DANS LE RÉTRO : “Ce serait bien que ça change“, Steve Guerdat
Régulièrement, la rédaction de GRANDPRIX vous propose de replonger dans ses archives. Numéro un mondial dont la voix porte peut-être plus que n'importe quelle autre, Steve Guerdat n'a pas découvert ses convictions récemment, comme le montre cet entretien, paru dans le n°18 du magazine GRANDPRIX, en juillet 2010. Steve Guerdat n’est pas le théoricien de l’équitation contemporaine, mais le Suisse, alors âgé de vingt-huit ans, a des idées bien à lui, affirmées, et des avis qu’il partage pour l’instant avec peu de confrères. Il est notamment question d’esprit d’équipe et de fierté patriotique, d’enjeux sportifs et de préservation des chevaux, de sport-paillettes et de sponsoring. On découvre un homme de cheval qui s’interroge et qui ne craint pas de sortir du rang.
Quel regard portez-vous sur le début de la saison suisse dans les Coupes des nations (à l'été 2010, l'équipe de Suisse est alors dans une mauvaise passe, Markus Fuchs venant de prendre sa retraite, les cavaliers leaders n'ayant pas des piquets de chevaux extrêmement fournis et certains cracks ayant été vendus à l'étranger, ndlr)?
On ne peut pas dire le contraire, cela ne s’est pas très bien passé pour le moment (alors que seulement trois Coupes des nations avaient déjà eu lieu, la Suisse avait terminé septième à La Baule, huitième à Rome et cinquième à Saint-Gall, ndlr). Mais cela s’explique sans doute: nous avons perdu certains bons éléments l’an passé et l’année précédente, comme Markus Fuchs du côté des cavaliers, et No Mercy (le cheval de tête de Christina Liebherr était retraité depuis fin 2009, ndlr) ou Plot Blue (tout juste vendu à l'Allemand Marcus Ehning, le crack avait été amené au plus haut niveau par Werner Muff, avec qui il avait participé aux Jeux équestres mondiaux d'Aix-la-Chapelle en 2006 et aux Européens de Mannheim en 2007, ndlr) chez les chevaux. Ces montures n’ont pas encore été réellement remplacées. Disons que l’équipe suisse est en phase de transition, avec de nouveaux couples en train de se former. La Top League (ancêtre de la Division 1 européenne du circuit des Coupes des nations Longines, ndlr) est d’un niveau tellement élevé que nos chevaux, même s’ils sont très bons, ne peuvent pas être au top tous les week-ends. Alors chaque cavalier fait en sorte, chacun de son côté, que cette phase de transition soit la plus courte possible. Il faut être juste et lucide: nous n’avons pas en Suisse une réserve de chevaux élevés sur place comme d’autres pays. Je pense notamment à la France, à l’Allemagne, à la Belgique et aux Pays-Bas, qui pour certains, sont moins réguliers que la Suisse.
Avec le durcissement des règles cette année, si la Suisse devait être reléguée, serait-ce dramatique ?
Nous chercherons évidemment à éviter cette relégation. Mais, et cela n’implique que moi, si nous sommes relégués, c’est que notre classement reflètera la situation du moment. Peut-être mieux vaut-il faire une année ou deux à un niveau moindre que d’aller fatiguer nos chevaux tous les week-ends, comme le fait par exemple la Suède, qui se retrouve tous les ans dans le rouge de janvier à décembre à cause de ces Coupes des nations: ces couples sautent beaucoup, ne gagnent rien du tout et font tout pour essayer à tout prix de se maintenir. Je ne suis pas sûr que ce soit plus enviable qu’une relégation… Encore une fois, il faut être lucide: quand on a des chevaux de niveau 4*, on ne devrait pas se permettre d’être en Top League tous les week-ends.
Le fait de représenter votre pays, votre drapeau et votre nation compte vraiment à vos yeux ?
Oui, les Coupes des nations sont des épreuves uniques! Vous pouvez demander à n’importe quel cavalier, 95% vous diront que ce sont les épreuves les plus fantastiques à monter. D’un point de vue plus global, c’est l’une des principales beautés du sport: de s’entraîner pendant de longues années pour un jour avoir l’immense fierté de représenter son pays. Je n’ai pas voulu devenir Ukrainien, et je n’ai guère d’estime pour les sportifs qui changent de nationalité pour augmenter leurs chances de qualification pour des championnats.
Vous considérez-vous aujourd’hui comme un pilier de l’équipe suisse ?
Vous savez, un pilier, ce n’est rien d’autre qu’une personne qui, à un moment, a la chance d’avoir de bons chevaux disponibles (ce qui est visiblement le cas de l'intéressé depuis son accession à haut niveau!, ndlr)! Je pense avoir pas mal d’expérience maintenant, donc à la différence d’il y a quelques années, je demande moins de conseils aux autres et les autres m’en demandent plus. C’est peut-être le principal changement de ces derniers mois.
“J'ai fait une croix sur le Global Champions Tour“
Quelle importance accordez-vous à votre place dans le top dix du classement mondial?
Plus fondamentalement, je trouve que trop d’épreuves sont prises en compte pour établir le classement mondial. Quand on regarde le tennis, le nombre de points engrangés par le vainqueur de Roland Garros ou de Wimbledon est énorme par rapport à ceux remportés dans d’autres tournois. Il nous faudrait la même chose en équitation. Remporter Aix-la-Chapelle ou d’autres immenses concours devrait être mieux récompensé, et surtout, moins bradé par rapport à des épreuves à 1,40m du Global Champions Tour… J’ai l’impression que la plupart des cavaliers sont très à l’aise avec le système actuel, parce qu’ils n’ont pas de chevaux pour les Grands Prix et peuvent donc se maintenir au classement grâce à des points engrangés dans des épreuves moins difficiles. Moi je pense, et je le maintiendrai, qu’un cavalier qui termine avec quatre points dans une Coupe des nations a plus de mérite sportif que celui qui a remporté une épreuve à 1,40m dotée de plus de 20.000 euros. Ces “petites“ épreuves, courues en grand nombre tous les week-ends avec avidité, bousillent les chevaux. Il serait bon que cela change.
Comment allez-vous planifier votre été, entre les Coupes des nations et le Global Champions Tour?
J’ai fait une croix sur le Global parce qu’on ne peut pas tout faire et que je préfère courir les Coupes et les concours qui offrent des possibilités intéressantes en termes d’engagement: par exemple, ceux qui proposent des épreuves Jeunes Chevaux. Ce genre de concours est moins bien doté, mais permet de tester de nouvelles montures. Je sais d’ores et déjà que j’ai besoin de préparer des chevaux pour l’année prochaine, donc j’irai là où je pourrai donner de l’expérience à mon piquet. J’aime bien le circuit du Global, mais on nous demande d’aller à deux cents à l’heure: cela aurait encore pu passer cette année, mais j’aurais eu du mal à suivre l’an prochain. J’ai donc préféré avoir une vision à long terme et renoncer. C’est un circuit fantastique pour qui aurait un vrai crack et pourrait donc jouer le jeu à fond. Pour les autres qui auraient des chevaux plus modestes qu’un Shutterfly, par exemple, il faudrait être un peu plus à l’écoute des montures, qui n’ont peut-être pas envie de sauter ces hauteurs, à ce rythme, tous les week-ends. Par exemple, mettre des chevaux de Grands Prix dans des épreuves de vitesse pour quelques milliers d’euros et quelques points au classement mondial ne m’intéresse plus. Mes chevaux ont plus de chances de gagner dans des concours moins exigeants, alors je me dois de les écouter.
Autour d’un terrain de concours, vous êtes le cavalier qui signe le plus d’autographes. Comment vivez-vous cette notoriété?
C’est plutôt agréable même si ce n’est pas quelque chose que je recherche particulièrement. Les messages les plus touchants viennent toujours de jeunes gens: si je peux les aider ou leur procurer un peu de rêve, je le fais volontiers! Si en plus ils me disent que je les inspire d’un point de vue strictement sportif, alors ils m’offrent une motivation extraordinaire de continuer dans la voie que je m’impose.
Cet enthousiasme autour de vous a-t-il intéressé de nouveaux sponsors?
Par rapport à beaucoup d’autres cavaliers, je n’ai pas le droit de me plaindre de ma situation en la matière. Mais soyons réalistes: je ne suis pas un footballeur et les personnes qui m’apprécient n’ont pas le poids que peuvent avoir des supporters de sports de balle ou de ballon. Le retour sur investissement est vraiment difficile en équitation, donc les cavaliers ne sont pas près de signer les mêmes contrats que les footballeurs ou tennismen!
Faut-il alors créer des stars dans l’équitation? “Peopoliser“ le sport?
Certainement pas! C’est une tendance qui m’irrite! Je ne citerai pas de noms, mais lorsque certaines personnes connues s’invitent dans nos concours, montent des épreuves à 1,20m, tombent et que la presse en parle le lendemain, alors que le vainqueur du Grand Prix n’est même pas cité, cela m’agace. Il y a un vrai risque: les people peuvent attirer du public et les médias, mais ils vampirisent souvent l’attention au détriment des vrais cavaliers. Cela, je ne le supporte pas.