“Je suis triste que certains concours en arrivent à ce niveau de ridicule”, Kevin Staut

Kevin Staut peut compter sur un piquet de chevaux assez largement renouvelé. Ce week-end, le champion olympique par équipes est à Doha avec Viking d’la Rousserie, pour lequel il nourrit des ambitions olympiques, ainsi que Visconti du Telman, en laquelle il croit dur comme fer. Paré à affronter 2020 avec la finale de la Coupe du monde Longines de Las Vegas, mais aussi pour les Jeux olympiques de Tokyo, le Normand, installé depuis un peu plus d’un an dans les écuries familiales de Pennedepie, a pris le temps de répondre aux questions de GRANDPRIX hier après-midi au Qatar. Sans détour, il est également revenu sur la triche opérée lors des CSI 2* de Villeneuve-Loubet et Damas et a évoqué les révélations d’agressions sexuelles qui secouent actuellement l’équitation française. 



Arrivée dans les écuries du Français en novembre, Tolède de Mescam devrait participer à sa première finale de Coupe du monde en avril.

Arrivée dans les écuries du Français en novembre, Tolède de Mescam devrait participer à sa première finale de Coupe du monde en avril.

© Scoopdyga

Quel regard portez-vous sur votre début d’année 2020?
Tout va bien. Nous sommes actuellement partagés entre la fin de la saison indoor et le début de la saison extérieure avec les tournées espagnoles, italiennes et françaises. Certains CSI 5* prennent également le relais en extérieur comme ici à Doha. Le programme des cavaliers dépend de leur piquet de chevaux. En ce qui me concerne, je vais en garder deux pour les concours indoor en vue de la finale de la Coupe du monde mais aussi pour les quelques beaux CSI 5* qui restent comme le Dutch Masters à Bois-le-Duc et le Saut Hermès à Paris. Un autre piquet débute à l’extérieur, dont font partie Viking d’la Rousserie et Visconti du Telman, que je monte ici.
 
On vous voit rarement concourir à Vejer de la Frontera, Oliva ou Vilamoura, contrairement à nombre d’autres grands cavaliers. Comment organisez-vous le début de la saison extérieure ? 
Certaines années, j’ai concouru à Royan, mais cela fait effectivement de nombreuses années que je ne suis pas allé en tournée dans le sud de l’Europe. Là j’ai des chevaux prêts à affronter le haut niveau sans véritablement avoir besoin d’une transition entre l’intérieur et l’extérieur. Dans d’autres écuries, certains ont tellement d’expérience qu’ils vont d’ailleurs concourir ici à Doha et en finale de la Coupe du monde. Concernant les chevaux plus jeunes ou à former, ce qui est un peu plus délicat en termes de gestion, Estelle Navet, la fille d’Éric Navet qui monte désormais pour moi, va les remettre en route à l’extérieur. Nous avons la chance d’avoir quelques bons concours autour de Deauville, au Pôle international du cheval, à Saint-Gatien-des-Bois ou Notre-Dame-d’Estrées. Ces compétitions régulières permettent de relancer des chevaux dans de bonnes conditions et de bien préparer les plus jeunes ou inexpérimentés. Pour l’heure, je n’ai pas tellement de concours entre ces deux niveaux. À partir d’avril, je pourrai compter sur les CSI de Grimaud.
 
Quel est votre plan pour la finale de la Coupe du monde, en avril ? 
Normalement je devrais y emmener Tolède de Mescam. Elle devrait encore concourir à Bois-le-Duc et Paris, même s’il n’est pas certain qu’elle participe à chaque fois au Grand Prix. Elle ne devrait faire que l’un des deux. En finale, je ne devrais monter qu’elle (les cavaliers ont l’opportunité de prendre part à cette compétition avec deux chevaux qui peuvent alors se relayer, ndlr).
 
Tolède de Mescam avait déjà une belle expérience jusqu’en CSI 4* avec Tony Cadet, avant que vous ne la récupériez en novembre. Comment jugez-vous son évolution sous votre selle ? 
Tolède avait déjà eu de super résultats avec Tony, le plus difficile a été de former un couple car elle en formait un super efficace avec lui. Elle était marquée dans le bon sens par le système de Tony. Même si je pense que lui et moi sommes dans le même courant et proches dans la façon d’envisager le travail des chevaux, quelques détails diffèrent. Pour une jument de treize ans avec autant d’expérience, c’était un pari risqué. Elle est intelligente, aime la compétition et a le profil des chevaux que j’aime beaucoup. Les gens n’aiment pas utiliser le terme « rustique », ce que je ne comprends pas, mais je trouve que cela lui va plutôt bien. Elle est très solide physiquement, mais également sur le plan mental. Elle trouve toujours de bonnes solutions. Bien sûr elle a fait quelques erreurs car nous avons rapidement débuté en CSI 5*, ce qui n’est pas idéal pour s’acclimater, mais elle a envie de bien faire. Quand je dis « rustique », je veux aussi dire qu’elle est un peu raide dans son fonctionnement, c’est-à-dire que je peux la façonner plus facilement qu’un cheval très souple. Il y a trois mois lorsque j’ai commencé à la monter, l’idée de prendre part à la finale n’était même pas envisageable. Elle a néanmoins montré de très belles choses et suit une pente ascendante. Elle a la trempe pour réaliser une belle finale. Elle est capable d’aller vite le premier jour sans dégrader sa qualité de saut et a l’endurance pour enchaîner les trois parcours suivants. Techniquement, notre association commence à ressembler à quelque chose. Elle ouvre sa gamme et peut désormais aborder des parcours délicats.
 
Une jument grise un peu raide qui va participer à une finale de Coupe du monde, ce n’est pas sans rappeler une certaine Silvana*HDC… 
Exactement (rires)! Il y a évidemment un rapprochement à faire. Elle a toutes les qualités de Silvana. Désormais, il lui reste à obtenir les mêmes résultats, ce qui demeure la partie la plus compliquée. 
 


“Pour ma carrière et les saisons à venir, je traverse une période stratégique”

Pour les Jeux olympiques de Tokyo, Kevin Staut compte d'abord sur le propre frère de Ratina d'la Rousserie, Viking d'la Rousserie.

Pour les Jeux olympiques de Tokyo, Kevin Staut compte d'abord sur le propre frère de Ratina d'la Rousserie, Viking d'la Rousserie.

© Scoopdyga

Arrivée en octobre dans vos écuries, Visconti du Telman n’a que dix ans mais a connu une ascension assez impressionnante. Quel regard portez-vous sur cette jument?
Visconti est vraiment une super jument. Elle était auparavant montée par Reynald Angot en Normandie et avait concouru jusqu’en CSI 2*. Étant donné que Reynald quittait le haras des Biches pour s’installer à côté, Françoise Sanguinetti, naisseuse et propriétaire de Visconti, préférait que sa jument reste dans le système qu’elle connaissait. Mylène Martin, propriétaire du haras des Biches, m’a proposé d’essayer la jument, tout en me précisant qu’elle devait rester dans ses installations. Visconti m’avait déjà plu en vidéo avec Reynald donc j’ai accepté. Entre elle et moi, cela a rapidement matché. Je l’ai montée au CSI 2* du Mans où nous n’avons pris qu’un point de temps dans le Grand Prix. Elle a ensuite pris part au CSI 4* de Munich où elle a réussi un sans-faute dans le Grand Prix, au CSI 5* de Paris où elle a participé à la victoire de l’Europe dans la Riders Masters Cup et s’est classée dans une belle épreuve à barrage le lendemain. Et à Bordeaux, elle n’a commis qu’une faute dans le Grand Prix Coupe du monde donc tout cela est positif. Elle a un potentiel énorme et des facilités à sauter de gros obstacles comme j’ai rarement vu. Elle représente un mélange de puissance et de vitesse dans son mouvement de saut. Son geste est efficace et lui permet de sauter d’énormes parcours. De plus, nous avons commencé dans les conditions qui lui conviennent certainement le moins avec les concours indoor. Elle s’y était d’ailleurs très peu essayée avec Reynald. Je place beaucoup d’espoirs en elle à l’extérieur. Elle s’est déjà très bien comportée hier (le couple s’est classé quatrième d’une Vitesse à 1,55m jeudi, ndlr) et devrait courir l’un des deux Grands Prix à Doha, certainement celui de ce week-end. C’est une jument que j’aimerais monter lors d’une très belle Coupe des nations en début de saison. 
 
Viking d’la Rousserie reprend lui aussi à l’extérieur ici à Doha après une pause. Comment va-t-il?
Bien qu’il se soit classé septième en Coupe du monde à Bâle (le 12 janvier, ndlr), j’ai senti qu’il était un peu lassé et avait besoin de faire autre chose que des concours indoor. Depuis, il a profité de sorties à la plage. Il marche énormément au moral et je le sens de nouveau agressif, ce qui est vraiment quelque chose qui le définit. Lorsqu’il ne l’est plus, c’est qu’il y a un problème. Il est content de retrouver les concours extérieurs. Je pense d’ailleurs que nous allons avoir besoin de quelques parcours de réglage car il déborde d’énergie. Je vais m’adapter à son état de forme. Il devrait sauter l’épreuve majeure aujourd’hui (dans laquelle le couple a écopé d'une faute, ndlr) mais pas le Grand Prix demain, et certainement celui de la semaine prochaine. Ensuite, il va retourner à la plage et concourir un peu à Grimaud. Le but est de l’amener en forme à La Baule et de s’adapter à lui. Son programme est en tout cas axé sur la saison extérieure. Nous verrons si nous parvenons encore à progresser sur quelques points techniques. Pour le reste, il ne lui manque pas grand-chose car il est très puissant et respectueux. 
 
Calevo 2 n’a plus concouru depuis septembre. Reprendra-t-il la compétition prochainement?
Non. Nous avons décelé une blessure assez importante au retour du CSIO 5* de Calgary à la fin de l’été dernier. Cela met du temps à cicatriser. Comme nous essayons de ne pas accélérer les choses de manière trop artificielle, c’est assez long. C’est lui qui nous dira, mais pour l’heure il n’est pas prêt. Il a encore deux bons mois de convalescence avant de reprendre. 
 
Les Jeux olympiques de Tokyo se profilent dans cinq mois. Comment vous-y préparez-vous? Savez-vous quel cheval vous souhaiteriez y emmener? 
Dans mon esprit, c’est Viking par rapport à notre expérience, ses qualités intrinsèques, et sa résistance. Il fera extrêmement chaud à Tokyo à cette période, ce dernier point est donc indispensable. À mon avis, plus il y a d’éléments pouvant le calmer, mieux c’est. J’ai envie d’y aller si je suis prêt et que mon cheval l’est aussi. La motivation sera toujours là, mais je suis encore dans une phase de reconstruction d’un ensemble. J’ai la chance d’avoir de très bons chevaux Viking, Visconti et Tolède, For Joy van’t Zorgvliet*HDC qui est encore très performant, des jeunes qui se développent, mais aussi Vegas de la Folie, que montait Jérôme Hurel et que je viens de récupérer. J’essaie de construire au jour le jour. Si j’ai la possibilité d’aller à Tokyo avec un cheval en forme, cela reste évidemment la priorité de ma saison. Pour ma carrière et les saisons à venir, je traverse une période stratégique. Je suis entré dans un nouveau cycle, donc il est important d’être sérieux et rigoureux. J’essaie de l’être de façon régulière, et ce n’est pas maintenant que je dois baisser les bras. Je dois rester vigilant et je continue à travailler avec une bonne équipe, dans un état d’esprit positif ainsi que des collaborateurs et des chevaux bien choisis. L’idée est de pouvoir redevenir vraiment compétitif très régulièrement avec des chevaux efficaces. C’est ce qui me plaît et c’est la raison pour laquelle je pratique ce sport. 

Vous êtes installé dans les écuries familiales de Pennedepie depuis un peu plus d’un an, où vous avez accueilli de nombreux nouveaux chevaux. Quel bilan tirez-vous de cette première année ? 
Je suis content de la plupart des chevaux que j’ai accueillis. Parmi ceux qui ont rejoint mes écuries ces douze derniers mois, la grande majorité est restée. Forcément, cela n’a pas fonctionné avec un certain nombre de chevaux, pour lesquels il n’y avait parfois pas d’objectif commun avec le propriétaire. Le fait de pouvoir fonctionner de façon saine, avec sincérité, et de pouvoir faire du cas par cas est primordial. Avec les chevaux, on a beau avoir de l’expérience et des connaissances, seule la pratique permet de confirmer ou d’infirmer sa première impression. C’est pourquoi je donne toujours une chance aux chevaux en leur laissant le temps de s’adapter au système. Tout ceci doit se faire avec une bonne équipe. J’ai eu la chance que la plupart de ceux qui m’accompagnaient au haras de la Forge puis au haras de la Chesnaye m’aient suivi. Estelle peut désormais me seconder, ce qui va me permettre de mettre en place un suivi de plus long terme avec les chevaux que j’accueille. 
 


“Du scandale de bas-étage”

Kevin Staut place de grands espoirs en Visconti du Telman, une jument avec un “potentiel énorme”.

Kevin Staut place de grands espoirs en Visconti du Telman, une jument avec un “potentiel énorme”.

© Scoopdyga

Ces dernières semaines, le retrait de certaines qualifications olympiques, dont celles obtenues lors de concours fantoches à Villeneuve-Loubet ou Damas ont fait couler beaucoup d’encre, tout comme la disqualification du Qatar, dont les deux meilleurs cavaliers ont été contrôlés positifs à un métabolite du cannabis. Quel cela vous inspire-t-il?
Pour ce qui est de la disqualification du Qatar, il s’agit d’une décision de justice classique: il y a eu des cas positifs donc il n’y a rien à redire. Je ne me permettrai pas de juger la raison pour laquelle ils ont été contrôlés positifs. En ce qui concerne les concours de Villeneuve-Loubet et compagnie, je suis triste que l’on en arrive à ce niveau de ridicule. Que certains cavaliers aient pu obtenir une pseudo qualification olympique individuelle – laquelle leur a heureusement été finalement retirée – en gagnant des points dans ces concours-là est vraiment lamentable. Je ne cible pas spécialement les cavaliers qui se sont rendus à ces concours en connaissance de cause, les organisateurs annonçant des conditions plus que douteuses. Chaque cavalier est individuellement responsable. L’IJRC (Club international des cavaliers, dont Kevin Staut est le président, ndlr) avait déjà dénoncé un tel cas de figure il y a quelques années en Azerbaïdjan avec des cavaliers qui avaient engrangé des points au classement mondial dans des conditions similaires. Nous aurions dû réagir en fixant un juste quota réglementaire de cavaliers en-dessous duquel une épreuve ne peut pas offrir de points. Étant propriétaire des droits du classement mondial, l’IJRC aurait dû agir directement à cette époque car nous avions eu cette expérience. De manière plus générale, comment peut-on passer à côté d’avant-programmes d’une part litigieux et d’autre part modifiés le jour de la visite vétérinaire avec le rajout d’une épreuve comptant pour le classement mondial? Nous avons déjà eu quelques témoignages concernant les conditions sur le terrain et les accords passés entre l’organisateur et les cavaliers participant à ce concours, qui étaient là pour gagner des points… C’est triste à dire, mais on est dans du scandale de bas-étage. Il n’y a aucune gloire à retirer d’une telle progression. Ce sont des manipulations d’un niveau… particulièrement concernant des concours dont on connaissait déjà les pratiques douteuses. On a laissé passer trop de choses et c’est triste d’en arriver là.
 
Quels ont été les échanges entre la Fédération équestre internationale et l’IJRC lors de cette affaire?
Dans un premier temps, les échanges ont été très institutionnels. L’IJRC a officiellement contacté la FEI en demandant que les points engrangés par les cavaliers lors des concours en question leur soient retirés. Ce sujet était le plus important car il concernant la qualification olympique. La FEI nous a répondu – ce que je veux bien croire – qu’il y avait une démarche juridique engagée à l’encontre de ces concours mais que cela prendrait du temps. On sentait alors que cette histoire faisait bouillir tout le monde et que nous n’avions justement pas le temps. Il était envisageable d’en parler plus tard lors de l’assemblée générale ou au moment d’amender les règlements, mais il fallait agir vite concernant les cas individuels concernés. C’est ainsi que les points engrangés leur ont été retirés de notre propre chef. 
 
À la veille du Jumping de Bordeaux ont émergé des révélations concernant des abus sexuels dans les sports équestres. Depuis, le sujet est devenu très important, avec de nouvelles affaires chaque semaine. Est-ce un sujet de discussion parmi les cavaliers d’élite? 
À vrai dire, nous n’en parlons pas tellement, pas même au sein de l’IJRC car il s’agit d’un sujet qui touche pour l’instant la France mais pas tellement les autres pays. Je ne peux donc m’exprimer que d’un point de vue personnel. Je suis d’assez près les informations dans le monde du cinéma, du sport, et en général. Le cinéma comme le sport sont des sphères assez confinées et où les gens se développent et s’expriment ensemble avec de grands écarts d’âge. Comme dans chaque histoire, il faut démêler le vrai du faux et que les personnes ayant fait du mal physiquement ou moralement à des enfants ou à des familles entières soient condamnées. Cela ne doit plus se reproduire. Afin que les gens puissent s’exprimer de la manière la plus claire possible dans ces cas, je pense toutefois qu’il faut arrêter de crier au scandale dès lors qu’il y a eu une parole déplacée. Je suis bien sûr en faveur du respect de chacun, mais rien que le fait que nous ayons à y réfléchir montre selon moi qu’il y a un problème. Cela devrait être naturel. Il s’agit d’un sujet vraiment vaste. Cela va de l’éducation de base à l’enseignement général, etc. Pour l’heure, si l’on veut que les choses soient claires et limpides afin de pouvoir s’approcher de la vérité, je pense qu’il faut parvenir à déterminer quelles affaires ont mené à des cas avérés et ne pas se laisser polluer par tout ce qui se greffe autour.