L’équitation de haut niveau est-elle une affaire d’hommes ?
“L’équitation, c’est un sport de filles !” Quel cavalier, ou cavalière, n’a pas un jour entendu cela en évoquant sa passion autour de lui/elle ? Aujourd’hui, un chiffre donnerait partiellement raison à cette injonction. Les cavalières représentent 80% des licenciés en France et se bousculent dans les compétitions Poneys, Clubs et Amateurs. Pourtant, au niveau professionnel, elles ne sont plus que 35%, et seulement dix-sept apparaissent dans le Top 100 mondial. Alors où sont passées les femmes ? Seraient-elles moins bonnes en compétition que les hommes ? GRANDPRIX-Replay.com a mené l’enquête.
Pas de femmes à cheval donc, ou alors en amazone. Car monter à califourchon rendait ces dames soi-disant stériles ce qui dans une société très paternaliste, était extrêmement mal vu. Mais ainsi assises sur leur destrier, les deux jambes du même côté et embourbées dans leurs jupons, elles étaient beaucoup moins à l’aise que les hommes et surtout bien moins autonomes. Il leur fallait l’aide d’un preux chevalier pour les aider à monter ou à descendre de leur cheval, les maintenant dans un état de dépendance et dans une équitation purement de loisir. Selon la sociologue et ancienne monitrice d’équitation Catherine Tourre-Malen, auteure en 2006 du livre Les femmes à cheval : “l’équitation des dames, en réduisant les femmes à une utilisation limitée du cheval, leur interdit un accès égalitaire au cheval qui, pendant des siècles, représente la liberté et le déplacement, le pouvoir et la domination […] [C’est] le passage de l’équitation de la sphère militaire à celle des sports et des loisirs ouvre la porte des activités équestres aux femmes”.
En 1930, les femmes ont enfin le droit de porter le pantalon pour monter à cheval. Une révolution ! C’est à partir de ces années que, progressivement, le cheval va devenir une affaire de femmes. Les cavalières obtiennent l’autorisation de participer aux Jeux Olympiques dans les années cinquante. D’abord en dressage, en 1953, puis en saut d’obstacles en 1956 et enfin en concours complet en 1964. En 1960, la FFE compte autant de licenciés que de licenciées. Enfin l’égalité ?
?Aujourd’hui, dans la plupart des pays d’Europe du nord, les cavalières représentent plus de 80% des licenciés mais restent rares au haut niveau. En France, en 2010, les meilleurs cavaliers dans les six disciplines majeures (saut d’obstacles, concours complet, dressage, attelage, hunter et endurance) étaient très majoritairement des hommes. On ne compte qu’une seule femme parmi les dix premiers cavaliers de sauts d’obstacles, trois en dressage et en hunter et aucune en attelage et en concours complet. Il n’y a bien qu’en endurance où les femmes occupent la moitié du classement. Au Cadre Noir, les écuyères sont peu nombreuses : trois seulement contre trente-quatre écuyers. Ces chiffres portent à croire que les femmes ne sont pas très intéressées par le haut niveau ou alors qu’elles seraient bien moins bonnes que les hommes… Dans les classements mondiaux FEI, les femmes ne sont aujourd’hui que vingt-et-une en saut d’obstacles. En complet et en dressage, les choses semblent cependant beaucoup plus paritaires : elles sont en effet respectivement cinquante complétistes et soixante-et-onze dresseuses à s’imposer à haut niveau.
Qu'est-ce-qui retient les femmes ?
Lorsque l’on pose la question de l’absence des femmes dans le sport de haut niveau, et des postes à responsabilité, l’argument le plus répandu est celui de la famille, et plus particulièrement des enfants. En effet, une femme enceinte se retrouve de facto obligée de mettre le pied à terre et donc d’arrêter la compétition de haut niveau pour un laps de temps plus ou moins long. Aujourd’hui, même s’il nous faut admettre que la place du père a considérablement évoluée, et qu’ils sont de plus en plus nombreux à prendre leurs congés paternité, c’est la femme qui, après l’arrivée de l’enfant, se consacre le plus souvent à son éducation, les rendant ainsi très souvent absentes au haut niveau.Pénélope Leprévost, elle-même, y fait référence pour expliquer la désertion des femmes du sport haut niveau : “Ça n’a rien à voir avec la compétence. Les femmes sont vraiment à armes égales avec les hommes, car l’athlète de 700 kg qui saute des barres n’est pas le cavalier, mais bien le cheval. Ce qui fait la différence, c’est que la vie de cavalier de concours suppose de partir de chez soi toutes les semaines du mercredi au dimanche soir. Un rythme difficilement compatible avec une vie de femme. Moi-même, j’ai eu un enfant à vingt-trois ans. Je me déplaçais beaucoup moins car j’étais très loin du haut niveau. [...] je passe mon temps à voyager : il n’est pas sûr que je choisirais aujourd’hui d’avoir un enfant”. Un choix auquel sont confrontées toutes les femmes cavalières. Eugénie Angot a dû mettre sa carrière entre parenthèses pour donner naissance à ses deux enfants, avant de revenir au milieu de la carrière de concours. Plus récemment Edwina Tops-Alexander, après avoir accouché d’une petite fille en été 2017, a réalisé un retour à la compétition tonitruant en empilant les victoires. Preuve s’il en est qu’avec l’aide de la famille et de leur mari, les femmes peuvent elles aussi allier pratique sportive et vie familiale.
Ensuite, il y a la traditionnelle “défection silencieuse”, un phénomène très présent pour expliquer l’absence des femmes des lieux de pouvoirs. Les hommes, s’ils concèdent une place aux femmes, “conservent leur bastion masculin : la compétition de haut niveau”. La détention du pouvoir reste donc en grande majorité aux mains de ces messieurs. C’est le fameux plafond de verre, dont on parle souvent. Comme le rappelait en 2014, le rapport Dix ans de politiques de diversité : quel bilan ?, les femmes ne représentaient que 12 % des emplois de direction dans le secteur public, 17 % des dirigeants d’entreprise et 24 % des membres des conseils d’administration du CAC40. Autre exemple, celui de la cuisine : en 2015, une étude Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) montrait que 93 % des femmes en couple s’occupaient de la cuisine au quotidien, mais elles sont bien moins nombreuses à la tête de grands restaurants. En effet, seuls 25% des cuisiniers professionnels sont des cuisinières et seulement 10% d’entre elles exercent dans la restauration gastronomique. Sur les 616 tables primées par le guide Michelin en 2017, seules 16 sont tenues par des femmes.
De façon générale, les femmes seraient considérées comme moins fiables que les hommes, professionnellement parlant. C’est une des autres explications avancées par la thèse de Catherine Tourre-Malen, une des seules sociologues à s’être intéressée au sujet. Au niveau professionnel, les cavaliers sont moins souvent propriétaires de leurs chevaux, contrairement au milieu amateur. Il faut donc arriver à convaincre pour se voir confier des chevaux. Hors, les femmes partiraient ici avec une longueur de retard. Dans un tout autre domaine, celui de la création d’entreprise, la preuve est toute trouvée. Des chercheurs d’Harvard et du MIT ont observé les réactions d’investisseurs au discours de présentation de créateurs d’entreprise, identiques mais prononcés par des hommes et des femmes. Ceux prononcés par les hommes étaient jugés plus convaincants, car estimés plus factuels et cohérents. L’actrice et cavalière Marina Hands, qui a notamment joué dans Sport de filles, l'histoire une cavalière de dressage qui persévère pour percer dans le milieu, partage ce constat : “Les sponsors ont encore tendance à plus soutenir les hommes. L’équitation professionnelle est une discipline pour petites filles riches ou hyperdouées. Je n’étais ni l’un ni l’autre et j’ai tout lâché à dix-neuf ans, quand mon cheval s’est blessé avant une grande compétition. Je n’avais pas les moyens d’en acheter un autre et j’ai décidé de tourner la page et de me lancer dans les cours de théâtre. J’aurais pu faire comme mon personnage dans le film, m’obstiner et me faire engager comme palefrenière dans une écurie. J’ai choisi de quitter le monde du cheval, je ne me doutais pas que le cinéma m’y ramènerait”. Il peut cependant il y avoir une seconde explication à l’existence de ce plafond de verre : que les femmes, craignant une discrimination ou doutant de leurs capacités, ne tentent même pas leur chance. Une étude du LIEPP (laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques) a été menée dans le milieu universitaire français pour tenter d’émettre une réponse. Il y a été prouvé que les femmes postulaient 30 à 40 % de moins aux postes à responsabilité que les hommes. Pour nombre d’entre elles, la peur d’une discrimination à l’embauche était un frein, même si elle était en fait non-avérée. Elles auraient donc intériorisé la discrimination et se limiteraient automatiquement. Si elles ne sont pas nombreuses dans les classements internationaux, ce ne serait donc pas par manque d’intérêt ou de capacités, ou un manque de confiance de la part des sponsors mais parce qu’elles sont moins nombreuses à tenter leur chance, se disant qu’elles n’y arriveront jamais…
La femme est l’avenir de l’homme (et du monde pro)
Si l’on classe parfois l’équitation comme sport de fille, c’est notamment à cause de la relation à l’animal. On le soigne, on le brosse, des activités proches de celles que l’on attend d’une mère, par exemple. Cependant, les parents de cavaliers notent des qualités bien différentes à ce sport. Hausse de l’autonomie et de l’indépendance, goût de l’effort et apprentissage de la précision et de la concentration sont les grosses plus values de l’équitation selon les parents de cavaliers. De plus, l’accès facilité à la compétition individuelle peut permettre aux jeunes filles de contrebalancer un déficit “d’environnement concurrentiel”, selon certains chercheurs. En effet, une étude menée sur les résultats au concours d’entrée d’HEC en 2009 montrait que, si les filles réussissaient très bien aux examens au cours de leur scolarité, elles perdaient facilement leurs moyens lorsqu’elles étaient confrontées à un concours. À la différence des garçons qui, plus habitués à la concurrence voire même boostés par elle, réussissaient mieux en concours que durant l’année.L’arrivée des poneys et des centres équestres ont d’ailleurs permis de rendre la pratique de l’équitation plus accessible, et c’est à partir de ce moment là que les femmes se sont emparées de la pratique de ce sport, toujours plus nombreuses. Les compétitions poneys sont largement monopolisées par les cavalières, or les tournées des As servent aussi de sas d’entrée à la compétition de haut niveau…