’’Savoir prendre des décisions dans le sens du cheval’’, Éric Navet

Éric Navet fait partie des cavaliers français les plus célèbres. Médaillé d’or aux Jeux équestres mondiaux de Stockholm, en 1990, avec le non moins légendaire Quito de Baussy, champion d’Europe à la Baule l’année suivante et vice-champion du monde avec Dollar du Mûrier à Jerez de la Frontera en 2002. Désormais installé en Floride, le Normand s’est illustré cet hiver se classant sur plusieurs étapes Coupe du monde de la ligue de la Côte Ouest nord-américaine. Avec sa cinquième place au classement général, il peut même espérer se rendre à la finale de Göteborg, en mars prochain. De quoi rêver d’un retour au plus haut niveau. Pour GrandPrix-Replay.com, le Tricolore a accepté de lever le voile sur ses projets pour la saison à venir.



GrandPrix-Replay : Karl Cook, votre élève, a terminé premier de la ligue de la Côte Ouest nord-américaine. Est-ce une satisfaction pour vous ?
Éric Navet : Oui absolument car cela signifie qu’il a été le plus régulier sur l’ensemble des Grands Prix qualificatifs pour la Coupe du monde. C’est aussi une satisfaction pour la jument (Tembla, ndlr) car elle débute à ce niveau.
 
GPR : Maintenant, il est surement tourné vers Göteborg, où il avait déjà couru la finale de 2013 ? Quel cheval va-t-il monter ?
E. N. : Nous avons justement eu une grande discussion à ce sujet hier. Tout cela est très récent, mais je lui ai confié que selon moi, sa jument n’est pas encore assez aguerrie pour faire la finale Coupe du monde. Ainsi, aussi frustrante soit cette décision, nous ne la ferons pas. Je lui en avais déjà touché quelques mots il y a un moment. Tembla va bien, elle est régulière, mais elle n’est pas encore prête pour une semaine comme celle de la finale Coupe du monde. Il y a deux choses très importantes à prendre en compte : la première c’est que le niveau des Grands Prix qualificatifs pour la Coupe du monde sur la côte Ouest est différent de ceux qui se déroulent en Europe. Le deuxième point est, qu’ici, les cavaliers se qualifient sur de grandes pistes extérieures, comme celle de Thunderbird, au Canada, ou de Thermal, en Californie, tandis que les cavaliers européens évoluent sur des pistes en indoor semblables à celle que l’on retrouve en finale. Ainsi, les chevaux et cavaliers sont habitués, ce qui n’est pas le cas pour les cavaliers américains, du moins, ceux qui concourent sur la côte Ouest. La condition pour pouvoir participer à une finale Coupe du monde comme celle-ci est d’avoir un cheval expérimenté, comme c’était le cas en 2013 avec Jonhkeer Z.
 
GPR : Avec votre cinquième place au général, vous pourriez également être de la partie si deux cavaliers venaient à se désister. Seriez-vous prêt à participer à votre deuxième finale de Coupe du monde ?
E. N. : Non parce que Catypso a encore moins de métier que la jument de Karl. Il a fait son premier Grand Prix qualificatif à Thermal la semaine dernière, où nous nous classons troisièmes. Cela ne me paraît pas raisonnable de courir une finale Coupe du monde avec un cheval qui a participé à son premier Grand Prix seulement quelques semaines avant. Il n’a que neuf ans et, jusque-là, il participait à des épreuves à 1,35m et 1,40m. Il a commencé les épreuves plus importantes à l’automne seulement. Je place toujours le cheval avant tout. J’ai toujours dit à Karl, que j’entraîne depuis quatre ans maintenant, qu’il faut qu’il comprenne que le cheval passera toujours avant le cavalier. Bien entendu, il faut avoir des projets et être ambitieux, mais il faut toujours suivre le rythme de progression des chevaux. Certains chevaux arrivent plus rapidement à maturité que d’autres. Tembla, avec laquelle il s’est qualifié, est une jument que nous avons depuis trois ans. Mais nous avons mis beaucoup de temps à l’amener à ce niveau car elle est très émotive, l’aspect psychologique est très important pour elle : il faut qu’elle soit très à l’aise pour pouvoir donner le meilleur d’elle-même. Selon moi, ce serait un choc émotionnel trop important pour elle d’arriver en finale Coupe du monde dans des conditions totalement différentes de celles dont elle a l’habitude. En revanche, je pense que Catypso lui, peut arriver plus rapidement à haut niveau car il est très mature pour son âge et il est très sûr de lui. Il faut évoluer en fonction du rythme des chevaux. Par exemple, Quito de Baussy était d’une maturité incroyable pour son âge. A l’inverse, avec Dollar du Murier, j’ai dû attendre ses onze ans pour courir un championnat. Tout est une question de maturité, c’est au cavalier de sentir si le cheval a suffisamment de maturité pour faire un grand championnat. Ce n’est pas l’âge qui compte, c’est le tempérament et le caractère. Pour les chevaux émotifs, il faut prendre plus de temps et ne pas prendre le risque de compromettre la suite de la saison juste pour participer à une finale. Selon moi, c’est de l’égo mal placé. C’est toujours l’intérêt du cheval qui passe en premier car l’intérêt du cheval c’est également celui du cavalier, il faut savoir prendre des décisions dans le sens du cheval.


’’Pourquoi pas venir en Europe l’année prochaine’’

GPR : Vous avez beaucoup monté Jonhkeer Z, cette saison. Est-il définitivement passé sous votre selle plutôt que sous celle de Karl ?
E. N. : Non, nous ne l’avons plus, il a été vendu. Il reste en Californie, où il se consacrera à sa carrière d’étalon. Il continuera également de participer à des concours sur la côte Ouest.
 
GPR : Vous pouvez également compter sur Catypso et Conquistador. Jusqu’où allez-vous les emmener ? 
E. N. : Je n’ai plus Conquistador, il est à la retraire au ranch des parents de Karl. Là-bas il fait aussi de l’élevage. Je n’ai plus que des jeunes chevaux. Catypso arrive à point nommé maintenant que les deux autres chevaux sont partis !
 
GPR : Quels sont vos objectifs sportifs cette saison ?
E. N. : Je n’en ai pas vraiment parce que je fais évoluer mon cheval au fur et à mesure de sa progression. A priori, je devrais garder Catypso sous ma selle. Nous en avons parlé plusieurs fois avec Karl : s’il a besoin du cheval, il le prendra. Jusqu’à maintenant, mon rôle est de préparer des chevaux qu’il pourra monter par la suite. Karl ne s’entendait pas parfaitement avec Catypso, c’est pour cela que c’est moi qui l’ai sorti en concours cette année. Nous verrons comment il progresse durant la saison. Cette année est très importante car cela va être une saison d’observation. Je veux voir jusqu’à quel niveau il peut aller, si c’est un cheval sur qui on peut compter l’année prochaine pour du très haut niveau ou pas.
 
GPR : Comptez-vous participer à certains concours européens durant la saison ? Y accompagner Karl ?
E. N. : Nous ne l’envisageons pas cette année mais pourquoi pas l’année prochaine avec les chevaux qui auront huit ans, cela pourrait être intéressant pour eux. Nous avons changé notre programme pour l’été. Depuis quatre ans, nous faisions la tournée d’été à Calgary, où nous avons eu de bons résultats, notamment avec Jonhkeer l’année dernière, mais cette année nous avons décidé de changer de programme. Nous irons peut-être à Mexico pour le CSI 5* du Global Champions tour, nous ne savons pas encore. Nous ferons une tournée au Kentucky, nous resterons trois semaines à Lexington pour le CSI 3*, et en Caroline du Nord, à Tryon, pour le CSI 3* également, un concours récent dont beaucoup de personnes disent du bien. Nous irons sûrement avec d’autres chevaux à Thunderbird, au Canada, de nouveau pour un CSI 3*. Tous ces concours vont nous mener jusqu’à juin. En juillet, il fait très chaud et nous voulons épargner les grandes chaleurs aux chevaux. Ils auront donc une bonne période de repos.