“Nous sommes champions olympiques et nous comptons le rester !”, Michel Asseray
Follement passionné par sa discipline qui le rend presque inénarrable, Michel Asseray a cette année encore suivi de près le concours complet tricolore. Directeur technique national en charge de la discipline depuis 2013, ce dernier a accepté de dresser le bilan des Bleus, dont les yeux sont déjà rivés sur les Jeux olympiques de Tokyo 2020. Au Japon, il faudra composer avec le nouveau format olympique ou encore les conditions climatiques difficiles, deux données bien intégrées par celui chaperonne les complétistes français. Lors de cet entretien, Michel Asseray a également réagi à la tribune d’Arnaud Boiteau, a donné des nouvelles de Thibault Fournier, et s’est exprimé au sujet de la sécurité.
Cette année était transitoire car nous étions en préparation des Jeux olympiques de Tokyo. Grâce à la qualification olympique obtenue avec le bronze par équipes aux Jeux équestres mondiaux de Tryon en 2018, nous avions annoncé qu’il s’agissait d’une saison sans pression. Cela a été le cas, bien que nous ayons eu quelques échéances importantes. Nous avions plusieurs chevaux à aguerrir, et d’autres qui devaient confirmer leur état de forme. Lors du CCI 4*-L de Saumur, sept couples ont terminé dans le premier quart avec Jean-Lou Bigot, Christopher Six, Victor Levecque, Julien Guillot, Nicolas Touzaint, Camille Lejeune et Mathieu Lemoine. Il s’agissait de qualifier un premier groupe de chevaux en vue de Tokyo. L’idée était d’arriver à agrandir le réservoir en trouvant de nouveaux chevaux. Notre volonté est de constamment donner la chance et créer de nouveaux couples, comme cela a été le cas avec le nouveau cheval de Jean-Lou (Utrillo du Halage, ndlr), celui de Victor Levecque (RNH MC Ustinov, ndlr), l’arrivée de Julien Guillot et du cheval de Nicolas Touzaint (Absolut Gold*HDC, ndlr). Tout cela a été de bon augure. Nous avons ensuite envoyé quelques couples au CCI 5*-L de Badminton afin qu’ils gagnent en expérience (Sébastien Cavaillon avec Sarah d’Argouges, Clara Loiseau sur Wont Wait, ainsi que Camille Lejeune et Tahina des Isles, ndlr). Ils ont ainsi pu se frotter au plus haut niveau.
Cette saison, nous avions fait le choix d’un peu moins jouer le jeu de la Coupe des nations. Nous avons tout de même été présents à l’étape de Pratoni del Vivaro afin de se familiariser avec le format olympique à trois cavaliers, car elle est plutôt indigeste. Nous devons apprendre à l’utiliser, car si nous avons pris la quatrième place de ce CCIO 4*-S, nous l’aurions remporté avec l’ancien format… Nous avons gagné au Pin avec une équipe de nouveaux chevaux, pris la troisième place à Waregem et qualifié des chevaux à Boekelo. Un dernier wagon de chevaux s’est élancé au CCI 4*-L de Pratoni del Vivaro où de nouveaux chevaux se sont qualifiés pour Tokyo. Nous débutons donc l’hiver avec une quinzaine de chevaux dans le Groupe 1, ce qui est idéal pour compter sur un réservoir suffisant et rêver de médaille à Tokyo. Bien évidemment, si on ambitionne de décrocher l’or, cinq ou six chevaux peuvent entrer en lice, contre huit ou neuf si on veut simplement une médaille. Il nous incombe désormais de faire progresser tout cet effectif. Cet hiver, il va falloir travailler le dressage afin de grappiller le maximum de points. Comme les équipes ne seront plus composées que de trois cavaliers et d’un remplaçant, les places pour Tokyo vont être chères. Les cavaliers devront donc bien se préparer, et la Fédération va les épauler lors de stages avec les entraineurs nationaux. Il revient à eux d’être encadrés de façon privée le reste du temps, afin de conserver une certaine rigueur dans le travail et d’augmenter les notes de dressage.
Les conditions climatiques dans lesquelles vont se courir les Jeux olympiques de Tokyo inquiètent beaucoup d’athlètes. Comment comptez-vous vous y préparer ?
À Tokyo, les conditions climatiques vont en effet être relativement compliquées. Les chevaux devront être bien préparés car il y fera très chaud, mais les cavaliers aussi. Cette fois, nous allons également agir en ce qui concerne leur préparation car il faudra parvenir à supporter cette chaleur. Nous serons donc bien plus exigeants sur l’hygiène de vie de chacun, afin que tout le monde soit fin prêt en vue de cette échéance.
En janvier et février, nous organiserons comme chaque année des stages fédéraux, avec un programme à la carte car chaque couple n’a pas besoin des mêmes choses. Même si les chevaux sont qualifiés sur le format long, Thierry (Touzaint, le sélectionneur tricolore, ndlr)voudra certainement en revoir dans une telle configuration. Nous allons aussi nous appuyer sur le circuit du Grand National, qui permet de prendre de bonnes informations, ainsi que sur un ou deux voyages à l’étranger pour faire monter la mayonnaise.
“Je suis admiratif la tribune qu'a écrit Arnaud Boiteau”
Cette saison, les effectifs du Groupe 1 se sont étoffés. Que cela vous inspire-t-il ?La bonne nouvelle de l’Event Rider Masters, c’est Gireg Le Coz (dont un portrait est à retrouver dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX, ndlr), qui a suivi ce circuit avec Aisprit de la Loge, un cheval bourré de qualités. Tous deux ont conclu le circuit à la deuxième place du classement général, et obtenu leur qualification facilement à Pratoni avec un bon temps sur le cross. C’est un jeune qui pousse, qui n’a pas envie d’être oublié lorsque l’heure des choix viendra. Cela motive tous ceux qui pouvaient penser que leur sélection était acquise. L’émulation que cela créée est vraiment intéressante.
Nous avons également pu compter sur le retour de bons chevaux, dont Romantic Love (monture de Gwendolen Fer, ndlr). Karim Laghouag a lui aussi trouvé un bon nouveau cheval avec Triton Fontaine. Pouvoir compter sur un grand groupe de cavalier est un réel avantage, qui oblige tout le monde à travailler.
À propos du nouveau format olympique, comment abordez-vous Tokyo ?
Dès lors que l’on fera rentrer le couple remplaçant dans l’équipe, je pense qu’à moins d’avoir à faire à un scénario incroyable, une médaille sera inenvisageable car l’équipe sera automatiquement pénalisée de vingt points. Il s’agira donc d’être stratège, et l’entraineur devra adapter sa tactique en fonction du déroulé de l’épreuve. Cela va changer la donne, car même pour les grandes nations, un couple pouvait jusqu’alors passer à côté de l’épreuve, ce qui ne sera plus le cas. Personne ne sait encore comment cela va se gérer, nous verrons dès la fin du dressage quels seront les écarts. Après le test event, j’ai la sensation que le chronomètre du cross sera une donnée importante. Le terrain est un peu vallonné, avec une partie plate au milieu mais quelques bretelles qui comportent des montées et des descentes, ce qui devrait être exigeant. Dès le matin, nos téléphones affichaient un ressenti de cinquante degrés, ce qui est extrêmement chaud pour de tels efforts. Nous verrons sur place quelle sera la stratégie, mais nous essayerons de ne pas faire rentrer le remplaçant. Lorsqu’on entraine l’équipe de France, on aborde les Jeux olympiques avec une ambition de médaille. Nous sommes champions olympiques et nous comptons le rester ! Thierry Touzaint a suffisamment de métier, de recul et la réputation d’être un fin stratège. À ce jour, la priorité sera d’aligner les sans-faute, mais les sans-faute trop lents ne paieront pas non plus… Le tirage au sort de l’ordre de départ pour le cross avait déjà de l’importance, mais il en aura encore davantage. Si l’on passe après les grandes nations, nous pourrons modifier la tactique. On navigue un petit peu à vue…
Bien sûr, tout ce qui change dérange, et si nous n’avions jamais connu les équipes à quatre avec le moins bon score supprimé, nous vivrions ce changement différemment. Nous avons toutefois été habitués à cette formule qui avait du charme, car le drop score nous permettait de faire des paris plus osés. Aujourd’hui, la première stratégie sera d’aligner les sans-faute.
Il y a quelques jours, Arnaud Boiteau a publié une tribune dans laquelle il questionne l’avenir de l’équitation, appelant notamment les pratiquants à questionner leur rapport au sport. Qu’en avez-vous pensé ?
Arnaud s’exprime extrêmement bien et a beaucoup de recul sur les choses. Je trouve qu’il a réalisé une synthèse très juste sur ce qu’est l’avenir des sports équestres. Il s’agit d’un bon bilan de la situation actuelle et de ce vers quoi nous devons tendre. Il a presque tout dit, et je crois qu’il a fait l’unanimité. Cela ne me surprend pas venant de sa part. Je le connais depuis très longtemps, car son père m’a mis à cheval, et je dois dire que je suis admiratif de ce qu’il a écrit. J’espère que cela va faire réfléchir et que ce sera lu par un maximum de personnes. Je suis d’autant plus heureux qu’il s’agit d’un cavalier de complet.
“Thibault a défié tous les pronostics des médecins”
Avez-vous des nouvelles de Thibault Fournier, qui ne cesse de progresser depuis son grave accident survenu en octobre ?Tout évolue bien, Thibault a défié tous les pronostics des médecins. L’évolution de la convalescence est toujours assez floue au départ, mais en l’occurrence, tout progresse très favorablement et beaucoup plus vite que prévu. En un mois, il a fait énormément de progrès. Il faut toutefois lui laisser encore du temps. Grâce aux échanges que nous avons avec sa famille, nous savons qu’il est dans la bonne voie, ce qui est très agréable à entendre.
Cette saison, le concours complet français a malheureusement été frappé par le dramatique accident de Thaïs Meheust. Bien que les questionnements concernant la sécurité des cavaliers et des chevaux ne datent pas d’hier, où en sont les réflexions ?
En effet, nous n’avons pas attendu tout cela pour nous saisir du sujet. Nous y travaillons depuis longtemps, et de nombreuses mesures ont été mises en place ces dix dernières années. Je pense qu’elles ont protégé de nombreux cavaliers et chevaux. Il y a notamment eu des règles mises en place pour les Amateurs, comme par exemple l’interdiction de prendre le départ du cross pour les couples ayant obtenu moins de 50% lors du dressage ou ayant commis quatre fautes à l’occasion de l’hippique. Nous nous sommes de nouveau rassemblés récemment, avec la présente de soixante-dix personnes aux rôles très différents dans les sports équestres. Nous avons dressé un bilan clair, qui met en évidence la nécessité de mettre en place des actions destinées aux chevaux, aux cavaliers, aux formats d’épreuves et aux obstacles. Ce sont les quatre grands thèmes sur lesquels nous allons mener une réflexion. Nous allons déterminer quels chevaux sont adaptés au concours complet. Pour les cavaliers, nous nous concentrerons sur leurs protections ou encore leur suivi médical, tandis que concernant les obstacles, il faudra se mettre dans la peau d’un cheval face aux différents profils rencontrés sur un cross. Enfin pour les formats, nous verrons si nous modifions les règles. Il y a une réflexion d’ensemble importante, que nous poursuivrons en décembre à l’occasion d’une nouvelle réunion. Avec la FFE, nous projetons de réaliser un projet très complet pour la sécurité de tous les équitants, et pas uniquement pour le concours complet. Toutes les disciplines sont sujettes à de très sérieuses chutes.
Pour ma part, je vais me rendre avec Laurent Bousquet et Pierre Michelet à la réunion annuelle pour la sécurité et les chefs de piste, qui cette année a lieu à côté de Liverpool, en janvier. Il s’agit de l’occasion d’échanger avec les autres pays, et nous nous rendons souvent compte que nous sommes loin d’être en retard. Pour preuve, nous sommes les seuls à avoir mis en place les règlements concernant les Amateurs. Pour ce qui est des normes internationales, la Fédération équestre internationale met en place des critères, qui sont encore plus complets à la FFE. Parfois, même lorsque les couples remplissent les critères de qualification pour passer un au niveau supérieur, la FFE se réserve le droit de ne pas les sélectionner. Cela arrive très régulièrement, et j’explique aux cavaliers pourquoi j’estime qu’ils ne sont pas prêts pour un concours en particulier. Nous voulons également avoir une action auprès des entraineurs, qui sont désormais absolument indispensables.
La sécurité n’est pas uniquement l’affaire de la FFE, il s’agit de la responsabilité de chacun. Chacun doit se poser les bonnes questions, et accepter de rester au niveau qui est le sien, ou même de faire un pas en arrière si c’est nécessaire.