Le torchon brûle entre les cavaliers et la FEI

Aussi fermement opposés à la nouvelle formule de compétition des Jeux olympiques qu’à celle des Jeux équestres mondiaux, les cavaliers de saut d’obstacles, réunis il y a deux semaines en assemblée générale dans le cadre du CHI de Genève, l’ont très fermement rappelé à la secrétaire générale de la Fédération équestre internationale, dont aucun des arguments n’a convaincu personne. Désormais, ils espèrent que le relais médiatique de leur colère parviendra jusqu’aux oreilles des dignitaires du Comité international olympique, dernier rempart à l’entrée en vigueur de la réforme des JO.



Réduction des équipes de quatre à trois cavaliers et suppression du “drop score” (le fait que seuls les trois meilleurs scores comptent pour calculer le total de chaque équipe) aux Jeux olympiques, disparition de la Chasse et de la finale tournante aux Jeux équestres mondiaux… À l’occasion de sa dernière assemblée générale, fin novembre à Tokyo, la Fédération équestre internationale a revu de fond en comble les formules des compétitions de ses deux événements majeurs. Approuvées par quatre-vingt-seize des cent sept fédérations nationales représentées au Japon, ces réformes sont l’aboutissement d’un long processus entamé il y a deux ans et débattu à deux reprises au Forum des sports de la FEI, organisé chaque printemps à Lausanne.
 
Si ledit processus est incontestablement démocratique au sens juridique du terme, il illustre à peu près tous les écueils de ce régime ancestral. Comme la plupart des organisations internationales, la maison-mère des sports équestres s’appuie sur le principe d’une voix par nation. Dès lors, celles de l’Éthiopie ou de la Barbade, deux pays très éloignés des problématiques du haut niveau – mais pouvant bénéficier d’aides financières dans le cadre du programme de développement FEI Solidarity –, comptent autant que celles de la France ou de l’Allemagne… Cela crée un flagrant déséquilibre mettant les grandes nations en minorité et assurant les responsables de la FEI d’obtenir facilement l’approbation de toutes les mesures proposées au vote de l’assemblée générale.
 
En outre, soixante des cent trente-quatre fédérations membres de la FEI n’organisent aucune compétition, dix-sept ne comptent aucun cavalier (ni meneur, ni voltigeur) enregistré dans la base de données des compétiteurs, et vingt-six n’y comptent aucun cheval… On peut alors légitimement se demander pourquoi elles bénéficient d’un droit de vote, ce qu’ont dénoncé avec force les cavaliers internationaux de saut d’obstacles réunis le vendredi 9 décembre à Genève à l’occasion de l’assemblée générale de leur Club (IJRC).Le système d’une voix par pays est démocratique, je ne le conteste pas. En revanche, la FEI pourrait s’inspirer de son homologue de ski où seules les fédérations nationales comptant au moins cinq cents athlètes peuvent y être affiliées et ainsi bénéficier d’un droit de vote. Dans notre cas, les autres pourraient être associées à la FEI mais sans droit de vote. À Tokyo, Christina Liebherr (président de l’IJRC) et moi avons eu bien du mal à discuter et à partager nos observations avec toutes ces fédérations inactives ou très peu actives sur la scène internationale”, pointe ainsi Eleonora Ottaviani, directrice du Club. Dans la mesure où toute modification du règlement doit être approuvée par l’assemblée générale, il est clair que cette situation a peu de chance d’évoluer. Du reste, de nombreuses instances internationales connaissent ce même problème de gouvernance.
 


Et les cavaliers dans tout ça ?

 
Enfin, un juste régime démocratique se doit d’écouter et de tenir compte de l’opinion et des idées proposées par ses parties prenantes mais non votantes, en l’occurrence des cavaliers, chefs d’équipes, propriétaires, grooms, organisateurs de concours, et autres. Même si le Forum des sports, auquel assistent hélas trop peu de pilotes, leur offre justement l’occasion de s’exprimer chaque année, force est de constater qu’en ce qui concerne la réforme des formules des JO et JEM, ils n’ont absolument pas été entendus. C’est précisément ce que l’IJRC a rappelé, et là aussi fermement dénoncé, dans un salon rempli à ras bord de l’hôtel adjacent à Palexpo. On a ainsi compté une bonne trentaine de cavaliers présents, dont les Français Kevin Staut, Pénélope Leprevost, Simon Delestre et Roger-Yves Bost, ainsi que leur chef d’équipe, Philippe Guerdat, ou encore Geneviève et Dominique Mégret, propriétaires des chevaux de Pénélope Leprevost, totalement engagés à leurs côtés à travers le Jumping Owners Club (JOC).
 
Si l’Albanie, la Bulgarie, la France, l’Allemagne, la Lettonie, le Luxembourg, Monaco, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, la Roumanie et la Suisse ont suivi leurs athlètes en votant contre lors de l’assemblée générale de Tokyo, le Canadien Éric Lamaze et l’Américain Kent Farrington n’ont pas manqué de rappeler qu’ils avaient été consultés, mais pas entendus par leur fédération respective malgré une désapprobation ferme et unanime… Certes, le comité de saut de la FEI, présidé par le puissant John Madden, compte dans ses rangs un cavalier, le Brésilien Rodrigo Pessoa, et un chef d’équipe, le Néerlandais Rob Ehrens, deux opposants forcenés à la réforme, mais ceux-ci restent largement minoritaires au sein dudit comité. “Il y a également une ancienne cavalière, Maria Gretzer, au sein du bureau et du comité exécutif de la FEI, mais elle n’a pas été nommée par les cavaliers. En outre, sa position a changé sur ce projet. Au départ, elle était favorable aux équipes de trois, comme elle l’a rappelé au dernier Forum des sports, puis elle s’est finalement rangée de notre côté lors de l’assemblée générale. Quoi qu’il en soit, ce qu’elle a pu dire ou faire ne reflète pas ce que pensent les cavaliers!”, rappelle Eleonora Ottaviani.
 


Une proposition de l’IJRC jamais considérée

 
En l’absence d’Ingmar de Vos, président de la FEI, retenu en Asie, Sabrina Ibáñez, secrétaire générale, a tenté de répondre à leur incompréhension et à leurs accusations en martelant inlassablement les mêmes arguments : “Pour rester au programme olympique, les sports équestres, dégradés d’un rang par le CIO dans la hiérarchie des disciplines après les Jeux de Londres, se devaient d’évoluer et d’offrir un nouveau visage. Afin de répondre aux exigences de l’agenda 2020, nous devons ouvrir les JO à davantage de nations. Dans la mesure où le quota de chevaux qui nous est imposé par le CIO reste bloqué à deux cents (libre de dispatcher ces places comme elle l’entend, la FEI a choisi d’en donner soixante-quinze au saut, soixante-cinq au complet et soixante au dressage, ndlr), nous n’avions pas d’autre choix que d’augmenter le nombre d’équipes (de quinze à vingt, plus quinze places individuelles attribuées à d’autres nations, ndlr) et donc de passer d’équipes de quatre à trois cavaliers par nation. C’est mathématique!”
 
Depuis plusieurs mois, l’IJRC proposait pourtant une autre solution mathématiquement tout aussi valide, qui permettrait d’atteindre le même objectif de plus d’universalité sans dénaturer ce qui fait la beauté des épreuves par équipes : passer de quinze à quatorze, treize, voire douze équipes de quatre couples, ce qui laisserait dix-neuf, vingt-trois voire vingt-sept places individuelles aux nations non qualifiées par équipes, contre quinze actuellement. Hélas, cette proposition n’a jamais été discutée ni même envisagée par la FEI. Pire encore, jusqu’à ce vendredi 9 décembre, ses dirigeants n’avaient jamais daigné expliquer pourquoi il ne leur semblait pas opportun d’avancer sur cette voie. À Genève, Sabrina Ibáñez a enfin tenté de le justifier : “Nous sommes très attachés aux épreuves par équipes, qui font rêver un grand nombre de nations. Si moins de nations y participent, moins de diffuseurs télévisuels les retransmettront, et elles perdront en attractivité.” Certes, ce risque est réel, mais est-il aussi grand que celui de courir les JO selon une formule ne laissant aucune place à l’imprévu et mettant en péril le bien-être des chevaux? Si courir à trois représentait réellement l’avenir des sports équestres, pourquoi la FEI a-t-elle finalement choisi de ne l’appliquer qu’aux JO, son rendez-vous majeur, et pas aux JEM, aux championnats d’Europe et dans les CSIO?... À cela, aucune explication n’a été apportée…
 
Dernier espoir, un refus du CIO !
 
“J’entends parfaitement votre frustration et regrette que notre solution ne vous convienne pas, mais c’est la seule que nous ayons trouvée pour satisfaire à la situation, en collaboration avec les fédérations nationales. Elle n’est pas parfaite, mais elle solutionne le problème. Ce nouveau format sera présenté au CIO en février. Nous espérons évidemment qu’il sera approuvé. Si ce n’est pas le cas, nous poursuivrons avec la même formule qu’à Rio. Pour rappel, quand Thomas Bach (président du CIO, ndlr) nous a rendu visite à Lausanne en novembre 2015, il nous a demandé : «Qu’allez-vous changer?». Il a même émis des propositions pour le saut d’obstacles. Il aime ce sport et est attaché à son maintien au programme olympique, mais il ne faut pas oublier que sa mission est de moderniser les JO pour n’offrir que le meilleur au grand public...”
 
La secrétaire générale de la FEI a également annoncé un plus fort engagement en termes de communication pour populariser les sports équestres et élargir leur public, notamment à travers les réseaux sociaux. En guise de maigre lot de consolation, elle a également proposé à l’IJRC de recevoir avec Ingmar de Vos une délégation de cavaliers au siège de Lausanne ou dans le cadre d’un concours afin d’étudier les possibilités permettant de mieux les intégrer dans les processus de décision de la FEI. Pour les JO, il faut désormais compter sur un hypothétique refus du CIO, ce qui n’est pas gagné même si les recommandations de l’agenda 2020 placent l’expérience des athlètes au cœur du projet olympique. Pour les Jeux équestres mondiaux de 2018, dont le format a également été considérablement remodelé (lire ici) sans que la formule finalement retenue n’ait jamais été présentée et discutée publiquement, il existe probablement une plus grande marge de manœuvre. Sabrina Ibáñez a accepté d’en rediscuter avec les cavaliers et, le cas échéant, avec les organisateurs américains de l’édition 2018 programmée à Tryon.
 
Pour aller plus loin
Lire la déclaration du Suisse Steve Guerdat
Lire la déclaration de l’Irlandais Cian O’Connor 
Lire la déclaration du Canadien Éric Lamaze
Lire la déclaration de l’Américain Kent Farrington
Lire la déclaration de l’Allemand Philipp Weishaupt
Lire la déclaration du Français Dominique Mégret
Lire la déclaration de l’Allemande Monica Theodorescu
Lire la déclaration de l’Allemande Isabell Werth
 
Revoir en vidéo l’assemblée générale de l’IJRC