“Vivre avec des animaux et au rythme de la nature est une chance“, Nicolas Touzaint (partie 1)
Le 10 mai, Nicolas Touzaint fêtera ses quarante ans. D’ici là, sa chère et tendre Melinda Tapie aura donné naissance à leur deuxième enfant. L'année prochaine à Tokyo, l’Angevin aura toutes les chances de vivre ses sixièmes Jeux olympiques consécutifs – ses cinquièmes à cheval, ayant été désigné remplaçant en 2016 à Rio de Janeiro. Pouvant compter sur Absolut Gold*HDC, dixième des championnats d’Europe de Luhmühlen l’été dernier, et le prometteur Vendée Globe’Jac*HDC, le multi-médaillé est bien décidé à redevenir le leader de l’équipe de France qu’il fut de 2003 à 2013. Hormis la douloureuse perte de Thaïs Méheust, dont il était très proche, la saison dernière n’a offert que du plaisir et des promesses à ce champion profondément humain, rencontré début février dans ses écuries familiales, à Saint-Clément-de-la-Place, dans le Maine-et-Loire. Morceaux choisis.
En 2019, vous avez terminé dixième des championnats d’Europe Longines de Luhmühlen avec Absolut Gold*HDC, également sixième du CCI 4*-L de Saumur et douzième du CCIO 4*-S d’Aix-laChapelle. Vous avez également qualifié Vendée Globe’Jac*HDC pour les Jeux olympiques de Tokyo en terminant huitième du CCIO 4*-L de Boekelo après avoir gagné le CCI 4*-S de Vidigulfo. Eboli s’est classé deuxième du Grand National du Lion-d’Angers et Demoiselle Platine*HDC a fini quatrième du Mondial des six ans au Lion. Quel bilan tirez-vous de cette saison ?
Il est évidemment très positif pour moi. Depuis deux ans, j’ai de nouveau des chevaux compétitifs et capables de briller à haut niveau. Je retiens évidemment cette place retrouvée en équipe de France, qui m’a beaucoup motivé et fait très plaisir, même si nous aurions aimé finir à une meilleure place que la quatrième (à 2,7 points de la Suède, troisième, et 3 points de la GrandeBretagne, deuxième, ndlr). Quand on peut compter sur des chevaux aussi bons et jeunes qu’Absolut et Vendée Globe, qui n’ont que dix et onze ans et sont protégés par des propriétaires, Armand et Emmanuèle Perron-Pette, engagés pour le grand sport, on prend du plaisir et on se projette plus sereinement dans l’avenir. Absolut était plus avancé dans sa formation, mais Vendée Globe a très bien terminé la saison à Boekelo. Pour moi, ils sont aussi qualiteux l’un que l’autre. Eboli, qui appartient au haras de Hus, de Xavier Marie, n’a que onze ans lui aussi et montre de très belles choses. Ces derniers temps, on parle beaucoup de mon association avec le haras des Coudrettes grâce aux performances d’Absolut, Vendée Globe et Demoiselle Platine, mais je continue évidemment à travailler avec d’autres propriétaires, dont Xavier Marie et Édith Mézard. J’en ai une dizaine en tout. Bref, j’ai un bon piquet de chevaux appartenant à des gens qui me font confiance, alors tout va bien.
Comment analysez-vous les saisons précédentes, lors desquelles vous n’aviez pas pris part aux grands championnats internationaux ?
Approchant des vingt ans de carrière, je commence à connaître les différentes phases qu’un cavalier peut traverser, essentiellement en fonction des chevaux dont il dispose. Pendant dix ans, j’ai été très présent au plus haut niveau et j’ai beaucoup gagné avec des cracks comme Galan de Sauvagère (champion olympique par équipes en 2004 à Athènes et double champion d’Europe individuel en 2003 à Punchestown et 2007 à Pratoni del Vivaro, ndlr) et Hildago de l’Île (vainqueur des CCI 5*-L de Pau en 2007 et Badminton en 2008), que j’ai pu conserver grâce à la générosité de Monique et Pierre-Joseph Girard Claudon (décédés respectivement en 2008 et 2009, ndlr). À cette époque, je n’ai pas suffisamment préparé la suite. Alors quand ces très bons chevaux sont partis à la retraite, j’ai vécu trois ou quatre années un peu plus creuses. Mes résultats se sont faits plus discrets même si j’ai toujours eu au moins un cheval de tête compétitif. Vu la longueur de nos carrières, c’est assez normal. Quant à la phase que je vis actuellement, je la trouve vraiment très intéressante et motivante ! De plus, je me sens en parfaite santé. Je ne me suis jamais rien cassé d’important et je ne ressens aucune douleur particulière, alors je touche du bois ! Et j’essaie de ne pas trop penser au cap de la quarantaine qui se profile (il fêtera ses quarante ans le 10 mai, ndlr), même si cela entre forcément en ligne de compte.
À quoi avez-vous occupé votre trêve hivernale (qui s'est malheureusement prolongée depuis en raison de la crise sanitaire due au Covid-19) ? Avez-vous pu profiter de vacances ?
J’ai terminé ma saison de concours complet au CCI 2*-L de Vernantes, à une petite heure de la maison. Mi-novembre au Mans, j’ai disputé quelques épreuves de saut d’obstacles, notamment avec Eboli, sur lequel j’avais décidé de miser pour les cross indoor de Paris et Bordeaux. D’ailleurs, je suis plutôt content car nous avons terminé troisièmes à Paris (puis huitièmes à Bordeaux le 7 février, trois jours après cet entretien, ndlr). Comme tous les ans, nous sommes partis en vacances en famille entre Noël et le Jour de l’An, ce qui nous permet de célébrer ces deux fêtes, mais aussi l’anniversaire de mon épouse, Melinda, le 29 décembre, et celui de notre fils, Tom, le 27. Nous partons toujours dans le Sud-Ouest, où vit la famille de Melinda. Cette année, nous n’avons pas skié parce que Melinda attend notre fille, qui devrait naître en avril, mais j’ai fait un peu de luge avec Tom, qui a fêté ses deux ans et n’avait encore jamais vu la neige.
Avez-vous participé aux stages fédéraux cet hiver ?
Oui, nous en avons eu un mi-janvier et j’y retourne la semaine prochaine. Il y a quinze cavaliers et seize chevaux dans le groupe 1 de la Fédération française d’équitation. Pour ces stages, le staff nous a divisés en deux groupes. Ensuite, nous nous retrouverons assez nombreux pour la première étape du Grand National, début mars à Saumur, qui donnera le coup d’envoi de la saison de concours. Ces rendez-vous hivernaux nous permettent de confronter notre travail aux regards du staff fédéral et des autres cavaliers et éventuellement de corriger des choses, mais aussi de passer du temps tous ensemble, ce qui n’est jamais désagréable. Contrairement aux cavaliers de saut d’obstacles et de dressage, même si quelques cross indoor se sont ajoutés à notre calendrier, nous avons une trêve de trois ou quatre mois durant laquelle nous restons un peu chez nous. Dans ce contexte, les stages nous permettent de mieux préparer la saison à venir à tous les niveaux : chevaux, cavalier, matériel, programme de concours, etc. Thierry (Touzaint, sélectionneur et entraîneur national, mais aussi oncle de Nicolas, ndlr) est attaché à cela et il a bien raison, parce que cela fonctionne. Et l’ambiance dans le groupe France est très bonne.
“Ne plus disputer de championnats m’a permis de me rendre compte que l’équipe de France me manquait"
Même si vous aviez été sélectionné en tant que remplaçant aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro en 2016, dans quelle mesure l’équipe de France vous avait-elle manqué ?
Ne plus disputer de grands championnats pendant quatre ans m’a effectivement permis de me rendre compte que l’équipe de France me manquait. Pendant une dizaine d’années, ma présence dans les grands rendez-vous était presque automatique parce que j’avais des chevaux prêts et compétitifs pour cela (entre 2003 et 2013, Nicolas a disputé tous les championnats, exceptés les Jeux équestres mondiaux de Lexington en 2010, ndlr). D’une certaine manière, c’était une situation anormale par rapport à celle que je connais depuis (outre ceux de Luhmühlen, déjà évoqués, Nicolas a depuis participé “seulement“ à deux championnats d’Europe, en 2013 à Malmö avec Lesbos, puis en 2015 à Blair avec Radijague, avec à la clé deux onzièmes places et une médaille de bronze collective en 2013, ndlr).
Si vous deviez comparer vos Européens de 2015 et de 2019, que diriez-vous ?
Je les ai vécus différemment dans le sens où j’avais couru en individuel en 2015 alors que j’ai réintégré l’équipe l’an passé. Même si ce choix était justifié sportivement, on ne ressent pas la compétition de la même manière quand on ne fait pas partie de l’équipe. Savoir que je vais devoir me battre pour une médaille collective influe sur ma motivation. De plus, à Luhmühlen, le staff m’a placé en quatrième, un rôle que j’ai longtemps tenu par le passé, qui me plaît bien et qui signifie encore plus en termes de confiance et de responsabilité. Courir pour moi tout seul ou vivre un grand rendez-vous en tant que remplaçant, comme ce fut le cas aux JO de 2016, me fait forcément moins vibrer, même si l’on apprend toujours quelque chose. Pour autant, à Blair, j’avais vécu une belle semaine avec des propriétaires passionnés (Valérie Cormier et Maxime Rouiller, ndlr). Nous nous étions fait plaisir ensemble, ce qui compte beaucoup à mes yeux.
Quel goût vous avaient laissé Rio 2016 et le sacre de l’équipe de France lors de Jeux que vous aviez vécus pour la première fois en tant que remplaçant ?
J’en garde un très bon souvenir. J’ai vécu les JO cinq fois, dans des positions et contextes différents, du meilleur au pire entre notre médaille d’or de 2004 à Athènes (obtenue a posteriori au terme d’une procédure perdue par la Fédération allemande, qui contestait une pénalité infligée à Bettina Hoy et Ringwood Cockatoo lors du test hippique, ndlr) et la blessure de Galan à Hong Kong… Être réserviste à Rio, j’ai vécu cela comme une expérience de plus. J’ai présenté Crocket 30 à la visite vétérinaire et je suis resté pleinement mobilisé jusqu’au matin de la première journée consacrée au test de dressage au cas où j’aurais finalement dû entrer en piste. Je n’ai donc pas couru, ce qui est forcément particulier pour un cavalier, mais une médaille d’or olympique, quel qu’en soit le contexte, c’est génial. J’étais super heureux pour les quatre gars de l’équipe (Astier Nicolas, le lieutenant-colonel Thibaut Vallette, Mathieu Lemoine et Karim Laghouag, ndlr) et tout le staff, dont Thierry, qui est aussi mon oncle. Ma seule déception est de ne pas avoir pu assister à leur sacre parce que j’étais malade comme un chien. J’avais dû boire une eau qu’il ne fallait pas… J’ai passé toute la première manche du saut d’obstacles allongé au service médical. Le soir, j’ai fêté la médaille en essayant tout juste de reboire de l’eau… En tout cas, que j’en fasse partie ou pas, la réussite de l’équipe de France me réjouira toujours. Notre discipline a besoin qu’elle soit performante, qui plus est aux JO.
Que pensez-vous de la nouvelle formule de compétition olympique avec plus d’équipes mais des équipes de trois couples seulement, aux niveaux plus disparates, qui pourront faire entrer en jeu leur remplaçant en cas de pépin, et où tous les scores compteront ?
Nous, cavaliers, n’étions pas favorables à cette réforme, mais elle a été adoptée, alors il faut s’en accommoder. On sait d’ores et déjà qu’une équipe obligée de faire entrer en jeu son remplaçant perdra presque toute chance de podium (en raison de la pénalité de vingt points prévue par le règlement, ndlr). L’inverse m’étonnerait beaucoup. Du coup, certains cavaliers vont sûrement se retrouver à sauter le cross et surtout l’hippique sans véritable enjeu pour leur équipe… Par expérience, je suis bien placé pour savoir que ces formats de compétition ne sont pas figés dans le marbre. En 2000 à Sydney, il y avait deux épreuves distinctes pour décerner les médailles individuelles et collectives. En 2004 à Athènes, les routiers et le steeple ont disparu et on a introduit la seconde manche de saut d’obstacles pour déterminer le podium individuel. Nous étions cinq par équipe en 2012 à Londres, puis quatre en 2016 à Rio et maintenant trois… On sent bien que la FEI a du mal à trouver la bonne solution puisque ça change presque à chaque fois. L'année prochaine, nous allons à nouveau expérimenter. Le fait que tous les scores comptent peut rebattre les cartes, mais c’est difficile à anticiper. Ce format a été testé l’an passé au CCIO 4*-L de Boekelo, aux Pays-Bas, où le saut d’obstacles a été une catastrophe avec un ordre de passage complètement incompréhensible. Alors que nous devons nous battre pour médiatiser un peu notre discipline, qui n’est déjà pas simple à lire en termes de scoring et avec ses trois épreuves en quatre jours, là j’ai l’impression qu’on lui met des bâtons dans les roues. Je ne sais pas ce que comprendront les gens qui regarderont les Jeux à la télé… Je suis donc sceptique, mais on verra bien. Il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis !
“Les gains en complet sont très faibles, voire inexistants“
Suivant les conseils de Laurent Bousquet, sélectionneur national de l’équipe de France de 2010 à 2012, la Fédération équestre japonaise n’a pas lésiné sur les achats de chevaux. Rien que chez vous, en septembre 2017, elle avait acquis Vegas de l’Elfe et Ventura de la Chaule, tous deux qualifiés pour les JO avec Atsushi Negishi. Considérez-vous le Japon comme un candidat crédible pour le podium par équipes ?
Oui, je le crois, et ce sera une grande première pour ce pays. Depuis l’attribution des Jeux à Tokyo, le Japon met toutes les chances de son côté en employant au mieux ses importants moyens. Ses meilleurs cavaliers s’entraînent et concourent en Europe depuis de nombreuses années. On en retrouve dans de belles écuries en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne, et tous disposent d’un, voire deux chevaux compétitifs. Comme toujours, il faudra aussi compter avec les nations que je viens de nommer ainsi que l’Australie, la NouvelleZélande et les États-Unis (et à n’en pas douter l’Irlande, ndlr). Ce sera donc très ouvert.
Entre Vegas, Ventura, Radijague, désormais associé à Victor Gonçalves, Topsecret d’Églefin, acquis par la jeune Italienne Cecilia Magni, ou encore Crocket 30, monté depuis 2018 par la jeune Zoé Meyer, pour ne citer que les meilleurs, vous êtes resté très dynamique sur la scène commerciale ces dernières années ! Cela reste-t-il votre première source de revenus ?
Oui, parce que les gains en complet sont très faibles, voire inexistants. À ce sujet, les choses ne vont d’ailleurs pas dans le bon sens, excepté le développement de l’Event Rider Masters. Et inclure ce circuit dans un programme de concours requiert de disposer de plusieurs chevaux de haut niveau. En revanche, la France profite d’un très bon élevage, d’un excellent circuit de formation et de valorisation des jeunes chevaux orchestré par la Société hippique française et d’un beau réseau de CCI 2* et 3*, ce qui nous offre des conditions idéales pour le commerce. Dans mon système, pour pouvoir concourir à haut niveau, j’ai besoin de propriétaires prêts à conserver leurs chevaux à long terme, mais il me faut aussi investir moi-même dans des jeunes, seul ou avec des partenaires, pour ensuite les revendre et équilibrer financièrement mon activité. Cela explique également pourquoi j’ai été moins performant à haut niveau ces dernières années, ayant vendu successivement Miss Wanted Fast à l’Italienne Stella Benatti en 2009, en 2010 à l’Italien Marco Biasia le formidable Tatchou, qui était taillé pour les plus belles épreuves, puis Neptune de Sartène également à Marco Biasia en 2012, après de très bons championnats d’Europe en 2011 à Luhmühlen (le couple avait fini huitième et contribué à la médaille d’argent de l’équipe de France, ndlr). C’était indispensable à la survie de mon écurie. Je n’ai jamais ralenti sur ce plan et je pense même accélérer ces prochaines saisons. Si mon corps me le permet, je m’imagine encore monter à haut niveau pendant une dizaine d’années, mais je vais aussi continuer à détecter, former, valoriser et vendre des chevaux parce que j’aime cela et qu’il y a de la demande. Je considère que c’est la base de mon travail. À Boekelo, où je l’ai vu se classer quinzième avec la manière, j’ai suivi Ventura de la Chaule au moins autant que les chevaux de mes camarades français. S’il est sélectionné pour les JO, je serai super heureux et fier, comme lorsque je gagne une épreuve moi-même. Cela vaut pour tous les niveaux, puisque j’ai aussi eu la chance de vendre pas mal de chevaux à des jeunes. Les voir réussir de belles carrières me satisfait sincèrement.
Quid du coaching ?
Je n’y consacre pas beaucoup de temps en ce moment car j’ai déjà beaucoup de travail, mais un petit peu quand même parce que j’aime bien cela et que c’est complémentaire avec mes autres activités. J’anime des stages en hiver et j’accompagne quelques cavaliers de la région, mais davantage au coup par coup que de façon suivie. Lorsque je lèverai un peu le pied en termes de compétition, je m’y consacrerai davantage avec grand plaisir.
Comment évolue le marché ? Dans quelle mesure le prix des chevaux augmente-t-il ?
Les prix ont beaucoup augmenté ces dernières années, mais au même rythme que ceux des chevaux de saut d’obstacles, qui se vendent toujours dix fois plus cher que les nôtres… Du reste, nous les achetons à peu près dix fois moins cher que ceux de jumping à quatre, cinq ou six ans. Les meilleurs peuvent aujourd’hui s’échanger de 500 000 à 800 000 euros, voire un million pour des cracks exceptionnels. Ce sont déjà de très belles sommes.
La deuxième partie de cet entretien sera publiée demain.
Cet entretien est paru dans le magazine GRANDPRIX en mars.