“Ce que nous avons réalisé à Rotterdam est fantastique”, Grégory Wathelet
Médaillé d’or par équipes il y a un peu plus d’un mois à Rotterdam, Grégory Wathelet est ce week-end à Barcelone pour la finale des Coupes des nations. Avec son surprenant MJT Nevados S, le Belge a d’ailleurs signé un excellent sans-faute jeudi lors de la première manche, et espère bien réitérer demain après-midi. Pour GRANDPRIX, le pilier des Diables Rouges a accepté de se confier avec son habituelle franchise sur l’exploit des vestes rouges aux Pays-Bas, leur entame parfaite au Real Club de Polo, sur le retour espéré de la géniale Coree, ou encore sur le nouveau format olympique. Entretien.
Je vais bien ! Ce que nous avons réalisé à Rotterdam est quelque chose de fantastique. C’est super pour nous et pour la Belgique. En réalité, la vie continue et le sport reprend ses droits très rapidement, ce qui a des bons et des mauvais côtés. Nous sommes ici à Barcelone, mais entre temps il y a eu le CSIO 5* de Calgary, les championnats de Belgique, et beaucoup d’autres choses à venir. Ça ne s’arrête jamais !
N’est-il pas trop difficile de reprendre le chemin des compétitions directement après avoir réalisé un tel exploit ?
Dans mon cas, je fais cela depuis vingt ans, et je n’ai pas traversé que de bons moments. Il est plus simple de se remotiver à reprendre la route des concours après un bon résultat qu’après un week-end raté. Dans ce cas de figure, c’était plutôt très simple et la motivation n’est que plus grande. Cela dépend aussi des chevaux que l’on emmène en concours, si on sait que l’on peut être compétitif directement, cela donne évidemment plus d’envie.
À Rotterdam, la Belgique a non seulement décroché l’or par équipes, mais aussi sa qualification pour les Jeux olympiques de Tokyo l’année prochaine. Une source de satisfaction supplémentaire…
Pour chaque pays, participer aux Jeux olympiques est un aboutissement. La Belgique ne s’était pas qualifiée par équipes pour les Jeux de Rio de Janeiro en 2016. Compte tenu du niveau actuel des cavaliers belges, j’aurais trouvé cela dramatique que nous ne parvenions pas à nous qualifier. L’an prochain, une nouvelle sélection sera faite et nous allons nous préparer au mieux. Ce n’est pas un secret, la Belgique peut compter sur un grand nombre d’excellents couples, il va donc falloir se battre davantage que par le passé pour avoir une place. Je sais que mon cheval MJT Nevados S peut être en forme, et il a désormais prouvé qu’il avait la stature d’un cheval de championnat. À moi de l’amener au mieux l’an prochain, puisque cette échéance sera mon but premier avec lui.
Une participation aux Jeux reste quelque chose de spécial. L’aspect sportif y prime car il n’y a aucune dotation, et c’est une notion qui se perd dans le sport actuellement. Néanmoins, même les athlètes qui courent après l’argent rêvent de représenter leur nation aux JO.
L’an prochain à Tokyo, les équipes ne seront plus composées que de trois cavaliers contre quatre aujourd’hui, ce qui va évidemment changer la donne…
Oui, bien sûr ! Et cette nouvelle formule est passée alors que tous les cavaliers étaient contre. La Fédération équestre internationale prend des décisions incompréhensibles. Je n’arrive pas à me l’expliquer et je trouve cela triste… Quoi qu’il en soit, la décision est prise et il est clair que cela va certainement arranger certaines petites nations. Cela ne va pas être le cas de la Belgique car le vivier est plus important et que la sélection n’en sera que plus difficile.
“Cela faisait longtemps que nous manquions des rendez-vous”
En 2015, vous aviez déjà été médaillé d’argent en individuel aux Européens d’Aix-la-Chapelle avec Conrad de Hus, mais l’or de Rotterdam était votre première médaille par équipes. Sa saveur a-t-elle été différente ?J’aime défendre mon pays, courir les Coupes des nations et prendre part à de tels championnats. En Belgique, le niveau progresse sans cesse. Il y a dix ou quinze ans, nous étions contents si nous parvenions à trouver quatre couples capables de prendre part à un championnat. Désormais, même s’il nous arrive de passer à côté, nous savons que nous pouvons compter sur des couples solides. Cela faisait longtemps que nous manquions des rendez-vous alors que nous devions y réussir. Nous n’avions d’ailleurs pas toujours d’explication même si le facteur jeunesse des cavaliers était souvent évoqué. Les réussites individuelles étaient là, mais la sauce ne prenait pas en équipes. Par expérience, j’ai toujours dit qu’un championnat se préparait différemment qu’un Grand Prix. Certains n’avaient pas encore intégré cela dans leur mentalité et dans leur programme. Je prends toujours l’exemple de Steve (Guerdat, ndlr) ou Jeroen Dubbeldam qui sont des modèles dans la préparation de grandes échéances. Par le passé, nous avions en Belgique des cavaliers comparables comme Philippe Le Jeune (médaillé d’or individuel aux Jeux équestres mondiaux de Lexington, en 2010, ndlr) ou Jos Lansink (décoré du même métal quatre ans plus tôt à Aix-la-Chapelle, ndlr), qui étaient moins compétitifs toute l’année mais qui savaient répondre présent le jour J. J’essaie de m’inspirer d’eux, et j’estime que j’ai jusqu’à présent réalisé de bons championnats. J’ai jusqu’à aujourd’hui toujours réussi à accéder à la finale individuelle, donc c’est assez bon signe. Ces dernières saisons, j’avais le sentiment que dans nos équipes il nous manquait cette hargne pour aller jusqu’au bout, ce qui me décevait et me fâchait un peu. Depuis les championnats d’Europe de Göteborg en 2017, j’ai le sentiment que la situation a évoluée.
L’équipe de Belgique n’avais jamais gagné de médaille d’or, je ne l’avais même pas réalisé. C’était pour moi impensable. Sa saveur a donc été vraiment particulière. J’aurais été vraiment déçu de ne pas participer à cela alors que je fais partie de cette équipe depuis plus de dix ans. J’ai en plus traversé deux générations, puisqu’à Londres, en 2012, je concourais aux côtés de Philippe Le Jeune, Dirk Demeersman et Jos Lansink qui avaient plus de cinquante ans. Deux ans plus tard aux Mondiaux de Caen, je faisais équipe avec Pieter Devos, mais aussi avec Jos Verlooy et Olivier Philippaerts qui avaient dix-huit et vingt-et-un ans. Toute l’équipe a été renouvelée en peu de temps.
Peu après le titre européen, l’équipe belge de jumping a été célébrée dans le stade d’athlétisme Roi Baudoin. Qu’est-ce que cela a représenté pour vous ?
Je trouve qu’il s’agit d’un beau symbole, car l’équitation en Belgique n’est pas très médiatisée. Je m’intéresse beaucoup au sport et je ne pense pas qu’il y en ait un autre aussi fort en Belgique. J’en parle beaucoup aux journalistes belges, et tous me donnent des excuses qui n’en sont pas vraiment à mon sens. L’initiative de ce tour d’honneur dans le stade était bonne, et je préfère largement la reconnaissance d’un autre sport aussi populaire à une cérémonie avec un ministre, qui ne sert finalement pas à grand-chose.
La Belgique est sur le devant de la scène dans les compétitions individuelles depuis de nombreuses saison, mais n’avait pourtant pas décroché de médaille par équipes depuis les Jeux équestres mondiaux de Lexington, en 2010. Comment l’expliquez-vous ?
Un championnat se joue toujours à de toutes petites choses. Il y a deux ans, nous étions quatrièmes aux Européens de Göteborg, à un point seulement du podium. Concernant les changements, je pense que la jeune génération a pris de la maturité et n’a pas commis les erreurs des derniers championnats. Il s’agit de petites choses qui font la différence. Même si aujourd’hui quelques piliers ont dû rester à la maison à cause de chevaux blessés, nous avons réussi à répondre présent.
La Belgique a idéalement démarré la finale des Coupes des nations ici à Barcelone avec une première place jeudi. Qu’avez-vous pensé de cet acte initial ?
Nous étions très contents, mais nous savons évidemment que les scores seront remis à zéro dimanche après-midi, donc l’objectif était de faire partie des huit équipes qualifiées pour cette finale. Étant donné que j’étais le quatrième cavalier de l’équipe, je n’avais plus de pression car je savais que nous avions notre ticket lorsque j’ai pris le départ de l’épreuve. On m’a plusieurs fois demandé pourquoi j’ai tout de même voulu m’élancer, et je trouve en fait que mon cheval s’améliore au fil des parcours. J’avais peur qu’en ne le faisant sauter que dimanche sur un parcours encore un cran au-dessus il ne soit un peu trop surpris. Il y a également le bonus pour les double zéro (les couples ayant réalisé deux parcours parfaits dans la finale se partagent en effet un chèque de 100 000 euros, ndlr) et la qualification pour le Grand Prix qui sont entrés en ligne de compte.
En reconnaissant le parcours, je me suis dit que ce n’était pas irréalisable. La configuration ressemble à celle que nous aurons l’an prochain aux Jeux avec un niveau d’équipes assez hétérogène. Le chef de piste a construit un bon parcours, pas infaisable pour les plus petites nations mais avec un temps imparti tout de même très serré et des lignes délicates. L’équilibre était le bon.
“Je compte beaucoup sur le retour de Coree”
MJT Nevados S semble avoir franchi un véritable cap, comment jugez-vous sa progression ?Je pense qu’il est arrivé à maturité. Il doit se stabiliser et enchainer ces performances. Je le connais désormais par cœur, et je peux dire qu’il a passé un cap en mai 2018. À cette période, j’ai commencé à le considérer comme un véritable cheval de Grand Prix, alors qu’au départ je considérais qu’il était peut-être un cran en-dessous. Il a réalisé plein de belles choses la saison passée, mais de temps en temps il a pu être moins régulier. Cela n’arrive plus désormais, et il ne fait plus de mauvais tours.
Vous avez récemment récupéré Utah van de Rock, propriété du haras de Belesbat et jusqu’alors monté par le Français Marc Dilasser. Comment cela s’est-il fait et quels sont vos premières impressions avec ce cheval ? S’agit-il du premier cheval pie que vous allez monter en compétition ?
J’ai lu beaucoup de choses à ce sujet… Pourtant, les choses se sont faites simplement. Je crois qu’il ne sert à rien de se mentir, le couple qu’il formait avec Marco ne fonctionnait plus, donc les propriétaires ont décidé de lui retirer (mais continuent de lui confier d’autres chevaux, ndlr). Ils m’ont donc proposé de l’essayer, ce que j’ai accepté. Nous allons débuter tranquillement et nous verrons si cela fonctionne ou pas. Il n’est en tout pas question de sauter des Grands Prix CSI 5* dans l’immédiat. Je ne le connaissais pas, je l’avais seulement croisé une fois ou deux. J’ai déjà eu un pie mais il s’agit d’un de mes premiers chevaux. Cela doit remonter à trente ans !
Plus globalement, comment se compose votre piquet de chevaux actuellement ?
Pour le moment, Iron Man van de Padenborre et Nevados sont les locomotives de l’écurie, ce sont les deux seuls qui prennent part à des Grands Prix. Ils sont complètement différents. J’ai acheté Full House (Picobello Full House Ter Linden Z, ndlr) à six ans, il a en partie été vendu l’an passé à un autre propriétaire pour le faire évoluer encore avec peut-être un objectif de commercialisation. Il a couru son premier Grand Prix à Valkenswaard (avec un score de huit points, ndlr). C’est un cheval intéressant, et comme je le dis souvent c’est un bon ouvrier. Il peut s’illustrer sur tous les terrains, et même s’il n’est pas encore suffisamment compétitif il dispose de gros moyens. Iphigenia (de Muze, ndlr) est de la même génération qu’Iron Man et Nevados mais a eu quelques soucis de santé. Étonnamment, lorsqu’ils avaient huit ans elle était pour moi la meilleure des trois. Dorénavant, je la vois plus comme deuxième cheval lors de gros concours. Avec le temps, elle pourra faire quelques Grands Prix importants, mais le but est qu’elle se maintienne en second plan. Je compte également sur le retour de Coree (la grise qui lui avait permis de remporter le mythique Grand Prix du CHIO d’Aix-la-Chapelle en 2017 n’a plus concouru depuis juillet 2018, ndlr). Nous allons la préparer en fin d’année pour qu’elle revienne l’an prochain je l’espère. Cela fait plus d’un an qu’elle est convalescente, elle a repris le travail mais a dû être opérée. Je compte encore sur elle car lorsqu’elle n’est pas là, elle manque. Elle fait partie des chevaux spéciaux.
J’ai un excellent groupe de jeunes chevaux, c’est pour cela que la semaine prochaine je pars à Vilamoura pour un mois afin de les aguerrir. Kassander van’t Roosakker et Ace of Hearts ont neuf ans, et mes deux huit ans Carleyle et Faut-Il des 7 Vallons sont assez exceptionnels. Je pense particulièrement que ce dernier est de la trempe de chevaux que j’ai monté par le passé comme Cortes ou Conrad. L’histoire avec Faut-Il est d’ailleurs amusante car j’ai monté sa mère il y a quinze ans. Son propriétaire et éleveur, qui est un voisin et un homme très simple, me l’a confié à cinq ans et j’espère aller loin avec lui !
Comptez-vous prendre part aux compétitions indoor cet hiver ?
Je ne vais pas participer au circuit de la Coupe du monde, car d’une part je considère qu’on ne peut pas tout courir et que Nevados et Iron Man ont déjà beaucoup donné. Je vais cibler encore quelques concours importants comme le CHI de Genève, le Global de Prague ou le Longines Masters de Paris. Je veux absolument préparer mes jeunes chevaux à Oliva en janvier et au Sunshine Tour en février. Je voulais d’autre part alléger mon programme de fin d’année pour prendre des vacances en décembre et profiter de ma famille, ce que je ne fais plus depuis des années. J’arrive à un âge où c’est quelque chose que je veux privilégier. C’est la première fois en vingt ans que je vais louper la Coupe du monde de Malines ! La seule étape à laquelle je vais participer est celle de Bordeaux, en février, car il s’agit d’un concours auquel je tiens.