Quelles seront les conséquences de la crise sanitaire et économique pour le commerce de chevaux ?

Une fois achevée, la crise sanitaire internationale liée à pandémie de Covid-19 va sans aucun doute engendrer bien des conséquences, et, selon bon nombre d’observateurs, pourrait se muter en une crise économique plus ou moins durable. Comme biens d'autres activités considérées comme non-essentielles à la société, le commerce de chevaux est à l’arrêt depuis plusieurs semaines. GRANDPRIX a sondé plusieurs personnalités de ce secteur complexe et pluriel pour tenter de dresser un premier état des lieux et de saisir les impacts de cette interruption inédite du marché du cheval de sport.



© Scoopdyga

Depuis mi-mars, le monde équestre, à l’instar de tous les secteurs considérés non-essentiels à la vie de la société, est à l’arrêt dans la quasi-totalité des pays du globe. La propagation extrêmement rapide et dangereuse du virus Covid-19 a en effet conduit à une interruption brutale d’une multitude d’activités, dont les compétitions sportives. Selon de nombreux observateurs politiques et économiques, cette crise sanitaire pourrait engendrer une crise économique inédite - couplée à une crise financière pressentie depuis quelques années déjà. En stand-by depuis plusieurs semaines, le commerce de chevaux de sport parviendra-t-il à redémarrer sans accroc? Avec les mêmes codes? Sera-t-il plus ou moins impacté que d’autres secteurs? Il est encore trop tôt pour répondre catégoriquement à ces questions, la principale caractéristique de cette crise étant son aspect inédit et imprévisible. Certaines hypothèses sont toutefois partagées par la plupart des acteurs du secteur.

“Le commerce de chevaux a déjà commencé à souffrir de la crise sanitaire“, ouvre le cavalier et marchand suisse Daniel Etter, pour qui le commerce représente 90% des activités et revenus. “La principale raison n’est autre que l’absence de compétitions depuis près d’un mois. Les concours sont essentiels au commerce car ils permettent de valoriser les chevaux, de rencontrer des clients ou d’essayer des chevaux. Je suis en contact avec plusieurs clients intéressés pour m’en acheter mais ils ne peuvent pas venir car personne ne peut voyager (la majorité des pays européens ayant considérablement réduit l’accès aux transports aérien et ferroviaire, et adopté des mesures de confinement, ndlr).“ Ce constat est évidemment partagé par Laurent Guillet, cavalier et marchand français établi dans l’Ain. “Les inévitables mesures de confinement restreignent forcément notre activité car nos clients ne peuvent plus venir essayer les chevaux. Et nous, marchands, n’avons pas le droit non plus de nous déplacer dans le but d’en acheter.“

 La compétition, fer de lance du commerce de chevaux

À entendre les experts de ce secteur, le feu repassera au vert lorsque la compétition pourra reprendre. “Le commerce va avec les concours, donc je pense que les deux secteurs reprendront en même temps“, confirme Ludo Philippaerts, ancien membre de l’équipe belge de saut d’obstacles et marchand installé aux confins de la Belgique, des Pays-Bas et de l’Allemagne. “En tout cas, il va redémarrer, car les cavaliers, qu’il s’agisse d’amateurs ou de professionnels, auront toujours besoin de chevaux pour sauter des obstacles.“

Le Belge, comme la quasi-totalité des autres acteurs interrogés, coupe court à toute hypothèse trop pessimiste. En clair, les marchands de chevaux et leurs clients vont inéluctablement pâtir de la crise actuelle. Toutefois, ces difficultés financières seraient surmontables dans bien des cas et une grave chute de l’activité commerciales n’est pas à prévoir. “Pour ma part, je reste assez optimiste car les clients qui étaient là avant la crise sanitaire le sont toujours et me demandent de ne pas relâcher mes efforts pour leur trouver de bons chevaux“, témoigne le jeune Normand Maxime Baldeck, fidèle partenaire de Kevin Staut notamment. “Encore une fois, le seul vrai handicap est de ne pas pouvoir voir les chevaux en condition de concours. Je ne pense pas que notre secteur sera le plus touché. Si l’on parle du commerce de chevaux de haut niveau par exemple, les clients qui avaient beaucoup d’argent en auront toujours.“ “L’équitation est un sport surtout pratiqué par des personnes aisées“, reconnaît Laurent Guillet, “donc quand la compétition va reprendre, tout le monde va vouloir retourner sur les terrains. Et les concours reprendront forcément car les organisateurs d’événements ont besoin d’argent pour vivre, donc les structures professionnelles comme celles d’Oliva, Arezzo ou Gorla Minore, par exemple, devront sans doute reprendre de l’activité également. Le seul bémol, c’est que tous les marchands n’auront pas pu s’y préparer car certains d’entre eux ne disposent pas d’installations optimales pour entraîner les chevaux pendant ce confinement. En l’absence de compétitions, certains ont même remis leurs jeunes chevaux au pré. Malheureusement, cette année sera un peu tronquée quoi qu’il arrive...“

La question principale est donc la date de reprise des concours. En mai, en juin, en septembre après avoir tiré un trait sur une saison extérieure qui ne durerait que quelques semaines ? L’avenir le dira. Et quels concours? Car il y a fort à parier que les petits nationaux, souvent organisés par des centres équestres ou des associations, et les plus grands CSI 5*, qui nécessitent une longue préparation et le soutien de sponsors, connaissent plus de difficultés que les autres. “Quand le feu vert sera donné, la situation ne pourra pas revenir d’un coup à la normal“, juge Daniel Etter. “À mon avis, nous allons avoir du mal à trouver des concours pendant les premières semaines, même s’ils seront autorisés. Je pense que les CSI 2 et 3* devraient mieux survivre cette année.“



Qui sera le plus impacté?

“En ce moment, le commerce est au point mort“, Paul Schockemöhle

“En ce moment, le commerce est au point mort“, Paul Schockemöhle

© Scoopdyga

Comme l’évoquent ces derniers intervenants, l’avenir du commerce de chevaux ne peut pas se résumer en une seule phrase tant il concerne des clientèles très différentes, allant de l’amateur de la classe moyenne aux plus grandes fortunes du monde. Les personnes qui vont le plus souffrir de la crise seront sans aucun doute les petites structures. “C’est sûr que les plus impactés vont être les marchand à la clientèle moins nombreuse et ceux qui vendent à des amateurs“, confirme Maxime Baldeck. “Leurs clients auront souffert du confinement, auront peut-être été au chômage partiel, et ne vont pas pouvoir immédiatement racheter un cheval pour leur enfant ou leur ami. Les marchands à la clientèle plus aisée ou très nombreuse vont moins souffrir, car ils savent que leurs clients n’attendent qu’une chose: repartir en concours. De la même manière, je pense beaucoup aux petits éleveurs qui attendaient le circuit SHF pour valoriser et vendre leurs chevaux… Là, ils vont avoir payé leur pension chez les cavaliers sans que leur cheval n'ait pu concourir pendant plusieurs mois.“ “En fait, cela dépendra de la profession du client, si son secteur d’activité a été impacté ou pas“, affine Laurent Guillet. “Si c’est le cas, ils reporteront sûrement leur achat, et s’ils sont nombreux dans ce cas, les recettes du marchand vont forcément s’amoindrir…“

Pour Daniel Etter, pour qui les cas cités en exemple représentent une bonne partie de sa clientèle, la situation sera effectivement plus délicate. “Vendre des chevaux est notre gagne-pain.. Les mois qui vont suivre vont être durs pour tous les marchands, et nous en particulier, car nous nous avons tous des frais à couvrir pour l’entretien des chevaux et nous n’avons pas autant de trésorerie que d’autres. J’ai aussi peur pour les clubs équestres, qui font partie de mes clients, car ils n’ont pas le droit d’accueillir qui que ce soit en ce moment et vont perdre beaucoup d’argent. C’est très triste, mais de tous les métiers, ceux qui ont le moins de souffle sont ceux qui vont plus vite s’éteindre. Pour autant, je suis de nature optimiste alors j’espère que nous pourrons recommencer à vivre d’ici deux ou trois mois.“

Géant du secteur, Paul Shockemöhle a livré une excellente interview à nos consœurs de Worldofshowjumping. L'Allemand, à la tête de l'une des plus grosses structures d'élevage et de commerce de la planète, pourrait également être impacté, peut-être même davantage que d'autres maisons, devant travailler avec un énorme stock de chevaux. “Nous attendons près de mille poulains cette année, donc si nous n'arrivons pas à vendre ceux que nous avons déjà, nous n'aurons même plus assez de place pour accueillir tous les chevaux“, raconte-t-il. “Nous animons encore des ventes en ligne, où nous proposons nos quinze meilleurs produits. Pour nous, tout va devenir de plus en plus compliqué jusqu'à ce que le marché puisse revenir à la normale.“ 



Un report de la deadline pour l’enregistrement olympique pourrait-il être un outil de relance?

Selon Laurent Guillet, cavalier français au niveau international, les tournées de compétition comme Oliva sont menées à être fortement développées dans les années à venir.

Selon Laurent Guillet, cavalier français au niveau international, les tournées de compétition comme Oliva sont menées à être fortement développées dans les années à venir.

© Mediterranean Equestrian Tour

S’il est évident que cette crise était tout sauf prévisible, il faut avouer qu’elle tombe au plus mauvais moment. “Le début de l’année est peut-être la période la plus importante pour nous car beaucoup de cavaliers cherchent de nouveaux chevaux pour aborder leur saison pleine“, explique Daniel Etter. De plus, le calendrier de l’année était notamment rythmé par les Jeux olympiques de Tokyo, initialement planifiés du 24 juillet au 9 août avant d’être repoussés à l’été 2021. Ce report pourrait peut-être permettre une relance du commerce de chevaux de très haut niveau, si la date limite d’inscription des chevaux pour les JO fixée par la Fédération équestre internationale était également repoussée au 15 janvier 2021. En effet, en une année, il y a fort à parier que la situation change dans quelques écuries. Des jeunes et prometteurs chevaux de neuf ans pourraient finalement être arrivés à maturité. À l’inverse, de nombreux chevaux déjà âgés pourraient ne pas parvenir à revenir au plus haut niveau après une si longue pause sans compétition. Aussi, ce changement de deadline pourrait permettre à des nations comme l’Argentine et le Maroc, repêchées à la dernière minute en raison de la disqualification du Canada et du Qatar, de renflouer leurs effectifs en achetant un ou plusieurs chevaux de gros calibre. “Tout le monde pressent cette nouvelle deadline, réagit Maxime Baldeck, “qui serait une mesure de bon sens pour les chevaux“, confirme à son tour Laurent Guillet. “Je dois dire que je suis confiant“, conclut Maxime Baldeck. “Je pense qu’il va y avoir une fièvre acheteuse, au moins pour les personnes les plus fortunées, une fois le confinement terminé. La preuve, dans les familles ou  sur les réseaux sociaux, tout le monde parle d’aller faire du shopping et d’aller boire des verres en terrasse comme la première chose à faire! Les gens vont vouloir vivre. Et si pour certains vivre s’apparente à acheter des chevaux et à concourir car c’est leur passion, le commerce repartira. Le meilleur indice sera à mon avis le marché américain, qui est typiquement sur-consommateur de chevaux.“

 Changement de système, doux rêve ou opportunité ?

Selon de nombreux commentateurs politiques et économiques, cette crise sanitaire est aussi un signal d’alerte quant à notre système globalisé. Si l’origine du virus Covid-19 demeure encore floue, nul besoin d’être un scientifique aguerri pour comprendre que sa propagation a été aussi rapide car les flux humains et commerciaux sont de plus en plus intenses et mondialisés. Alors, notre système économique doit-il changer? Si les activités venaient à se relocaliser, quid des marchés étrangers? Le cœur de l’élevage de pointe et le sport de haut niveau se situant en Europe de l’Ouest, les marchands parviendraient-ils à élargir leur clientèle en Amérique et en Asie comme ce fut le cas ces dernières années? “Dans les crises, il y a toujours des opportunités et de grandes tragédies“, dit prudemment Ludo Philippaerts, qui ne s’avance à aucune spéculation. “Cette crise est tellement inédite que personne ne peut deviner ce qu’il se passera. Peut-être que nous allons moins prendre l’avion, par exemple.“ “Le mieux quand on voyage loin, c’est d’y rester quelques semaines“, témoigne Laurent Guillet. “Votre bilan carbone est moins important si vous restez sur un terrain de concours, même lointain, pendant plusieurs week-ends que d’arpenter l’Europe toutes les semaines ou allez passer trois jours sur un autre continent. Je pense que ces longs formats de concours vont se développer et se professionnaliser de plus en plus dans les années à venir. Notre sport et l’économie vont sans aucun doute changer, reste à savoir comment, à quel moment et dans quelle direction.“