“Je n'ai pas le sentiment d'être un modèle“, Peder Fredricson

Lorsqu’il n’est pas sur des chevaux, Peder Fredricson les peint. L’œuvre de sa vie a d’ailleurs de quoi rendre fou de jalousie bon nombre d’hommes. Présentant un physique élégant et élancé, un charme froid typiquement scandinave, une vie de famille parfaite, une réussite sportive insolente et un talent certain pour les arts plastiques, le Suédois a tout du père de famille idéal, mesuré et patient. Depuis 2016, celui qui était alors âgé de quarante-quatre ans a collectionné trois médailles majeures : l’argent individuel aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro, l’or individuel aux championnats d’Europe de Göteborg et l’argent collectif aux Jeux équestres mondiaux de Tryon. Indissociable du génial H&M All In de Vinck, qu’il espère retrouver au sommet de sa forme cet été aux JO de Tokyo, l’homme de Grevlunda, petit village de la côte sud suédoise, rêve de nouveaux grands succès. Infiniment humble, il est de ces hommes qui ne font jamais de vagues mais dont les accomplissements créent des tsunamis. Au lendemain d’une finale du Top Ten décevante, Peder Fredricson s’est livré dans une alcôve du CHI de Genève. Au propre comme au figuré, rencontre avec un grand Monsieur.



Peder Fredricson et H&M All In de Vinck se sont malheureusement montrés moins en forme en fin d'année.

Peder Fredricson et H&M All In de Vinck se sont malheureusement montrés moins en forme en fin d'année.

© Scoopdyga

Quel bilan tirez-vous de votre année 2019 ? 

J’ai connu une bonne année, j’en suis satisfait. Je pense que les moments les plus forts ont été mes victoires dans les Grands Prix du premier Longines Global Champions Tour de Stockholm et du CSIO 5* de Falsterbo (à chaque fois avec H&M All In de Vinck, ndlr). C’était vraiment sympa ! Nous avons également connu de beaux succès avec l’équipe suédoise, à commencer par nos victoires dans les Coupe des nations de Rome, Aix-la-Chapelle, Hickstead et Falsterbo. J’ai également remporté la finale de la Global Champions League (GCL) à Prague avec les Shanghai Swans (aux côtés du Suisse Pius Schwizer et de l’Allemand Daniel Deusser, l’écurie étant également composée de l’Irlandais Shane Sweetnam, de la Britannique Alexandra Thornton et de la Néerlandaise Kim Emmen, ndlr). J’en suis très heureux ! L'année 2019 aurait pu mieux se terminer car j’ai bien sûr été déçu par mon résultat au CHI de Genève début décembre (où le Suédois a été obligé d'abandonner dans la deuxième manche du Top Ten avec un All In en petite forme, et n'a même pas pris part au Grand Prix dominical, ndlr) mais c’est la vie.

En avril, vous avez également fini troisième de votre première finale de la Coupe du monde Longines, devant votre public à Göteborg et avec All In et Catch Me Not S… 

Oh oui absolument, j’avais oublié de le mentionner (rires) ! C’est un excellent souvenir. Je n’étais pas tout à fait certain d’y prendre part, mes chevaux ayant eu droit à une pause avant cela. Par ailleurs, Catch Me Not S était relativement inexpérimenté en indoor. All In a réussi une entrée en matière correcte dans la Chasse avec l’un des parcours les plus rapides mais une faute. Sans cette barre à terre, le résultat final aurait sûrement été différent… Prenant le relais pour la suite de la compétition, mon gris m’a beaucoup impressionné. Il a montré énormément de qualité et a géré la situation avec maestria (le cavalier n’y a sûrement pas été étranger !, ndlr). 

À chacun de vos passages, une ambiance indescriptible s’est saisie du mythique Scandinavium… 

Oui, absolument incroyable… Je dois dire que l’ambiance à Göteborg est dingue, en effet. D’ailleurs, c’est aussi le cas à Stockholm, et l’atmosphère à Falsterbo est unique aussi… C’est vraiment agréable d’être suédois dans ces moments-là ! L’équitation est un sport très important en Suède, avec des spectateurs très impliqués qui connaissent vraiment bien les chevaux.

À Göteborg, vous avez partagé le podium avec les Suisses Steve Guerdat et Martin Fuchs. Que pensez-vous de leur hégémonie actuelle, Steve Guerdat dominant le classement mondial Longines et Martin Fuchs ayant notamment décroché l’or individuel aux championnats d’Europe Longines de Rotterdam ? 

C’est assez fou je dois dire… J’y pensais justement il y a peu, ils ne sont jamais loin l’un de l’autre. Je crois qu’ils se poussent sans cesse l’un et l’autre à se dépasser.



“C’était très sympa de pouvoir concourir dans ce stade chargé d’histoire“

H&M Christian K, ici au CSI 5*-W de Bordeaux, fait partie des nombreux chevaux de Grands Prix de Peder Fredricson.

H&M Christian K, ici au CSI 5*-W de Bordeaux, fait partie des nombreux chevaux de Grands Prix de Peder Fredricson.

© Scoopdyga

Le 21 août, défendant votre titre obtenu en 2017 à Göteborg, All In et vous avez pris les commandes des championnats d’Europe de Rotterdam, que vous avez finalement conclus à la septième place individuelle et à la cinquième par équipes. Que garderez-vous de ce rendez-vous ? 

J’ai trouvé ce championnat extrêmement bien organisé. J’étais très content à l’issue de la Chasse, mais j’ai ensuite été un peu déçu car je nourrissais de grands espoirs individuels. All In n’était pas dans la forme que j’espérais. Il n’y a pas eu de mauvais parcours, mais des fautes ici et là, ce qui n’a pas suffi en fin de compte. S’il avait été plus en forme, il aurait pu gagner une nouvelle médaille d’or. Nous avons particulièrement fauté dans les combinaisons. C’était embêtant, mais c’est la vie ! En ce qui concerne l’équipe, nous étions tous un peu déçus car nous avions là aussi de grands espoirs. Henrik (von Eckermann) et Mary Lou (Westph, Montendro I x Portland L) sont d’ordinaire très bons, et Malin (Baryard-Johnsson) et H&M Indiana (BWP, Kashmir van Schuttershof x Animo’s Hallo) avaient réalisé une formidable saison. Nous sommes arrivés à Rotterdam avec une super équipe, et sans franche catastrophe, nous avons commis quelques fautes qui nous ont coûté cher. Finalement, nous n’avons pas été suffisamment bons… Par ailleurs, le jour précédant la finale, je suis tombé très malade. J’ai été infecté par une bactérie, ce qui a engendré une septicémie. À mon retour en Suède, j’ai passé six jours à l’hôpital. Pour autant, on ne peut pas dire que cela ait directement impacté le résultat.

Le 15 juin, vous avez remporté avec All In de Vinck le Grand Prix du tout premier CSI 5* de Stockholm, organisé dans l’historique stade olympique qui avait accueilli les épreuves équestres des Jeux de 1912 et 1956, mais aussi les JEM de 1990. Qu’avez-vous pensé de cette première ?

Ce fut un excellent concours ! Il s’agit d’un lieu historique dont je gardais beaucoup de souvenirs. J’y avais notamment assisté aux JEM. C’était très sympa de pouvoir concourir dans ce stade chargé d’histoire. Il se trouve que Malin était en tête et que j’étais dernier à entrer en piste. J’ai finalement réussi à être plus rapide qu’elle et la réaction du public a été phénoménale. C’était une belle soirée : le soleil commençait à se coucher, les tribunes étaient enthousiastes. J’en conserve un très bon souvenir.

La saison dernière, All In a par moments semblé moins intouchable que par le passé. Partagez-vous ce sentiment, et si oui, comment l’expliquez-vous ? 

C’est vrai, il n’a pas été tout à fait le même, ce que je ne m’explique pas vraiment… Après avoir remporté les championnats d’Europe (en août 2017, ndlr), il a été écarté des terrains de compétition un bon moment. Je n’ai pas pu l’emmener aux JEM de Tryon car il a eu un problème au jarret. Il est revenu et a réalisé quelques très bonnes choses, comme ses victoires à Stockholm et Falsterbo. Malgré cela, on ne peut pas dire qu’il soit vraiment le même. Je m’en suis bien rendu compte ici. Je déteste sentir que l’état de forme d’un cheval se dégrade. Je vais lui donner une pause (prolongée à cause de la crise sanitaire internationale, puisque le cheval n'est pas ressorti début 2020 alors qu'il devait participer au Mediterranean Equestrian Tour d'Oliva, ndlr), et nous allons voir si quelque chose le gêne. Il reprendra la compétition dans des épreuves modestes, jusqu’à ce que je juge qu’il a retrouvé toute sa superbe. Nous verrons s’il parvient à retrouver l’état de forme qu’il avait dans ses meilleures années. En tout cas, il ne prendra part à aucune compétition d’envergure avant que j’en sois certain. En vue des JO de Tokyo (qui ont finalement été reportés à l'été 2021, ndlr), il devra être en meilleure forme qu’aux Européens de Rotterdam pour que je m’appuie sur lui. J’espère que nous allons trouver ce qui cloche.

Outre All In, Catch Me Not et Hansson, vous pouvez compter sur d’autres formidables chevaux de Grands Prix, à l’instar de H&M Christian K (KWPN, Namelus R x Calvados) ou encore Zacramento (SWB, Cardento x Cortus). C’est Byzance, non ? 

Oui tout à fait, mais les choses changent rapidement dans notre sport. Parfois, les chevaux sont vendus ou se blessent… En temps normal, j’essaie donc toujours d’intégrer de nouveaux chevaux à mon piquet afin de ne pas me retrouver démuni.



“La Suède a de grandes chances de bien figurer dans les futurs grands championnats“

Peder Fredricson loue beaucoup les talents du prometteur Crusader Ice.

Peder Fredricson loue beaucoup les talents du prometteur Crusader Ice.

© Scoopdyga

Déjà propriétaire d’All In et Christian K, Stuteri Arch a acquis pour vous Chacco Dia (BWP, Diarado x Chacco Blue), l’ancienne jument de tête de la Franco-Tchèque Emma Augier de Moussac. Comment l’avez-vous repérée et comment se sont déroulés vos débuts ? 

Nous l’avons achetée après le concours d’Helsinki (où la baie a été éliminée dans le Grand Prix Coupe du monde, une semaine après sa cinquième place dans l’étape d’Oslo, ndlr). Il se sont arrêtés dans nos écuries sur le chemin du retour, je l’ai essayée et elle a bien sauté alors nous l’avons achetée. Je veux prendre le temps et bien faire les choses.

En incluant cette dernière, vous disposez désormais de six chevaux de Grands Prix, ce qui est tout à fait rare. Vous sentez-vous à la tête de l’une des meilleures écuries au monde ? 

Si tous ces chevaux étaient tous en bonne santé au même moment et que je pouvais tous les conserver, j’aurais effectivement une écurie exceptionnelle. Toutefois, Hansson et Catch Me Not étaient convalescents depuis un bon moment, et All In pas au sommet de sa forme… Je ne dois pas me plaindre, nous sommes tous confrontés à ces mêmes problèmes. Tous les cavaliers souhaitent maintenir leurs chevaux à leur meilleur niveau. En tout cas, je suis vraiment ravi des chevaux sur lesquels je peux compter. Ils sont excellents et je suis très reconnaissants envers mes propriétaires. 

Quel regard portez-vous sur le sublime H&M Crusader Ice (SWB, Cabachon x Corland) ?

Il n’a que huit ans, il est encore très jeune. Comme il est plutôt sensible, je prends mon temps avec lui. Je pense qu’il sera davantage à même de faire ses preuves cette année. Je l’aime beaucoup, il a une personnalité fantastique. Il est également adorable, très sympa à monter et en plus il est effectivement magnifique ! Il a encore des choses à prouver, mais j’ai le sentiment qu’il est très respectueux. Il lui reste simplement à trouver comment utiliser sa force et parfaire sa technique, donc la saison prochaine sera en quelque sorte un moment de vérité pour lui. 

Malgré l’intérêt qu’ils doivent susciter, vos chevaux de tête sont rarement commercialisés… Quel est votre secret ?

Il se peut qu’un ou deux soient vendus, mais je peux effectivement en garder la quasi-totalité. Nous avons trente chevaux à la maison et tous ceux qui m’appartiennent sont à vendre. Logiquement, les propriétaires sur lesquels je compte n’achètent pas de chevaux pour les revendre. Ils le font car ils aiment ledit cheval et veulent participer à notre histoire commune, en prenant éventuellement part à un des championnats. Finalement, les décisions leur appartiennent, alors s’ils veulent vendre leur cheval, nous le faisons bien sûr. D’une manière générale, j’essaie de travailler avec des gens que j’apprécie. Je compte notamment des propriétaires fidèles, dont un qui m’accompagne depuis vingt et un ans et un autre depuis dix-sept ans. Je suis très chanceux ! 

L’équipe suédoise semble presque plus forte que jamais. Comment jugez-vous ses chances en vue des prochaines grandes échéances ? 

Aux championnats d’Europe, nous avions une équipe très forte avec de bons cavaliers et d’excellents chevaux, et le podium nous a finalement échappé. Si nos chevaux sont en forme, nous aurons de grandes chances de bien figurer dans les futurs grands championnats. Pour autant, tout tient à un fil : si je ne parviens pas à avoir All In en grande forme, ou que Malin et Henrik ne peuvent compter sur Indiana ou Mary Lou, tout devient subitement très différent. Nous n’avons pas tant de cavaliers et chevaux de très haut niveau. La Suède demeure un petit pays sur la scène internationale du jumping.

Cet entretien est paru dans le magazine GRANDPRIX de février.