploegmakers, présidents des Fédérations allemande et néerlandaise, on a eu connaissance du projet d’harmonisation globale des frais d’engagement en CSI sur le modèle de ceux en vigueur en Amérique du Nord. Comprenez-vous le sens de cette proposition ?
Philippe Guerdat : D’abord, je voudrais dire que Sophie Dubourg et moi nous sommes pleinement associés à ce courriel, même si notre signature n’y apparaît pas. Ce projet est dans les tiroirs de la FEI depuis plus d’un an. On parle ici du montant des engagements, mais de manière plus vaste, c’est tout le système d’engagement qui est en voie de réforme (via un système électronique ayant pour but affiché de clarifier le système des pay-cards et de s’appuyer sur le classement mondial pour déterminer les cavaliers ayant accès en priorité à tel ou tel CSI, ndlr). J’ai assisté à une réunion à ce sujet à Lausanne l’an passé. Quand le système m’a été présenté, je n’ai tout simplement rien compris, je dois bien l’avouer. En tout cas, je ne comprends pas comment un cavalier peut prévoir trois mois avant où il ira concourir… Les pilotes vont s’engager comme on le leur demande, et il y aura des forfaits en cascade à la dernière minute en raison de soucis sur tel ou tel cheval, ou d’une invitation obtenue pour un meilleur concours ailleurs… Jusqu’au dernier moment, les organisateurs ne sauront pas qui vient vraiment, ni même combien de cavaliers et chevaux ils devront accueillir…

GPR. : Quand on regarde les tableaux comparatifs entre les montants actuels et possibles futurs en CSI, on se rend compte que les 5* ne seraient plus gratuits, que les CSI 4, 3 et 2* coûteraient au moins deux à trois fois plus cher aux cavaliers et propriétaires, mais que les 1*, label assurant aujourd’hui la rentabilité de nombreux concours, coûteraient moins cher. N’est-ce pas un peu le monde à l’envers ?
P. G. : Voir les frais d’engagement augmenter dans une telle mesure est tout simplement impossible et inenvisageable. Ce matin (hier, ndlr), j’ai vu passer un message de Sabrina Ibáñez (secrétaire générale de la FEI, ndlr) indiquant que la FEI n’avait jamais envisagé elle-même une telle harmonisation mais que ce projet émanait de l’Alliance des organisateurs de concours (IEOA/AJO)… Or, je me souviens très bien avoir entendu de mes propres oreilles, en séance, que cela devait commencer le 1er juillet. Bon, si maintenant la FEI y est opposée, tant mieux… On verra. Sur ce dossier, je ne me bats pas vraiment pour les stars de l’équipe de France, mais surtout pour toute la filière équestre française. Je pense notamment à tous les Normands et Nordistes qui évoluent en CSI 2*. S’ils se retrouvent à devoir débourser 1600 euros par cheval et par week-end, ils ne pourront plus jamais s’en sortir.


?’’Pratiquer ce sport aux États-Unis coûte beaucoup trop cher?’’

GPR. : Pourquoi la FEI n’envisage-t-elle pas d’harmoniser en prenant pour base le système européen ?
P. G. : C’est évidemment la seule solution possible pour l’avenir du sport. Si la FEI veut harmoniser, c’est ainsi que cela doit se passer. Depuis que le mouvement est lancé, nous avons reçu plein de messages de personnalités et cavaliers américains défendant cette position, considérant que pratiquer ce sport aux États-Unis leur coûte beaucoup trop cher. Là-bas, il y a certes beaucoup de riches amateurs, mais il y a aussi des professionnels qui doivent vivre de cette activité, ce qui n’est vraiment pas simple. Un cavalier ayant monté une seule épreuve à Ocala récemment nous a parlé d’un engagement de 4.300 dollars (soit 4.000 euros, ndlr)… C’est impensable ! Quand on doit ajouter à cela les frais de transport et d’hébergement du cheval, du groom et du cavalier, c’est intenable.

GPR. : Quel est votre sentiment sur les modalités de l’accord intervenu entre la FEI et les promoteurs du GCT et de la GCL ?
P. G. : Naturellement, je suis opposé au fait que quinze CSI 5* par an distribuent un immense paquet de points comptant pour le classement mondial alors même qu’ils concerneront 60% de cavaliers membres d’écuries privées ayant déboursé 2 millions d’euros pour y participer, et seulement une vingtaine de pilotes invités à la régulière… Je ne vois pas comment on peut soutenir un tel système !
Il y a un mois et demi, j’ai passé deux jours en réunion à Düsseldorf en Allemagne pour discuter de tous ces sujets. Concernant celui du GCT et de la GCL, le président de la Fédération européenne (l’Allemand Hanfried Haring, ndlr) nous a dit qu’il savait tout, mais qu’il était soumis à un devoir de réserve (en tant que président du Groupe I et membre du bureau de la FEI, ndlr)… C’est vraiment frustrant. Il nous faut nous rassembler et opposer un front uni lors du Forum des sports de la FEI. A priori, la FEI a tellement peur du débat qui se profile qu’elle demande maintenant que seuls les présidents de fédérations nationales prennent la parole… Or, ce sont des hommes politiques qui ont d’importantes choses à gérer et dont la mission n’est pas nécessairement de s’immiscer dans des dossiers aussi sportifs et techniques… En tout cas, nous devrons être bien préparés et faire cause commune, parce que tout le monde n’aura pas la parole.


?’’Ne pas avoir de sponsor pour les CSIO est un scandale !?’’

GPR. : La FEI n’a-t-elle pas fait preuve d’un premier signe d’ouverture vis-à-vis des cavaliers et chefs d’équipe en réintégrant la Chasse à la formule des Jeux équestres mondiaux ?
P. G. : C’est bien, certes, mais cela revient à nous donner un petit sucre pour mieux faire passer le reste. Pour moi, il était évident que la formule votée à l’assemblée générale de Tokyo serait finalement modifiée, parce qu’elle n’avait aucun sens. Qui aurait compris qu’un barrage à quinze couples termine ces championnats du monde ?... Il y en avait déjà trop de six aux Jeux olympiques de Rio… Sincèrement, j’ai le sentiment que l’intérêt du sport passe toujours au second plan. Au sein de la FEI, nous manquons clairement de relais en capacité de défendre nos positions.

GPR. : Le fait qu’elle n’ait pas encore trouvé de nouveau sponsor pour son circuit des Coupes des nations vous inquiète-t-il ?
P. G. : Bien sûr. C’est même un scandale ! Tous les circuits privés bénéficient du soutien de généreux sponsors, horlogers surtout, et celui des Coupes des nations, qui est à mon sens le plus beau et le prestigieux, rien ! On marche sur la tête. Certains CSIO ont du mal à boucler leurs budgets. Si la FEI ne peut pas les aider, les organisateurs de CSIO doivent se prendre en mains eux-mêmes pour trouver de nouvelles ressources financières, mais rien n’est moins compliqué. Augmenter les dotations et le nombre de points au classement mondial offerts par les Coupes des nations est le seul moyen objectif de sortir par le haut de cette crise.

GPR. : On vous sent fataliste. Gardez-vous une once d’espoir ?
P.G. : Le point positif, c’est que les cavaliers, du moins certains, ont pris leur courage à deux mains sans attendre pour se jeter dans la bataille sans attendre. Mais ce n’est pas simple non plus. Certains vont disputer la Global Champions League, et à ce titre, ne veulent pas se retrouver en porte-à-faux… Kevin Staut et mon fils Steve sont courageux, mais je ne veux pas qu’ils restent les deux derniers idiots utiles de la cause du sport, parce que cela risque de les pénaliser pour la suite de leur carrière, notamment financièrement.