"Ce n'est plus seulement le sport qui décide des sélections", Alexandre Ayache

Régulier depuis le début de la saison, Alexandre Ayache semble monter en puissance avec Lights of Londonderry, noté à 73.950% dimanche dernier dans la Reprise Libre en Musique du CDI-W de Brno, en République tchèque. Après l’intégration, sur le tard, de son alezan au sein du groupe JO/JEM, le Niçois s’est plusieurs fois vu refuser une place, pourtant méritée, en équipe de France. À quelques semaines des championnats d’Europe, où la France aura besoin de ses meilleures cartouches pour décrocher sa place aux prochains Jeux olympiques, Alexandre Ayache continue à croire en ses chances, malgré une certaine lassitude.



GrandPrix-Replay : Vous venez de vivre un fabuleux week-end, au CDI-W de Brno, en remportant la Reprise Libre en Musique avec la moyenne de 74.950% sur Lights of Londonderry. Comment vous sentez-vous ?
Alexandre Ayache : Ce week-end a tout simplement été parfait. Lights a été fabuleux. Il a beaucoup pris en maturité, et moi aussi. Pour se rôder aux compétitions internationales, il n’y a pas d’autres solutions, il faut en faire beaucoup. Et maintenant que nous avons un petit peu d’expérience, je le monte mieux. Dresser un cheval est une chose mais le monter correctement dans une étape de Coupe du monde en est une autre. Tout cela s’apprend, et ça commence à vraiment bien venir. Je suis content de tout ce week-end, d’autant plus que je ne m’étais pas préparé pour ma RLM ! Grete (l’Estonienne Grete Püvi, sa compagne, est également cavalière de dressage, ndlr) m’a écrit ce programme une semaine avant Brno et nous y avons été sans jamais avoir déroulé.
 
GPR : Lights semble particulièrement en forme ces derniers temps, montant en puissance à chaque sortie. Ce week-end, il a d’ailleurs inscrit des notes inédites. Que s’est-il passé ? A-t-il franchi un cap ? Ou est-ce vous ?
A.A. : Lights est en pleine forme et s’améliore chaque fois un peu plus. Il n’a plus besoin de dérouler pendant la détente, comme nous le faisions avant, ce qui fait que j’ai un cheval beaucoup plus frais et plus disponible. Mais en fait, il va très bien depuis le début de la saison. Seulement, jusqu’à maintenant, je le voyais encore jeune, car nous n’avons pas fait tellement de compétitions, finalement. Il est vraiment en pleine forme physique et mentale et, en piste, il a envie de tout donner. Je ne le monte plus de la même manière depuis les Jeux équestres mondiaux. Nous avons pris de l’expérience et je me suis fait aider. J’ai réfléchi à mes appuyers, nous les avons travaillé et ils se passent de mieux en mieux, j’ai même décroché des huit à Brno !


"J’ai peur de perdre mes chevaux"

GPR : Pendant ce temps, les choses ont été un peu plus difficiles pour vos coéquipiers, qui étaient sélectionnés pour le CDIO 5* de Rotterdam. Pas trop déçu de ne pas avoir été aux Pays-Bas ?
A.A. : 
Au début, je ne devais pas y aller parce que l’équipe de France n’était que réserviste. Mais finalement, quand la France a été retenue pour participer, je n’ai pas été sélectionné du tout. Cette année, je n'ai pu aller à Hagen que pour remplacer Noble Dream (opérée de problèmes ovariens, ndlr). À Rotterdam, l’équipe qui a été sélectionnée ne présentait pas de mauvais chevaux, c’est certain, mais ils n’avaient pas tous les points forts de Lights. Après cette énième déception pour Rotterdam, j’ai eu une longue discussion avec mes partenaires où nous sommes arrivés à deux conclusions : je dois monter pour me faire plaisir… Mais si nous n’arrivons pas à participer aux grosses échéances, comme les championnats d’Europe ou les Jeux olympiques, alors nous vendrons les chevaux.
 
GPR : Lights est donc à vendre ?
A.A. : 
Honnêtement, je suis un peu fatigué. Jean-François Vesin, copropriétaire de Lights, veut vendre ses parts. C’est mon meilleur ami, il adore me voir me faire plaisir avec mais il adore aussi voir son cheval sur les beaux concours. Je ne peux pas lui en vouloir, moi aussi, aujourd’hui, je suis obligé d’entendre raison. Jean-François a toujours tout accepté mais Rotterdam a été le coup de grâce. Tout cela m’attriste. Lights aurait été à vendre tôt ou tard, mais j’espère vraiment faire les grandes échéances avec lui. Nous pourrions le garder, en se disant qu’il pourrait faire les Jeux olympiques, mais si de meilleurs chevaux arrivent en équipe de France entre temps, il n’aura finalement pris part à aucune échéance. C’est le sport. Nos reprises ne sont pas encore parfaites, mais nous pouvons encore faire mieux. Aujourd’hui, je devrais être serein mais j’ai constamment la grosse inquiétude de voir mes chevaux partir.
 
GPR : Avec ces déceptions à répétitions, pensez-vous être toujours en lice pour les championnats d’Europe d’Aix-la-Chapelle ?
A.A. :
 Lights est devenu très fiable. Avant de faire Vidauban, l’année dernière, il n’avait jamais fait de Grands Prix, même pas sur des concours nationaux. Et puis, petit à petit, il a montré qu’il plaisait aux juges et qu’il était fiable. Nos notes commencent à devenir plus qu’intéressantes et pourtant je n’ai aucune sérénité car ce n’est plus seulement le sport qui décide des sélections. Si je dérange, autant me le dire, et je vendrais les chevaux plutôt que de m’entêter. La sélection pour Rotterdam a vraiment été très injuste. Aujourd’hui, je devrais être serein et peaufiner tranquillement mes réglages mais ce n’est pas le cas.


"Nous sommes des sportifs, pas des politiciens"

GPR : Où en sont vos rapports avec le staff fédéral ? Gardez-vous le contact ?
A.A. :
 J’ai des discussions régulières avec le staff fédéral, mais personne ne m’envoie dans les CDIO. Je ne comprends pas. Pour espérer obtenir une place aux Jeux olympiques, la France va devoir se montrer très performante aux championnats d’Europe. Il va falloir aligner une équipe pour tourner à 73% et le sport doit rester le sport. Il faudra les meilleurs couples, dans leur meilleure forme, et aussi un bon coup de chance. Lights a prouvé qu’il pouvait le faire, qu’il était régulier. Quand il va moins bien, c’est parce que je ne monte pas correctement. Mais personne ne nous laisse aller nous mesurer aux meilleurs. On ne nous sélectionne pas sous prétexte que Lights n’a plus rien à prouver alors que d’autres ont besoin de tourner. Mais Lights aussi a besoin de tourner ! Je n’ai pas fait 1.400 km juste pour le plaisir, ce week-end. Et nos moyennes ont prouvé que nous pouvions encore prouver des choses. Je me plie à toutes les décisions de la fédération, et j’estime qu’il y a une réelle injustice. Si l’on ne me sélectionne pas pour faire une équipe avec de meilleurs chevaux, c’est normal. Mais certains chevaux de l’équipe tournent toujours 2% derrière moi, alors c’est une réelle injustice. Je suis prêt à avoir une discussion avec le staff fédéral, mais ils doivent accepter de ne pas avoir la réponse qu’ils veulent, tout comme je dois le faire. C’est le principe même de la discussion. Nous sommes des sportifs, pas des politiciens, et les résultats doivent parler.
 
GPR : Qu’en est-il de votre programme pour la suite ? Qu’avez-vous prévu ?
A.A. :
 Nous avons prévu de faire les championnats de France, à Vierzon (du 9 au 12 juillet prochain, ndlr) puis le CDI 3* de Deauville (du 23 au 27 juillet, ndlr). Ensuite, ce sera les championnats d’Europe, nous verrons ce qui se passera.