“Montrer une belle image, une belle équitation, et que le dressage français progresse“, Anne-Sophie Serre (partie 2)
Véritables révélations de la fin de l’année 2019, Anne-Sophie Serre et Actuelle de Massa ont apporté leur précieuse contribution à la qualification in extremis de l’équipe de France pour les Jeux olympiques de Tokyo. La Provençale de quarante-trois ans confie sa grande motivation pour les Jeux olympiques de Tokyo, qui ont finalement été reportés à l'été 2021, et aborde bien d’autres sujets de discussion, au-delà même de l’univers équestre. Deuxième partie de l'entretien (la première ici).
Partagez-vous toujours votre temps entre vos écuries et celles, toutes proches, d’Anne-Sophie de la Gâtinais et Sylvain Massa ?
Non, tous nos chevaux sont rapidement venus chez Anne-Sophie et Sylvain. Pour le fonctionnement technique de l’écurie et la gestion de notre temps, c’était beaucoup plus pratique pour tout le monde de réunir tous les chevaux sur un même site. Nous montons donc aussi quelques chevaux n’appartenant pas à l’élevage Massa.
Vous avez débuté cette année en Coupe du monde à Lyon, Madrid et Malines, avec le succès que l’on sait. Envisagez-vous un jour de tenter de vous qualifier pour la finale de ce circuit ?
Cette année, ce n’était absolument pas l’objectif car il est imprudent de courir deux lièvres à la fois (reportés à 2021 en raison du Covid-19, les Jeux olympiques étaient censés se tenir cet été, ndlr) avec un si jeune cheval, mais l’an prochain oui, pourquoi pas. Ce sont des concours magnifiques et très bien organisés. C’est agréable à vivre et à monter. Las Vegas, par exemple, ce doit être quelque chose, mais ce n’était pas à notre portée. À l’avenir, cela pourrait être un très bel objectif.
N’est-il pas triste de constater que les dotations demeurent relativement faibles, y compris pour ces belles épreuves qui se déroulent sur de magnifiques pistes, notamment du fait de l’absence de sponsors pour les circuits de concours orchestrés par la FEI ?
Malheureusement, c’est le dressage. Ce n’est pas une discipline que l’on pratique pour les gains. En saut d’obstacles, on peut choisir ses concours en fonction des dotations, mais absolument pas en dressage. Au-delà des résultats sportifs, financièrement, les concours ne sont qu’une vitrine pour une écurie.
Que manque-t-il au dressage pour attirer davantage de capitaux ?
Il manque de visibilité et de médiatisation. Pour qu’un sponsor ait envie d’associer son image à celle d’un couple, il doit pouvoir espérer améliorer la notoriété de sa marque ou de ses produits. Or en dressage, ce potentiel reste encore trop relatif.
La FEI travaille également à un raccourcissement du Grand Prix. Est-ce selon vous une voie pertinente ?
Pas nécessairement. J’ai vu les tests de Grands Prix courts menés au CDI-W de Londres en 2018 et 2019 et je ne suis pas convaincue que raccourcir l’épreuve permettra d’intéresser davantage le grand public. Les figures présentées restent techniques et si l’on n’explique pas aux spectateurs qui ne connaissent pas notre discipline ce qu’est un bon piaffer, ce qu’on attend d’une pirouette ou autre, cela ne change pas grand-chose. À mon avis, on devrait donc plutôt essayer de donner davantage de clés de compréhension au public et de l’intéresser par des commentaires à la fois ludiques et explicatifs sur chacune des figures.
“Nous pensons tous déjà à Paris 2024“
Quel est votre opinion quant au port obligatoire du casque en CDI à partir de 2021 ?
Je pense que c’est une très bonne chose. Nous connaissons tous autour de nous des cavaliers ayant subi des accidents plus ou moins graves. Cela n’arrive pas qu’aux autres. L’équitation demeurant un sport à risque, il est normal de demander aux cavaliers de se protéger. Cela accompagne aussi l’évolution de la discipline. Le haut-de-forme est certes élégant, mais le casque apporte également une note de couleur, un esthétisme différent. On s’y fait très bien et cela donne une image un peu plus moderne du dressage.
Dans quelle mesure les ventes d’Addict de Massa (CPD, San Amour x Maestro JGB, Lus), Dionysos de Massa (CPD, Special Agent Amour x Xaquiro CIP, Lus) et Join Me de Massa (CPD, Everdale x Rieto MKL, Lus) vous permettent-elles aujourd’hui de conserver Actuelle pour le grand sport ?
L’élevage Massa a besoin de revenus pour pouvoir financer tout le reste. De temps à autre, il est donc nécessaire de vendre des chevaux, en particulier ceux qui sont dressés car ils se vendent mieux que les autres, pour permettre à Sylvain Massa de poursuivre son activité d’élevage avec l’ampleur qui est la sienne. Sa volonté reste de produire beaucoup de chevaux pour pouvoir faire naître de bons poulains chaque année. Cette année, nous en attendons quatre-vingt-quinze !
Outre Actuelle, sur quels chevaux misez-vous pour votre avenir sportif ?
Je citerais d’abord le Lusitano-Sport Darius de Massa (CPD, Maestro JGB, Lus x Mu¨nchhausen, Trak). À sept ans, il maîtrise déjà presque tous les mouvements du Grand Prix. Il ressemble à Robinson, avec le même talent pour le piaffer et le passage notamment. J’ai aussi Cyclone de Massa (Lus, Quazar de la Font x Mulato HB), un grand cheval de huit ans que je vais lancer en compétition cette année au niveau Medium Tour. Arnaud et moi disposons également d’une excellente génération de chevaux de six ans. Comme ils auront dix ans en 2024, ce sont certainement ceux avec lesquels nous nous projetterons pour les JO de Paris.
Vous pensez déjà à Paris 2024 ?!
Oui, évidemment, nous y pensons tous ! D’ailleurs, Sylvain Massa n’a pas envie de vendre les jeunes produits de son élevage, ce qui fait notre bonheur. Sachant que le ou les chevaux éventuellement sélectionnables pour ces JO sont déjà au travail dans nos écuries, il refuse que nous présentions à la vente ceux de six, sept et huit ans.
Depuis le temps que vous collaborez avec Massa, avez-vous fini par vous prendre au jeu de l’élevage ?
C’est Sylvain qui choisit ses croisements. Son épouse Anne-Sophie, Arnaud et moi suggérons parfois des idées, mais c’est lui qui décide la plupart du temps. Il a une idée très précise de la production de ses juments - il en a une centaine -, il est toujours en quête de nouveaux croisements et on doit lui reconnaître une bonne part de réussite.
“L'humanité vit à crédit et consomme les ressources de la planète“
Quels sont aujourd’hui vos rêves de cavalière ?
Mon rêve de cavalière, je le vis déjà pleinement. Je me lève tous les matins pour exercer le métier que j’aime et vivre d’une passion que je partage avec mon mari et mes enfants. J’ai de bons chevaux à monter dans de belles installations. Mon rêve de sportive, de compétitrice, ce sont bien entendu les JO. J’espère pouvoir le réaliser l'été prochain à Tokyo, sinon à Paris peut-être.
Que vous inspire le monde en ce moment (cet entretien a été réalisé fin février, avant que la pandémie du Covid-19 ne touche l'Europe) ?
Au premier abord, et compte tenu de l’actualité, les premiers mots qui me viennent à l’esprit seraient doute et insécurité. Les violences et les désastres écologiques traduisent le caractère prédateur de l’homme. Nous nous détruisons entre nous comme nous détruisons avec application les capacités de renouvellement des ressources de notre planète. Cependant, cette nature destructrice ne date pas d’hier ! Déjà petite, j’entendais mes parents et grands-parents se questionner quant à l’avenir. Et finalement nous avons grandi, construit nos vies avec des repères différents des leurs, dans une société confrontée à des aléas tout aussi distincts. Les jeunes s’adaptent, mais cela ne veut pas dire qu’ils accepteront les problèmes du monde dans lequel ils devront évoluer ! Peut-être - il faut l’espérer - sauront-ils réagir pour résoudre certains problèmes actuels comme le changement climatique ou la sauvegarde de la planète et de la biodiversité.
Quid de l’affirmation des femmes dans leurs droits fondamentaux ? La libération de la parole de certaines victimes d’abus, d’agressions sexuelles ou de viols, y compris dans le mouvement sportif, vous surprend-elle ?
Non, c’est un problème qui touche tous les milieux. Si les agressions sexuelles ont longtemps été passées sous silence, des femmes trouvent aujourd’hui le courage d’en parler, ce qui marque une bascule vers une prise de conscience collective des violences qui leurs sont infligées. Souvent la justice condamne trop peu les agresseurs, ce qui incite les femmes au silence. Cependant, fortes des révélations d’autres femmes, beaucoup sont sorties de leur mutisme et de leur apparente acceptation pour faire comprendre au monde que ce n’est pas un phénomène normal, qu’il s’agit de crimes et qu’en tant que tels, ceux-ci ne doivent plus rester impunis ! Le sujet n’est plus un tabou et les femmes d’aujourd’hui ont simplement la force et la volonté d’affirmer leurs droits.
Quel est votre degré de confiance en l’avenir ?
Tout bon parent se pose évidemment ce type de question. C’est pourquoi l’éducation de nos enfants tient compte des questions environnementales et politiques afin de les aider à construire leur avenir. L’humanité vit à crédit et consomme les ressources de la planète en dépit du bon sens. Les dirigeants de certaines grandes puissances tiennent le destin du monde au creux de leurs mains. Nous nous rendons vulnérables… Pour autant, même s’il faut avoir conscience de cela et en tenir compte dans la manière d’éduquer nos enfants, il ne faut pas non plus en conclure que l’issue sera obligatoirement dramatique ! Sinon, comment les jeunes pourraient-ils se projeter dans l’avenir ? Prendre conscience du mal ne doit pas empêcher de voir ce qu’il y a de bon dans la vie. Le bonheur est une philosophie, un but demeurant à la portée de celui qui veut bien se donner la peine de le construire.
Cet entretien est paru dans le magazine GRANDPRIX du mois de mars.