’’Chacun est face à sa conscience’’, Jean-Maurice Bonneau
Pleinement engagé dans l’entraînement et le coaching de Kevin Staut et Patrice Delaveau, Jean-Maurice Bonneau est un homme on ne peut plus occupé puisqu’il accompagne également de très nombreux autres cavaliers français de haut niveau. Ce week-end, l’ancien sélectionneur national des équipes de France et du Brésil est d’ailleurs à Oliva, en Espagne, pour suivre une partie de ses élèves. Œuvrant depuis novembre chez Jump Five, le Vendéen tire un premier bilan de son action et se projette sur les deux grandes échéances de cette année 2016 : la finale de la Coupe du monde à Göteborg et les Jeux olympiques de Rio. Il évoque également la situation des cavaliers brésiliens, désormais entraînés par l’Américain George Morris.
Jean-Maurice Bonneau : Oui, effectivement, je suis un homme occupé, et je ne m’en plains pas ! À Oliva, je suis venu pour Laurent Guillet, Ronan Lerat et Benjamin Robert. En tout, je suis une quinzaine de cavaliers au travail et en concours quand mon emploi du temps me le permet, dont Laurent Goffinet et Marc Dilasser. Autant que possible, en fonction de leurs objectifs, j’essaie de les regrouper. Par exemple, quand je vais en Normandie, je peux aller chez Christian Hermon et faire venir Laurent, Ronan ou Marc. Cela donne lieu à des échanges intéressants et constructifs entre cavaliers. En même temps, je ne veux pas non plus créer de surnombre. Je fais en sorte d’équilibrer mon planning pour garder le temps nécessaire pour Kevin et Patrice, ainsi que pour Frédéric Busquet et Philippe Léoni avec lesquels je travaille depuis plus longtemps.
GPR. : Comment analysez-vous les performances de Patrice Delaveau et Kevin Staut au Longines Hong Kong Masters ?
J.-M.B. : D’abord, il y a une déception pour Patrice qui n’a pas réussi le challenge d’enchaîner deux victoires à Paris et Hong Kong (un second succès consécutif sur le circuit des Masters Grand Slam Indoor lui aurait rapporté une prime de 500.000 euros, ndlr). Toutefois, tout n’est pas perdu. Patrice conserve la possibilité de réussir le même challenge que celui accompli à Hong Kong par Marco Kutscher (remporter deux Grands Prix non consécutifs pour décrocher une prime de 250.000 euros, ndlr). Il se rendra cet automne à Los Angeles avec cet objectif. Désormais, Patrice est surtout pleinement mobilisé sur la préparation de la finale de la Coupe du monde qu’il disputera avec Lacrimoso 3*HDC. À Hong Kong, même s’il y a eu deux fautes dans le Grand Prix, le cheval s’est bien comporté. La première faute est venue dans le triple alors que Patrice l’a abordé exactement comme nous l’avions décidé mais Lacrimoso s’est un tout petit peu descendu. Sans cette première faute, je pense que Patrice n’en aurait pas concédé une autre sur le dernier obstacle. Mais bon, je ne veux pas chercher d’excuses, il vaut mieux se remettre en question.
En revanche, Hong Kong a offert une véritable satisfaction à Kevin qui a réussi un très beau Grand Prix avec For Joy van’t Zorgvliet*HDC (deuxième, ndlr). For Joy confirme tout le bien que nous pensons de lui et Kevin confirme que sa victoire à Bordeaux lui a bel et bien ouvert un nouveau cycle vertueux. Kevin est un champion, et un champion se nourrit de succès ! Au-delà du résultat, je retiens la manière avec laquelle ils ont abordé ce Grand Prix. Finalement, terminer deuxième avec ce cheval qui revient seulement au meilleur de sa forme, c’est très encourageant. D’ailleurs, For Joy sautera seul la finale de la Coupe du monde. Ensuite, il constituera un plan B avec Rêveur de Hurtebise*HDC dans l’optique des Jeux olympiques de Rio.
’’For Joy est la meilleure possibilité qui s’offre à nous’’
GPR. : Kevin ne se rendra donc pas à Göteborg avec Qurack de Falaise*HDC comme il l’avait envisagé après Bordeaux ?J.-M.B. : Non, For Joy est la meilleure possibilité qui s’offre à nous. Si Ayade de Septon*HDC avait disputé un Grand Prix Coupe du monde, elle aurait pu être du voyage et sauter la Chasse. Seulement, Kevin n’ayant pas sécurisé définitivement sa qualification avant Bordeaux, nous y avons engagé Rêveur – bien nous en a pris, d’ailleurs ! Ayade ne peut donc pas participer à la finale (tout cheval engagé en finale doit avoir sauté au moins un Grand Prix Coupe du monde, ndlr). Quant à Qurack, je ne veux pas prendre le risque de l’emmener à Göteborg. Hong Kong nous a permis de préparer For Joy à cette échéance. C’est un cheval qui dispose encore d’une vraie marge de progression.
GPR. : Craigniez-vous la difficulté des parcours de Santiago Varela ?
J.-M.B. : Non, ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète. Selon moi, Santiago est l’un des meilleurs chefs de piste du monde et, en tout cas, l’un de mes préférés. J’aime sa manière de construire dans le sens où il fait plus mal à la tête des cavaliers qu’à leurs chevaux. Ce sera très différent de ce que nous avons vu l’an passé à Las Vegas. Tous les chevaux pourront sauter ses parcours. À nous de bien décrypter les questions qu’il nous posera. Même si la piste de Göteborg est ovale, elle est quand même plus classique que celle de Las Vegas. De plus, les cavaliers disposent d’un grand paddock pour pouvoir détendre leurs chevaux, ce qui est très important.
GPR. : Comment vont Rêveur de Hurtebise*HDC et Orient Express*HDC, les deux chevaux sur lesquels Jump Five mise le plus en vue des Jeux olympiques de Rio ?
J.-M.B. : Rêveur va bien. Il bouge deux fois par jour et suit un programme de maintien en forme avec des exercices de cardio tels que des galops fractionnés et des sorties à la mer. Il restera trois à quatre semaines sans sauter et entamera un cycle de préparation de trois semaines avant de reprendre les concours à Cagnes-sur-Mer. Orient, lui, a effectué ses premières séances de cavaletti cette semaine. Nous avons attendu aussi longtemps que possible pour le renforcer au maximum. Nous suivons notre plan de marche. Les voyants sont au vert.
Après Cagnes, Kevin participera aux CSI 5* de Miami et Mexico avec d’autres chevaux. Patrice, lui, enchaînera deux week-ends à Cagnes où je resterai avec lui. Pour ces deux chevaux-là, naturellement, le Jumping de La Baule est surligné en rouge sur nos calendriers. Ils devront y atteindre un premier pic de forme dans l’optique de la sélection pour les Jeux olympiques. Cela va venir très vite. Ensuite, en fonction des choix de Philippe Guerdat, il y aura le CSIO de Rome et quelques autres. Les choses vont en partie se jouer à cette période-là.
’’Obtenir le meilleur de ces deux virtuoses’’
GPR. : Trois mois et demi après le début de votre collaboration au service de Jump Five, quel premier bilan en tirez-vous ?J.-M.B. : Tout se passe très bien. Nous nous entendons parfaitement et évoluons dans un climat de confiance et de respect mutuel, ce qui est un élément essentiel à la réussite de cette collaboration. Comme je l’ai dit au départ, je veux inspirer Kevin et Patrice. Eux-mêmes se comprennent très bien et s’apportent déjà beaucoup mutuellement. Moi, je me place dans la position d’un chef d’orchestre, essayant d’obtenir le meilleur de ces deux virtuoses en apportant de petites choses par touches. Je me sens très à l’aise dans cette mission. Face à ces deux palmarès vertigineux, je ne nourris aucun complexe. J’ai suffisamment de bouteille pour ne pas être impressionné !
Par ailleurs, nous passons de beaux moments ensemble. Au-delà du sport, la vie avec Kevin et Patrice est très agréable.
GPR. : Que vous inspire l’arrivée de George Morris à la tête de l’équipe du Brésil ? Compte tenu de son expérience et de son palmarès d’entraîneur, on l’imagine mal monnayer ses services moins cher que vous ! Cela contredirait donc la thèse selon laquelle la Fédération brésilienne aurait mis un terme à votre collaboration pour des raisons financières… Lui avez-vous demandé des explications à ce sujet ?
J.-M.B. : Non, je ne me suis pas abaissé à demander la moindre explication. La page est tournée. J’ai toujours pour principe de regarder devant. Ma relation avec les cavaliers brésiliens est la seule chose qui m’importe. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas le sentiment d’avoir été trahi par mes cavaliers. Le reste, je préfère ne pas le commenter… Je veux retenir les beaux moments que j’ai vécus avec cette équipe plutôt que de me pencher sur les raisons obscures qui expliqueraient cette fin de collaboration. Chacun est face à sa conscience. Moi, je suis tranquille face à la mienne, car j’estime avoir accompli mon travail.