'LA FEDERATION PENSE QU'IL N'Y A PLUS ASSEZ DE TALENTS EN FRANCE', ERIC LOURADOUR
Éric Louradour, ex-collaborateur de Georges Morris (ex-entraîneur de l’équipe américaine de saut d’obstacles), ex-coach de cavaliers olympiques et de divers champions nationaux, trois fois instructeur de l’année en Italie, formateur de chevaux, instructeur et auteur des ouvrages "Grâce aux chevaux" et "Equi-libre", réagit à la nomination de Philippe Guerdat au poste de sélectionneur de l’équipe de France de saut d’obstacles et dénonce les dérives du sport actuel.
Où va-t-on ?
Il est 3h00 du matin, je n’arrive plus à dormir, les idées et les images se bousculent dans ma tête… Cela me donne envie de les exprimer sur le papier.
Je pense à ce jeune champion de France Poney de CSO, à qui on a fait croire qu’il était surdoué et dont la famille, croyant avoir un génie et sûrement mal conseillée, l’a poussé à s’engager dans le métier difficile de cavalier…
Je pense à cette jeune fille vulgaire, montant un cheval sale, mal toiletté et aussi mal habillé que sa cavalière, qui hurle après son père et son instructeur. En sortie de piste, elle s’oppose à une récupération active pour son cheval et d’une voix tonitruante elle rétorque être fatiguée…
Je pense à ce reportage sur Equidia d’un stage chez Mario Luraschi qui s’étonne et s’exaspère même, devant le niveau d’équitation et le manque de bases de ses élèves qui ont eu la chance de gagner un stage chez le maître…
Je pense à l’évolution technique de notre sport autorisant les cavaliers à utiliser des guêtres postérieures, obligeant les chevaux à avoir un passage de dos et de postérieurs exagéré qui n’est pas naturel et les endommage à plus ou moins long terme. Sans ces ustensiles, les sans-faute se feraient plus rares. Le niveau technique des épreuves serait probablement revu à la baisse. Les cavaliers seraient obligés de travailler correctement le physique et le dressage des chevaux afin qu’ils soient souples, sereins et utilisent bien leur corps pour éviter les fautes aux obstacles. Ils participeraient certainement à moins de concours, pour maintenir le moral et le physique optimaux des chevaux. Ces derniers seraient ainsi moins sollicités, moins stressés et moins endommagés. Cela réduirait sûrement les problèmes de dopage. Les bons chevaux réapparaîtraient car on dit souvent qu’il y a pénurie. Cela est logique, vu la difficulté et la fréquence des compétitions. Le commerce des équidés raugmenterait et, certainement, leur valeur serait réajustée. Cela permettrait à plus de passionnés de posséder un cheval et de participer à des concours…
Je pense à ces compétitions organisées seulement pour faire de l’argent et dont les horaires, les infrastructures, le surbooking ne permettent même pas de travailler les chevaux hors des temps de compétition. Comment dresser et faire évoluer correctement certains chevaux, qui nécessitent plusieurs sorties journalières. Cet état de fait peut même inciter des cavaliers à administrer des tranquillisants aux chevaux qui, de nature, fuient dans la crainte…
Je pense à ces constructeurs de parcours qui sont rarement des cavaliers ou n’ont jamais atteint un bon niveau technique d’équitation, mais qui se gargarisent avec la difficulté de leurs parcours et le nombre restreint de sans-faute…
Je pense à ces cavaliers hors du commun qui n’ont pas un piquet de chevaux suffisant pour leur permettre de cumuler assez de points et être parmi les meilleurs mondiaux. Même s’ils montent un crack, l’insuffisance de chevaux et de points les cantonne à des compétitions de seconde zone…
Je pense à tous ces cavaliers, comme les Whitaker entre autres, qui ont choisi ce métier sans penser à s’enrichir financièrement mais seulement par amour et passion des chevaux et de notre sport. Gagner pour leur pays est une fierté. Ils se contentent de moins de gains mais apprécient d’être considérés comme des centaures et d’être reçus en concours dans les plus beaux hôtels avec les honneurs dus à leur rang d’athlètes de haut niveau, d’artistes ou de prodiges…
Je pense à ce journaliste de télévision qui se permet des critiques à l’égard de certains cavaliers de haut niveau ! Mais qui est-il ? Qu’a-t-il fait à cheval ou dans ce milieu ? D’où vient-il ?
Je pense que je suis dans cet état car, hier soir, j’ai appris que, pour la seconde fois, un représentant d’une autre nation allait être le porte-drapeau de l’équitation française. Alors que l’on entend de nos politiques qu’il faut acheter et consommer français, je m’étonne de cette décision. J’ai su la nouvelle en anteprima sur un réseau social par un journaliste qui se réjouissait de cette nomination. Ce dernier ne se rend pas compte du discrédit que cela jette sur le talent de nos cavaliers, sur la méthode française d’équitation, sur tout notre système, sur certains de nos anciens cavaliers internationaux qui ont apporté des médailles à la France et beaucoup à notre milieu et au sport. Tous ces talentueux cavaliers français que nous avons actuellement perdront certainement d’éventuels clients ou opportunités de travail. Les nouvelles nations équestres, les pays émergents qui nous observent, iront voir à l’étranger ce que nous sommes allés chercher, vu que la fédération pense qu’il n’y a plus assez de talents en France. Même mon mentor, Georges Morris, ex-entraîneur de l’équipe de saut d’obstacles des États-Unis et fantastique ambassadeur de la méthode d’équitation française, a été très surpris par ce choix fédéral. Les illustres écuyers qui ont fait la fierté de notre équitation, inscrivant une méthode et un style bien français, doivent se retourner dans leurs tombes. Eux qui ont pris la peine d’écrire des ouvrages lus et reconnus sur tous les continents, qui ont été visités par des cavaliers du monde entier, qui sont, pour certains, devenus entraîneurs d’équipes nationales à l’étranger et ont fait évoluer l’équitation mondiale.
Je n’aime pas les critiques, à moins qu’elles soient constructives. Je ne désire pas donner de leçons à qui que ce soit, je veux seulement réagir, faire part de mes réflexions et tirer une sonnette d’alarme afin d’inviter au dialogue. Peut-être est-il temps que nous nous unissions, que nous nous concertions, que nous discutions et trouvions tous ensemble des solutions. Essayons de donner une dimension fantastique, même aux choses les plus simples ! Essayons de tirer à nouveau vers le haut ce sport qui mérite l’appellation d’art. Souvenons-nous des vraies valeurs que l’équitation nous enseigne : respect, humilité, discipline, courage, détermination, constance, élégance… Les mauvais actes ou mauvaises décisions d’un père, d’un enseignant ou d’une fédération peuvent avoir des effets néfastes sur plusieurs générations, sur notre sport et toute une filière, donc veillons à prendre les bonnes décisions.
Après toutes ces pensées et ces écrits, je pense me recoucher. Malheureusement, il est déjà l’heure de se lever. Mais je suis heureux ! Heureux d’avoir fait ce que j’ai fait et surtout de retrouver mes amis les chevaux, qui eux, ne me déçoivent jamais…
Sportivement vôtre.