DANS LE RÉTRO : Le système Kevin Staut
Régulièrement, la rédaction de GRANDPRIX vous propose de replonger dans ses archives. Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX n°19, en septembre 2010.
L’été 2010 aura été son été et la France cavalière entière se met aujourd’hui à rêver d’un automne qui serait également le sien. À trois mois et demi de son trentième anniversaire en novembre et surtout à quelques semaines des Jeux équestres mondiaux, le champion d’Europe en titre (il avait été sacré à Windsor en 2009 avec Kraque Boom, ndlr) Kevin Staut a pris les rênes du classement mondial. Le magazine GRANDPRIX s’est penché sur les recettes d’une telle ascension. Bienvenue dans le système Kevin, ses succès, ses failles.
On s’intéresse souvent aux athlètes en étudiant leur manière de perdre, le fair-play avec lequel ils se relèvent des échecs, la faculté qu’ils ont à mieux se redresser après être tombés. Ce qui frappe chez Kevin au contraire, c’est avant tout la manière qu’il a de gagner. “Ma victoire“ ne fait pas partie du vocabulaire du champion d’Europe, actuel numéro un mondial : Kevin Staut jouit d’une extraordinaire capacité à dire “nous“ là où d’autres auraient parlé à la première personne du singulier. Ce “nous“ comprend évidemment son équipe, mais pas seulement : ses victoires, il les vit avec les autres cavaliers français qui prenaient part à la compétition, qui l’ont soutenu et dont il a été le supporter. Cet esprit d’équipe poussé à son paroxysme, les sélectionneurs ont su en tirer profit : Laurent Elias et avant lui Gilles Bertran de Balanda avaient bien senti chez Kevin Staut cette formidable capacité à motiver !
L'artisan fidèle de la remontée française
2006, le jeune homme fait ses premiers pas en équipe de France Seniors sur deux CSIO de seconde division à Zagreb et Podebrady. Il n’a depuis jamais quitté les rangs tricolores, même dans ses heures les plus noires. En 2007, Gilles Bertran de Balanda laisse sa chance au couple que Kevin forme avec son Kraque Boom : le cavalier casse littéralement la baraque à Rome où la France monte sur la deuxième marche de la Coupe des nations. Ce podium n’est en revanche qu’illusion, l’équitation française est au plus bas et cette année 2007 marque la descente aux enfers des Bleus, leur relégation en seconde division dans les Coupes des nations et leur non-qualification pour les Jeux olympiques de Hong Kong en 2008.
Pour remonter dans les Coupes des nations de première division, le cavalier n’hésitera pas à partir courir des CSIO peu flatteurs, qui ne font pas forcément rêver, et qui pourtant sont indispensables à l’honneur français qu’il va falloir retrouver : on le croise aux quatre coins de l’Europe, à Prague, à Falsterbo, à Zagreb, accompagné toujours d’une bande de jeunes cavaliers prometteurs, les Nicolas Delmotte, Timothée Anciaume, Inès de Balanda ou encore Pénélope Leprevost, assurant les viles tâches que leurs aînés préfèrent souvent délaisser lorsqu’il s’agit de partir loin, sur des concours mal dotés. Le calcul s’avérera gagnant pour bon nombre de ces jeunes qui dans ces Coupes des nations, jouiront d’une exposition qui bientôt les rendront incontournables. Kevin réserve déjà son Kraque Boom aux CSIO 5*, et a pour l’épauler un Jo de Labarde, dont le plus beau résultat restera sans aucun doute le double sans-faute dans le Coupe des nations à Zagreb en 2007. Pour les quatre étoiles, le cavalier peut compter sur Le Prestige St. Lois qui vient d’arriver dans son piquet, après avoir été formé dans son année de huit ans par l’Américaine Laura Kraut. En partie grâce à l’état d’esprit nouveau insufflé par la motivation de Staut, la France parviendra à regagner sa place parmi les meilleures nations de la seconde puis première division (à l'époque appelée Top League, ndlr). En 2009 et 2010, le cavalier sera sélectionné en équipe pour neuf Coupes des nations chaque année : il devient incontestablement LE cavalier pilier de l’équipe de France de saut d’obstacles ! Kraque Boom demeure le cheval qu’il préfère pour ces épreuves par équipes. Petit à petit, Le Prestige St. Lois s’efface, après la Coupe de Saint-Gall en 2009 : en 2010, il sera remplacé dans son rôle de joker par Silvana, nouvelle recrue star du piquet Staut.
Le stakhanoviste de la scène mondiale
Les mathématiques sourient aux cavaliers talentueux : le principe des points pour progresser dans le classement mondial n’a pas échappé à Kevin Staut. Sortir beaucoup, sur de nombreux concours, se donner les moyens d’être classé sur les épreuves comptant pour la hiérarchie mondiale, et grimper, grimper. Jusqu’à devenir numéro 1 ! Voilà ce à quoi s’est évertué Kevin Staut ces derniers mois. Début 2008, il accède au Top 50 des meilleurs cavaliers mondiaux. De là, le rythme de travail va s’intensifier : Kevin va gagner sa réputation de stakhanoviste des paddocks (réputation qu'il a gardée depuis, ndlr)… Premier levé, dernier couché. Si en 2007 le cavalier participait à moins d’une trentaine de concours internationaux dans l’année, il sera au départ de près de quarante compétitions en 2008 et de plus de quarante-cinq en 2009. Pour rappel : une année compte cinquante-deux week-ends susceptibles d’accueillir des concours. Cette année, Kevin Staut battra certainement son record: au 15 août, le numéro 1 mondial en est déjà à une trentaine de sorties internationales. Car pour Staut, il s’agit désormais de conserver ce brassard vert et or (aux couleurs de Rolex, qui sponsorisait à l'époque la ranking, ndlr), qu’il ne pensait pas, reconnaît-il, arborer aussi tôt. Pour ce faire, Kevin Staut ne lésine pas sur les moyens et multiplie également ses participations en Grand Prix : tant qu’à être présent sur un événement, mieux vaut jouer premier rôle que figurant. En 2009, il participe à plus de vingt-cinq Grands Prix 5*. Autant cette année, en quasiment deux fois moins de temps ! Grands Prix des étapes Coupe du monde, Grands Prix des CSIO, Global Champions Tour : Kevin est partout, en quête de points. Calcul payant qui ne manquera pas de raviver certaines rengaines ! Déjà certains reviennent sur ce classement mondial, dont le mode d’établissement ne favoriserait pas l’exploit sportif mais plutôt la régularité tranquille dans le haut niveau. De tous ces Grands Prix 5*, Kevin Staut n’a en effet jamais tiré de Marseillaise (il remportera son premier Grand Prix 5* au CHI de Genève quelques mois après cet article, en décembre 2010, avec la fabuleuse Silvana de Hus, ndlr)… Au mieux une superbe deuxième place, comme à Cannes et Dublin cet été, mais jamais le cavalier ne réussira à se hisser sur la plus haute marche du podium. Jamais, sauf une fois, et quelle fois ! Windsor 2009, finale individuelle des championnats d’Europe : Staut est sacré !
De cette victoire ou plus récemment de son rang de numéro 1 mondial, Kevin ne tire pas de fierté ostentatoire. Le champion reste constant, fidèle à lui-même. On le connaît disponible lorsqu’il a tout donné, et peu avenant, voire colérique, lorsqu’il commet des erreurs évitables : rien ne le change. Pas même un titre ou un brassard. Car ce qui reste intact chez Kevin, c’est son degré d’exigence envers lui-même et envers son équipe.
En route pour devenir une icône
Pour l’accompagner dans ses exploits, le cavalier a sorti en quatre ans pas moins de soixante dix-huit chevaux différents. Kevin Staut joue un effet un rôle primordial dans la valorisation des chevaux à vendre du haras de Hus, son principal mécène (jusqu'en 2012, date à laquelle il a rejoint le haras des Coudrettes, ndlr). Pour autant, seuls trois chevaux sont pour l’instant concernés par le très haut niveau : Silvana, Le Prestige St. Lois, et bien sûr Kraque Boom. Pour se relayer les uns les autres, les trois montures ne sont pas un luxe tant le rythme et les aspirations du champion sont exigeantes. Ainsi, le cavalier reconnaît avoir été probablement trop gourmand en 2009, et chacun se souvient de la baisse de forme de Kraque Boom (qui avait notamment refusé puis fait tomber son cavalier dans le Grand Prix 5* de Bordeaux, ndlr). Le cavalier prenait alors conscience de la hauteur des demandes qu’il formulait à l’égard de ses chevaux. La gestion de son piquet de tête est aujourd’hui bien plus raisonnée.
De “son“ piquet, ou plutôt du piquet que son propriétaire met à sa disposition. Car là est le principal danger de ce système qui repose sur une confiance entière entre propriétaire généreux et cavalier sur-motivé. Si Kraque Boom appartient toujours au grand-père de Kevin et est donc parfaitement à l’abri d’une quelconque vente à l’insu du cavalier, l’ensemble des autres chevaux que sort Kevin appartient au haras de Hus. Si les relations semblent excellentes entre Xavier Marie et l'équipe qui entoure Kevin, le système mis en place confère une dépendance totale que bien peu de cavaliers numéros 1 mondiaux ont souhaité supporter par le passé. L’avenir dira si Kevin Staut souhaite assurer ses arrières en devenant, au moins en partie, propriétaire de certaines de ses montures.
L’avenir dira également s’il parvient à soutenir la pression montante que son nouveau rang, non seulement sportif de numéro 1 mondial, mais aussi populaire de nouvelle icône de l’équitation française voire mondiale, va indéniablement apporter.