'LES VÉTÉRINAIRES ONT FAIT LEUR TRAVAIL', CHRISTIAN DEPUILLE



Après la mort d’une jument lors du CEIO 3* de Compiègne, qui s’est déroulé du 23 au 25 mai dernier, et la diffusion de deux images montrant un cheval anormalement maigre sur les réseaux sociaux, des vétérinaires présents lors de la course se sont exprimés ce matin dans une lettre ouverte (lire ici). Contacté par GrandPrix-Replay.com, Nicolas Wahlen, directeur de la course et par ailleurs responsable de l’endurance au sein du comité d’organisation des Jeux équestres mondiaux FEI Alltech 2014 en Normandie, s’est refusé à tout commentaire, renvoyant toutes les demandes d’interviewes vers Christian Depuille, le président de Compiègne Endurance. Ce dernier reconnaît les problèmes graves rencontrés durant la course.


 

GrandPrix-Replay.com : Ce matin, des vétérinaires présents à Compiègne se sont exprimés dans une lettre ouverte, évoquant leurs difficultés à évaluer l’état métabolique et la locomotion des chevaux, parfois faussés par des pratiques plus que douteuses. Ils dénoncent également le comportement inadapté de certains cavaliers et de leurs équipes, qui poussent les chevaux à leurs extrêmes limites. Comment réagissez-vous à ces révélations ?

Christian Depuille : Parmi les vétérinaires qui ont signé cette lettre, soit la quasi-totalité des Français présents lors de l’événement, on retrouve Pierre Romantzoff, le président de la commission vétérinaire, et Jean-Louis Leclerc, un ancien entraîneur de l’équipe de France d’endurance. Ils ont raison. J’ai moi-même établi un rapport que j’ai transmis à Jean-Louis Leclerc dans lequel il est indiqué que, sur l’ensemble des deux courses qui se sont déroulées à Compiègne, les vétérinaires ont éliminés au vet gate 80% des chevaux des Émirats arabes unis (EAU) et 71% des chevaux de Bahreïn. Sur un total de quarante-six, seuls neuf chevaux des EAU ont été classés. Trente-sept n’ont donc, physiquement, pas pu faire ce qu’on leur a demandé. Les cavaliers des fédérations des EAU et de Bahreïn ont pris plus de risques que les autres concurrents, ils ont surestimé les capacités de leurs chevaux et sont allés trop vite, ce qui explique leurs faibles taux de classements. Compte tenu des chiffres, on peut dire que les vétérinaires et le jury se sont montrés insensibles aux éventuelles pressions qu’ils ont pu subir de la part de ces équipes.
En revanche, si l’on met de côté ceux qui couraient pour ces deux fédérations, seuls 45 % des autres chevaux ont été éliminés au vet gate, ce qui est tout à fait normal.

GPR. : Une jument est morte à Compiègne et les photos d’un cheval très maigre ont circulé sur les réseaux sociaux. Avez-vous remarqué des choses inhabituelles sur le terrain ? Que s’est-il passé ?

C. D. : J’ai vu deux photos sur lesquelles figure un cheval alezan aux crins légèrement lavés semblant anormalement maigre. Je pense qu’il s’agit à chaque fois du même cheval, mais je n’en ai pas la certitude. Ces photos peuvent paraître choquantes, surtout lorsqu’on est prêt à raconter n’importe quoi. La première est prise à contre-jour. Elle montre un cheval tournant au vet gate. La lumière fait apparaître ses côtes. Sur la seconde (celle qui est publiée avec cet article, ndlr), le cheval est au trotting, pris de profil. Sur celle-ci, nous pouvons voir que le cheval manque de muscles à l’épaule et à la hanche. Ce cheval n’est manifestement pas gras, mais son état n’est pas scandaleux. Ceci dit, en tant que cavalier, je n’engagerais pas mon cheval dans une course s’il était dans une telle condition physique. Je ferais augmenter sa ration et je le ferais travailler de manière à le remettre en forme. Jamais un de mes chevaux n’a ressemblé à celui-ci. Quant au fait qu’il ait pu passer le vet gate, cela ne m’étonne pas. Je n’ai jamais entendu un vétérinaire empêcher un cheval de prendre le départ parce qu’il était trop maigre. Les vétérinaires refusent toujours de laisser courir un cheval blessé ou dans un état métabolique suspect. S’il avait un bon cardiaque, un bon transit et de bonnes allures, il est normal qu’il n’ait pas été éliminé. Quoiqu’il en soit, et j’insiste, les vétérinaires ont fait leur travail.

GPR. : Nous sommes à deux mois des JEM. Pensez-vous que le comité d’organisation puisse assurer l’équité de la course ainsi que l’intégrité et la sécurité des chevaux ? Êtes-vous inquiets ?

C. D. : Je ne suis pas inquiet. Tout d’abord, nous avons expérimenté une disposition qui sera appliquée à Sartilly, lors de la course support des JEM. L’aire de grooming sera fermée. Une limite de cinq grooms par cheval devra être respectée. L’aire de repos sera entièrement ouverte et il sera interdit d’ériger des tentes qui pourraient servir à dissimuler des chevaux mal en point. Tous les espaces seront surveillés par des caméras et des agents de sécurité. Rien ne pourra passer inaperçu. Ensuite, les fédérations des EAU et de Bahreïn ne disposeront chacune que de cinq représentants. Les cavaliers du Golfe ne seront pas nombreux et seront moins tentés de s’adonner à une course poursuite infernale comme ils l’ont fait à Compiègne.
Les autorités établissant les règlements et les organisateurs ne peuvent descendre sur la piste pour demander aux cavaliers de ralentir afin d’économiser leurs chevaux. À Compiègne, je me suis rendu personnellement sur les trois points d’assistance officiels qui étaient installés. Les cavaliers du Golfe qui étaient en tête sont passés tellement vite que certains n’ont même pas pu attraper les bouteilles qui leur étaient tendues. Aucun d’entre eux ne s’est arrêté pour faire boire son cheval, contrairement aux cavaliers des autres nations. Lors de la deuxième boucle, nous nous sommes rendu compte que huit véhicules appartenant aux EAU, chargés d’eau et de glace, avaient mis en place des points d’assistance sauvages. Des dispositions ont été prises pour éviter cela. Les drones sont de bons outils pour assurer le bon déroulement de la course.

GPR. : La FEI a mis à jour le règlement des courses d’endurance, applicable au 1er août et donc en vigueur lors des JEM. Les nouvelles dispositions permettront-elles de limiter les dérives de l’endurance ?

C. D. : Il y a deux approches de l’endurance, et je ne suis pas sûr qu’une modification des règlements puisse impacter le comportement de tous les cavaliers. La mise en place et l’application d’un règlement sont deux choses différentes.

Propos recueillis par Pauline Arnal