Philippe Guerdat, la force de l'authenticité (partie 2)

Il y a tout juste un an, Philippe Guerdat était déchu par la Fédération française d’équitation de ses fonctions de chef de l’équipe tricolore de saut d’obstacles, après six ans de bons et loyaux services. Ayant depuis tourné la page, le Suisse de soixante-sept printemps n’a pas mis longtemps à reprendre du service, s’épanouissant depuis février au poste de sélectionneur de l’équipe nationale du Brésil, qu’il espère bien mener jusqu’au sommet des Jeux olympiques de Tokyo. Authentique, drôle, honnête, passionné et acharné de travail, le Jurassien a accepté de se raconter et de revenir sur les moments qui ont marqué sa carrière.



Aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro, Philippe Guerdat a mené l'équipe de France au sommet.

Aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro, Philippe Guerdat a mené l'équipe de France au sommet.

© Scoopdyga

La première partie de ce portrait, publiée hier, est à retrouver ici.

Si son expertise technique, son carnet d’adresses et son expérience font rapidement de Philippe Guerdat un sélectionneur très respecté, il est tout aussi plus convoité pour ses qualités humaines. Passionné comme peu d’autres, il est réputé pour être extrêmement dévoué et loyal envers ses cavaliers. Fin 2009, après avoir travaillé six mois pour le Russe Vladimir Tuganov, il est contacté par la Belgique. Le Plat Pays, dont la politique fédérale est souvent mouvementée, cherche un chef capable de redynamiser les Diables Rouges, qui n’ont pas participé aux JO de 2008 et enchaînent les contre-performances. En l’espace de quelques mois, le Jurassien fait carton plein : la Belgique remonte en Première ligue du circuit des Coupes des nations, arrache le bronze par équipes aux Jeux équestres mondiaux de Lexington, où Philippe Le Jeune est aussi sacré champion du monde avec Vigo d’Arsouilles (BWP, Nabab de Rêve x Fleuri du Manoir), et se qualifie pour les JO de Londres. Hélas, les années 2011 et 2012 sont moins fastes en termes de médailles, ce qui n’entame pas la motivation du sélectionneur, ravi d’accompagner le renouvellement des générations alors à l’oeuvre outre-Quiévrain. 

Fin 2012, la Fédération française d’équitation cherche un successeur au Néerlandais Henk Nooren, en poste à la sélection depuis 2011. Henri Prudent, Thierry Pomel ou Jean-Maurice Bonneau sont pressentis… tout comme Philippe Guerdat. Pilier de l’équipe, Pénélope Leprevost est convaincue que le Suisse endossera parfaitement ce rôle et milite franchement pour son embauche. “Lorsqu’on m’a proposé de travailler pour la France, j’ai d’abord refusé“, avoue-t-il. “J’ai l’habitude de tenir parole et ma collaboration avec les Belges devait se poursuivre jusqu’en 2016. Et puis, j’étais tellement bien en Belgique… Je m’entendais avec tout le monde et j’avais réussi à faire émerger plein de super cavaliers !“ Finalement, le Suisse accepte la proposition de Serge Lecomte, président de la FFE. L’équipe tricolore, qui regorge d’excellents cavaliers, n’est pas donnée à tout le monde, mais le départ de la Belgique n’en reste pas moins un déchirement. “Aujourd’hui, il me reste un challenge, c’est entraîner la France, l’une des plus grandes équipes au monde“, déclare-t-il à l’époque. “Pour quelqu’un qui fait ce métier depuis douze ans, c’est une sorte d’aboutissement. C’est un crève-coeur pour moi de quitter mes amis. Je suis quelqu’un d’émotif et j’ai passé la nuit à réfléchir sans dormir. J’ai l’impression quelque part de trahir, même si le mot est un peu fort, alors je veux vraiment aider à trouver le successeur que la Belgique mérite.“



“J’ai toujours beaucoup admiré Kevin Staut“

Leader de l'équipe de France, Kevin Staut a renoué une véritable relation d'amitié avec Philippe Guerdat.

Leader de l'équipe de France, Kevin Staut a renoué une véritable relation d'amitié avec Philippe Guerdat.

© Jessica Rodrigues/RB Presse

De fait, il tente d’apaiser les tensions avec les responsables belges et de se trouver un successeur. “Lors de notre dernière réunion, Eugène Mathy (ancien vice-président de la Fédération belge, ndlr) était hors de lui au restaurant… Quand je lui ai dit que je partais, il a lancé des verres et des tasses à travers la pièce, puis il s’est levé et il est parti. Cette situation a été difficile à vivre pour lui comme pour moi, car je ne m’étais pas libéré. Il nous a fallu du temps pour nous reparler car il m’en a beaucoup voulu. Pour autant, je ne suis pas parti comme un voleur et je les ai aidés à retrouver un sélectionneur. Je leur ai d’abord conseillé Kurt Gravemeier (ancien cavalier, entraîneur et chef d’équipe allemand, ndlr), qui a quitté ses fonctions fin 2014. Puis j’ai poussé mon ami Dirk Demeersman (pilier de l’équipe belge dans les années 2000, ndlr) à prendre le relais, tout en ne sachant pas s’il supporterait la pression car il est très sensible. Il faut être très fort mentalement pour occuper ce poste, ce qui n’était malheureusement pas le cas de Dirk… Après leur victoire en finale mondiale des Coupes des nations en 2015 à Barcelone, il est tombé dans une espèce de burnout. Il pleurait assez souvent face aux critiques et aux pressions, alors il a sagement préféré en rester là… Et il est bien plus heureux aujourd’hui ! Enfin, c’est encore moi qui ai conseillé Peter Weinberg (en poste depuis 2017, il a mené les Diables Rouges à la victoire dans la finale des Coupes des nations en 2018 ainsi qu’à leur sacre aux championnats d’Europe Longines de Rotterdam cet été, ndlr). Je resterai attaché à la Belgique, quoi qu’il arrive.“ 

Dès son arrivée, le Jurassien permet à la France d’accumuler les succès, conduisant le quatuor vainqueur de la finale de Barcelone en 2013, puis celui médaillé d’argent aux Jeux équestres mondiaux de Normandie en 2014 et celui sacré champion olympique en 2016 à Rio de Janeiro - un exploit après lequel les Bleus galopaient depuis quarante ans ! Sous sa conduite, Roger-Yves Bost a également été couronné champion d’Europe en 2013 avec Myrtille Paulois (SF, Dollar du Mûrier x Grand Veneur), Patrice Delaveau est devenu vice-champion du monde en 2014 avec Orient Express*HDC (SF, Quick Star x Le Tot de Semilly), Simon Delestre a été médaillé de bronze aux Européens de 2015 avec Hermès Ryan des Hayettes (SF, Hugo Gesmeray x Ryon d’Anzex), et Pénélope Leprevost a terminé deuxième de la finale de la Coupe du monde la même année avec Vagabond de la Pomme (sBs, Vigo d’Arsouilles x For Pleasure). En six ans, l’ancien cavalier international a également remporté nombre de Coupes des nations, dont celles de La Baule en 2014 et 2017, Rotterdam en 2014 et Saint-Gall en 2018, pour ne citer que les plus prestigieuses. 

Au-delà même des victoires, le Suisse a réussi à faire émerger de nombreuses nouvelles têtes au plus haut niveau et à élargir les rangs de l’équipe de France. Tout cela, Philippe l’a accompli avec humanité, pragmatisme et conviction. De nature très pudique - encore un trait de caractère commun avec son fils ! -, le sexagénaire a aussi fait de sacrées rencontres, comme “Kevin (Staut, ndlr) évidemment, car il était le leader de mon équipe. Je l’ai toujours beaucoup admiré pour son équitation et son approche des chevaux, même si sa gestion me gêne parfois un petit peu. Je pourrais aussi citer Nicolas Delmotte, Thierry Rozier, Alexis Deroubaix, Pénélope Leprevost… En vérité, ma plus belle rencontre est peut-être Jérôme Hurel. Je n’ai jamais oublié le moment où j’ai dû lui dire qu’il était remplaçant pour les JEM de Normandie. Ce fut extrêmement difficile pour moi parce qu’il rêvait d’y participer. Voir cet homme (réputé très pudique et sensible, ndlr) pleurer… Ce jour-là, je m’étais fait violence car j’avais fait un choix sportif et pas un choix de coeur. Je n’ai pas de regrets, mais je me suis souvent demandé si j’avais pris la juste décision.“



"Quelque part, avec le recul, je suis sorti par la grande porte."

Depuis début 2019, Philippe Guerdat est le sélectionneur du Brésil.

Depuis début 2019, Philippe Guerdat est le sélectionneur du Brésil.

© Raul Sifuer/FEI

Contre toute attente, Philippe Guerdat est remercié par la Fédération française d’équitation en décembre 2018, trois mois après les Jeux équestres mondiaux de Tryon, où la France a terminé neuvième par équipes et échoué à se qualifier pour les JO. La grande majorité des meilleurs cavaliers français demande à ce qu’il reste puis, devant l’impossibilité de cette éventualité, lui rend un hommage très fort et unanime. “La manière dont je suis parti m’a évidemment affecté… Peut-être que je pourrais regretter de ne pas être parti après les Jeux olympiques de Rio, comme prévu“, dit-il simplement, ne souhaitant pas refaire le match. “Mon plus beau souvenir avec la France pourrait être notre médaille d’or par équipes à Rio, ou nos deux médailles d’argent à Caen, mais je crois que c’est le 18 novembre 2018 (où une quarantaine de cavaliers avaient réservé un restaurant parisien pour le remercier, ndlr). Tous mes cavaliers étaient présents. Ils avaient tous demandé à ce que je reste à leurs côtés. Je ne cherche pas la lumière et ne me mets pas naturellement en avant, alors j’ai savouré ce soutien d’une quasi-unanimité. Quelque part, avec le recul, je suis sorti par la grande porte. Même si la fédération m’a éjecté de manière discutable, j’ai été plébiscité par mes cavaliers, ce qui est l’essentiel. Les déceptions font partie de la vie. En tout cas, je n’ai aucun problème le matin quand je me lève. Je n’ai ni triché, ni menti, ni trahi.“ 

Depuis février 2019, après une très courte accalmie - juste le temps de suivre quelques matches de football et l’actualité politique française -, le Jurassien a repris du service au poste de sélectionneur de l’équipe du Brésil. “Je suis toutes les semaines en concours, en quête de nouvelles idées pour mes cavaliers, de nouveaux chevaux, de nouveaux couples…“, s’exclame, le sourire aux lèvres, celui qui a aidé ses nouvelles troupes à décrocher des médailles d’or aux Jeux panaméricains de Lima, au Pérou. “Et tant que j’exercerai ce métier, je fonctionnerai ainsi. Je ne vais pas changer parce qu’ils sont brésiliens !“ S’il est prévu qu’il mène les Auriverdes au moins jusqu’aux JO de Tokyo, serait-il possible de voir, un jour, le Suisse à la tête de son équipe nationale ? “On me l’a proposé plusieurs fois, mais j’ai toujours refusé“, avoue-t-il. “Je ne veux pas que l’on me croie sensible aux conflits d’intérêts. Les gens me connaissent et savent que je n’aurais jamais fait de distinction vis-à-vis de mon fils, mais il est proche de certains cavaliers, et un peu moins d’autres… J’aurais peur que l’on remette mes choix en cause à chaque sélection. Mais qui sait, peut-être que je serai à la tête de la Suisse pour les Jeux de Paris 2024 ?“ C’est tout le mal que l’on peut souhaiter à ce grand homme de soixante-sept ans.

Ce portrait est paru dans le magazine GRANDPRIX heroes n°115, en décembre 2019.