“Montrer l’exemple vaut mieux que des mots, des règlements ou des pancartes”, Michel Robert
« Une sincère et complète abnégation est une vertu préférable à toutes les vertus. Aucune œuvre d’importance ne peut être faite sans elle », écrit Maître Eckhart, théologien et philosophe des XIIIe et XIVe siècles. Figure mondiale du saut d’obstacles, Michel Robert l’a bien compris. Passé maître dans l’art de comprendre les chevaux délicats ou atypiques, le fringant septuagénaire pratique toujours ce sport avec la même envie qu’à ses débuts. Cette passion dévorante a finalement ramené le « Professeur » – ou « Maestro » selon les pays – à renouer avec le niveau 5*, fin mai au CSIO de Saint-Gall, plus de cinq ans après avoir pourtant annoncé son retrait de l’élite. N’ayant rien perdu de son incroyable vista, il y a même gagné une belle épreuve intermédiaire. « Je suis là pour montrer qu’il est possible à mon âge d’obtenir de bons résultats avec des chevaux heureux et une équitation simple », se satisfait- il, persuadé d’être plus utile en tenue de cavalier que dans le costume d’un dirigeant éclairé. Jusqu’où ce come-back mènera-t-il le multi-médaillé ? Par une grise journée de juin, l’homme au chapeau – stetson, borsalino ou panama selon les circonstances – a donné rendez-vous à GRANDPRIX dans ce qu’il se plaît à nommer « son bout du monde », un havre de paix niché sur la colline de Moras, à cinquante kilomètres à l’est de Lyon, dans l’Isère. L’occasion d’évoquer sa riche actualité, mais aussi sa vision du sport et du bien-être animal ou encore la récente disparition de son frère Jacques. Une interview à retrouver en intégralité dans le magazine GRANDPRIX n°108, disponible en kiosques.
Un jour, Markus Fuchs m’a appelé pour me demander si je voulais participer à cet Officiel de Suisse. Je lui ai demandé si nous étions le premier avril parce que cela m’a un peu étonné… Puis j’ai étudié le programme du concours pour voir si les épreuves pouvaient nous convenir à mes juments, Emerette (KWPN, Diarado x Chellano) et Une Étoile Landaise (SF, Balougran x Socrate de Chivré), et à moi. Me rendre là-bas pour saluer tout le monde et faire de l’animation aurait été sympa, mais je reste assez compétiteur donc ce qui m’importe avant tout est d’être dans le coup en piste. J’ai consulté mon épouse (Dominique, ndlr), qui est aussi mon coach, et elle m’a conforté dans l’idée d’y aller. Je ne veux surtout pas être ridicule en compétition. Mon objectif est de me faire plaisir et de faire progresser mes chevaux. Cela a bien fonctionné puisque j’ai obtenu de très bons résultats, avec notamment une victoire dans une épreuve difficile (à barrage et cotée à 1,45 m), conclue par un barrage à vingt et un, dont quelques excités. Mettre une seconde et demie à ces cavaliers habitués au plus haut niveau, c’est bien je trouve !
Après ce succès avec Emerette, vous avez souligné que vous étiez toujours aussi motivé à l’idée de concourir. Après quasiment cinq décennies à haut niveau, d’où vous vient ce souffle ?
Dans l’ensemble, j’essaie de bien faire tout ce que j’entreprends dans ma vie, sinon je ne le fais pas. Je suis passionné par les chevaux, et la compétition me permet de me remettre en question afin de m’améliorer. De façon réaliste, je pense avoir progressé ces quatre ou cinq dernières années. Je me penche sur des choses beaucoup plus précises, un peu comme dans un laboratoire. Je travaille sur des points comme ma position. Il n’y a rien de tel que la compétition pour évaluer son évolution. Je pourrais toujours dire que je suis le meilleur en restant chez moi, comme tout le monde, mais à ce niveau de compétition, on voit clairement si l’on est dans le coup ou pas. C’est un risque à prendre, mais j’en ai déjà pris bien d’autres !
En octobre 2013 à Lyon, vous aviez célébré votre retraite sportive. Sauf quelques parcours de travail au Sunshine Tour de Vejer de la Frontera, vous vous y étiez tenu, avant de vous remettre plus franchement en selle début 2015 et de finalement revenir au premier plan aujourd’hui. Chassez le naturel, il revient au galop…
Effectivement, j’ai essayé pendant un an, tout en continuant à faire progresser des cavaliers et à monter quelques chevaux. J’en avais deux ou trois prêts à concourir et que je souhaitais confier à des cavaliers. Là, Dominique m’a dit : « Pourquoi tu ne les monterais pas toi-même en concours ? » Me remontrer en public avec ma veste bleue et ma culotte blanche d’équitation a été un moment assez difficile pour moi. Je m’étais coupé de cela, et la compétition appartenait à mon passé, donc remonter sur scène me paraissait assez compliqué, mais je l’ai fait et tout est reparti assez rapidement.
Comment votre entourage a-t-il réagi à cette décision ?
Ma femme et mes amis proches m’ont encouragé. Le jour où ça n’ira plus, je pense que je m’en rendrai compte et qu’eux seront aussi là pour me prévenir. Je me rappelle avoir vu des cavaliers en fin de carrière auxquels j’aurais conseillé d’arrêter. C’était d’autant plus triste qu’il s’agissait de cavaliers très respectables. Je ne ressentais aucun plaisir ni à les observer en selle, ni à voir leurs chevaux. Je n’en suis pas encore là, et j’espère ne jamais y être !
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“La plupart des étapes du Global Champions Tour sont rétrogrades”
Quel regard portez-vous sur l’effritement et l’affaiblissement du circuit FEI Longines des Coupes des nations, qui semble plus menacé que jamais ?Je pense qu’il est plutôt en train de trouver sa place. Il y a une dizaine d’années, lorsque Jan Tops a lancé le Global Champions Tour (GCT, qui a vu le jour en 2006, ndlr), on a pensé que les Coupes des nations allaient mourir. Grâce notamment à la princesse Haya (bint al Hussein de Jordanie, présidente de la Fédération équestre internationale, FEI, de 2006 à 2014, ndlr), les dotations des Coupes des nations ont été assez fortement revues à la hausse. Cela permet de continuer à attirer des cavaliers qui veulent courir pour leur pays et pas forcément pour l’argent. Il reste de très beaux CSIO à courir dans le monde et il y a tellement de cavaliers aujourd’hui qu’on continue à voir de magnifiques Coupes. Avant même la naissance du GCT, certains cavaliers préféraient déjà courir les Grands Prix que les Coupes afin de gagner plus d’argent. Je crois qu’il y aura toujours des gens motivés à l’idée de représenter leur drapeau car concourir en équipe est un honneur et permet de ressentir des émotions très particulières et intenses que l’on ne connaît jamais à titre individuel. Je n’imagine pas les Coupes des nations s’arrêter de sitôt.
En tout cas, les circuits privés, surtout le Longines Global Champions Tour/Global Champions League (LGCT / GCL), gagnent du terrain. Comment percevez-vous ces évolutions ?
Pour tout un tas de raisons, je pense qu’on altère la qualité du sport et le bien-être du cheval. D’abord, la plupart des étapes du LGCT/GCL sont rétrogrades parce qu’elles se déroulent sur de petites pistes qui ne sont pas toujours de bonne qualité, et que les chevaux ne sont pas toujours bien logés. Sur le papier, en dehors de la dotation, ce circuit-là n’est pas très attractif. Je salue au passage Steve Guerdat qui est capable de demeurer numéro un mondial (le Suisse a retrouvé cette place début janvier, ndlr) sans participer à cette série (désapprouvant notamment le fonctionnement non méritocratique de la GCL, ndlr). Cela ne l’empêche pas de mener une carrière exceptionnelle. À une époque, on a pu craindre que Jan Tops régisse tout le saut d’obstacles mondial, mais il y a heureusement d’autres organisateurs de beaux concours qui ont envie de lui faire concurrence. Bientôt, on se rendra compte que ce circuit est à l’image du monde actuel : l’argent compte, mais ne fait pas tout, et surtout pas le bonheur.
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La question du bien-être animal est plus que jamais au centre des préoccupations dans nos sociétés. Qu’avez-vous à répondre aux activistes jugeant qu’équitation rime forcément avec maltraitance ?
À partir du moment où l’on approche un animal, on peut lui rendre la vie belle ou affreuse. On peut très bien pratiquer le saut d’obstacles à haut niveau avec des chevaux heureux et en pleine forme, tout comme on peut les maltraiter. Cela vaut dans toutes les disciplines sportives, ainsi que pour l’équitation d’extérieur ou de loisir. Il n’y a pas plus de maltraitance dans l’univers du haut niveau qu’ailleurs. Aujourd’hui, grâce aux contrôles antidopage menés par la FEI, certaines règles sont respectées. De plus, on tape beaucoup moins les chevaux qu’il y a quinze ou vingt ans, et on voit moins de spectacle un peu dur pour eux. Tout le monde progresse à ce sujet.
Une interview à retrouver en intégralité dans le magazine GRANDPRIX n°108, disponible en kiosques.