La SHN de Hennebont, “un véritable gâchis” selon ses anciens présidents…

Un peu plus de deux semaines après la réunion du comité du syndicat mixte du Haras national d’Hennebont, la colère laisse peu à peu place à l’émotion et l’abattement quant à l’avenir de la Société hippique nationale (SHN). D’un côté, les bénévoles et salariés de l’association font état de leur écœurement ; de l’autre, l’administrateur et le syndicat mixte continuent à négocier. En tout cas, la dernière SHN semble inévitablement vouée à disparaitre, l’administrateur ayant mis ses chevaux en vente. Une situation pesante pour les salariés. De fait, “c’est bel et bien pour eux que c’est le plus dur à vivre”, comme le rappelle Jean-Pierre Manceron, ancien président de l’association.



Trois des quatre présidents qui se sont succédé ces dix-huit dernières années ont accepté de reprendre l’histoire de la Société hippique nationale de Hennebont, la dernière encore en activité en France. “Lorsque je suis arrivé à la présidence, nous étions énormément soutenus par les Haras nationaux, dont les agents faisaient les boxes, nourrissaient les chevaux, entretenaient les infrastructures et nous accompagnaient dans l’organisation de nos différents événements”, rappelle Jean-Pierre Manceron, en poste dans les années 2000. “Petit à petit, les restrictions budgétaires ont changé la donne. À Hennebont, il y a eu des championnats de Bretagne et de France, des Semaines hippiques exceptionnelles, des saisons avec plus de dix mille visiteurs… Et puis, au fil du désengagement de l’État dans la filière, nous avons changé nos modes de fonctionnement, gagné des chevaux grâce aux concours de ligue, puis acheté nos propres équidés… La transition nous a obligés à changer avant l’arrivée du syndicat mixte, puis de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE). Des loyers sont apparus(depuis 2001, la SHN s’acquitte d’une redevance de 1.232 euros hors taxes, abaissée depuis 2008 à 1.187,96 euros, ndlr)et le mode de gestion de l’association a totalement changé.”
Au-delà de cette transition, dès la naissance de l’IFCE, fruit de la fusion des Haras et de l’École nationale d’équitation de Saumur, les choses semblent avoir changé. “Je ne me rapelle pas avoir signé de convention d’occupation avec les HN. Je pense que cela remonte à avant (cela date du 31 décembre 2001 entre Jean-Pierre Manceron, président de la SHN, et Christian Ferté, alors directeur général des HN, ndlr). Je n’ai même pas le souvenir d’un couperet. Nous étions des bénévoles très actifs et engagés par passion. Dès l’arrivée des nouvelles institutions, nous avons eu le sentiment d’être pressés. Durant des années, j’ai demandé des prairies, par exemple, qui m’ont malheureusement toujours été refusées. L’arrivée de nouveaux acteurs économiques et de nouveaux clubs sur le territoire n’a fait que conforter ces demandes, en vain. Depuis le désengagement de l’État, j’ai la sensation que nous n’avons jamais été écoutés ni accompagnés. Le cadre est magnifique. Il aurait sans doute fallu mieux aider la SHN et mieux la comprendre, tout en investissant dans l’outil global plus que dans les spectacles, à l’image du projet de la grande halle. Aujourd’hui, nos associations vivent des hauts et des bas, mais les projets semblent ne pas aboutir, à l’instar de l’Abbaye de la Joie, un projet débuté il y a presque trente ans. Ce qui m’attriste le plus aujourd’hui, c’est la détresse du personnel et des bénévoles, dont certains voient disparaître cinquante ans d’histoire. Et personne ne semble vouloir prendre de décision…, ajoute Jean-Pierre Manceron.


“Il nous fallait changer de modèle”, Richard Legruiec

Une sensation que modère Richard Legruiec, président de l’association de 2013 à 2016. “Avant mon mandat, dès 2008, Pierre Llopis avait entamé une véritable réflexion, initiant la création du poney club. Il y avait déjà eu du changement avant mon arrivée. Nous savions qu’il fallait donner une nouvelle orientation à cette association face au désengagement total de l’État. Lors de ma mandature, avec Olivier Lemoine, j’ai continué à développer la pouponnière de cavaliers amateurs. Je souhaitais que le club soit très ouvert. Les gens avaient l’habitude de dire que l’on ne voyait pas derrière les murs de la SHN, pensant encore que l’équitation était un sport élitiste, et qu’il fallait changer cela. Le Haras est un lieu prestigieux où les gens n’osaient pas entrer. Il y a une baisse du nombre d’engagés en 2008 et 2009 et après la Semaine hippique et les championnats de Bretagne, le nombre de licenciés a évolué. Sans renier la culture de la SHN historique, nous devions opérer une transition financière et fonctionnelle. Pour répondre à nos besoins, nous avions réfléchi un programme d’investissements sur dix ans avec, entre autres, les développements du club, de la section dédiée au saut d’obstacles, mais aussi des disciplines annexes, avec Violaine de Fombelle. En 2015, le projet présenté semblait cohérent aux yeux de tout le monde. Il fallait mettre à jour ce canevas d’année en année, car de nombreuses inconnues ne pouvaient être prises en compte au départ. Il y avait une zone d’incertitude, tout en sachant que le syndicat mixte nous aiderait à porter ce projet, sans que nous soyons garantis à 100% d’un développement commun. Nous avions chacun notre partie à défendre, avec des objectifs différents et nous savions qu’il faudrait faire des compromis.
Richard Legruiec reconnaît volontiers un manque de recul.“Nous voulions rester une association, mais nous aurions sans doute dû la gérer comme une entreprise. Nous aurions dû être redevables du site sur lequel nous étions, et si nous l’avions compris, il fallait trouver un juste milieu. Cela aurait été possible en ayant un échange permanent avec le syndicat mixte. C’était certes délicat, mais loin d’être infaisable. Nous n’étions pas là pour faire du business, mais bel et bien pour offrir la possibilité aux enfants du secteur de suivre un enseignement équestre.Hélas, la communication semble s’être dégradée au fil des années, qui plus est après la naissance de l’IFCE. “Lors du passage de témoin, j’étais intiment convaincu que le bureau suivant allait continuer ce projet décennal, car dès 2016, la nouvelle présidence était au courant de l’échéance de décembre 2019. J’ai donc quitté la présidence plutôt sereinement, tout en gardant un rôle de bénévole actif. Je pense que le départ d’Olivier Lemoine(en novembre 2014, ndlr)a modifié les choses et le comportement de certains membres, le flottement lié à ce départ n’aidant pas. Je suis l’un des derniers membres de l’ancien bureau à être parti, et de façon amère, ne constatant aucune orientation pour l’avenir du club. Aujourd’hui, c’est un énorme gâchis pour l’association, le club, mais encore plus pour le personnel qui se retrouve dans une situation des plus déplaisantes. Le bilan est tellement négatif trois ans plus tard… Je ne comprends pas que l’on ait pu croire que l’association serait subventionnée par l’État, c’est impensable. Mais nous sommes des gens passionnés qui défendons chacun nos intérêts…


“Le plus dur est de terminer ainsi”, Émilie Sévère

De l’extérieur, le dialogue semble rompu depuis de nombreuses années quant à l’avenir de la SHN au sein du Haras. Émilie Sévère, dernière présidente de la SHN avant la reprise en main de l’association par l’administrateur judiciaire le 26 avril dernier, revient sur trois ans de non-dits. “Dès septembre 2018, nous attendions un appel d’offres pour une délégation de service public, comme elle avait été évoquée dès 2016. Pourtant, le président du syndicat mixte nous a indiqué une reprise en régie directe des activités afin qu’elles puissent être réalisées sur le site. Ce fut une stupéfaction pour nous, et nous n’avions surtout aucun calendrier concernant les travaux. Cela nous semblait prématuré, car les délais peuvent aujourd’hui prendre de trois à cinq ans. N’aurions-nous pas pu signer un avenant pour accompagner au mieux la transition? Ce sont de faux problèmes. À partir de cette annonce, il y a eu une effervescence populaire qui a apparemment modifié les choses ou en tout cas les annonces. Depuis le départ, la cohabitation est compliquée. Il semble y avoir deux mondes et je pense qu’il aurait été indispensable d’avoir une seule personne aux commandes de ce magnifique site. Le schéma qui nous a été proposé en octobre a entraîné de nombreuses réunions pour construire le club et organiser le transfert des activités. Ils ont étudié la faisabilité de celui-ci et nous étions sur le fait qu’un chef d’orchestre reprendrait les choses en main. En octobre, nous avions annoncé l’obligation de pouvoir avoir une proposition dès le début d’année afin de consolider les choses. Cela s’est très bien passé jusqu’à l’annonce de l’infaisabilité d’un tel projet, en mars, le syndicat mixte n’ayant pas vocation à reprendre une activité concurrentielle. Ce fut le coup de grâce pour nous qui sommes tous bénévoles, une véritable douche froide, doublée de la sensation d’avoir été promenés durant plusieurs mois.
Nous avons alors consulté des avocats qui nous ont conseillé de démissionner afin de voir nommé quelqu’un ayant les compétences juridiques ; tout en travaillant en étroite collaboration avec lui. Seul l’administrateur a aujourd’hui les moyens de négocier et trois salariés souhaitent être licenciés. Aujourd’hui, nous sommes obligés de cesser une activité qui fonctionne et qui a de l’argent dans les caisses malgré les quatre salariés (238 licenciés en 2019 contre 270 en 2018, ndlr). Dans une structure normale, le salarié-patron ne compte généralement pas ses heures. Ici, nous sommes obligés de respecter la règle des trente-cinq heures pour une activité qui fonctionne sept jours sur sept.
Chaque partie semble donc avoir eu conscience de la fin de cette convention, sans prendre en compte le rythme de l’autre.“Les écuries ne sont pas des plus fonctionnelles, comme peuvent l’être des écuries modernes. Il est vrai que des travaux sont nécessaires et que la concurrence est difficile, mais peut-être aurions-nous pu continuer le temps que ces travaux soient réellement programmés. Aujourd’hui, nous ne nous battons pas pour que la SHN survive, mais bel et bien pour sauver une activité équestre sur le site, dans ce Haras d’Hennebont, ville du cheval. Aujourd’hui, nous ne savons pas ce que sera la suite, étant donné que nous devons arrêter notre activité en décembre 2019 et que la discussion est dans les mains de l’administrateur. Le choix d’arrêter l’activité actuelle n’est pas assumé et il manque à mes yeux un véritable accompagnement, estime encore Émilie Sévère.
C’est un énorme gâchis et nous sommes aujourd’hui emplis de tristesse de voir ce patrimoine associatif disparaître”, concluent les trois présidents.