“Profiter de cette année pour être encore plus au point pour Tokyo”, Christopher Six
Passé à un cheveu d’une médaille aux derniers championnats d’Europe Longines de Luhmühlen, Christopher Six, quatrième avec son fidèle Totem de Brécey, était naturellement en lice pour une sélection aux Jeux olympiques de Tokyo, initialement prévus cet été. Le report de l’échéance à 2021 ne décourage pas le Francilien, qui envisage la situation avec philosophie et poursuit son travail avec abnégation, malgré l’annulation de bon nombre de compétitions. Confiné dans ses installations du haras de la Cendrinière, à quelques minutes de Rambouillet dans les Yvelines, le trentenaire garde les yeux rivés sur son objectif.
Comment vivez-vous le confinement, amené à durer au moins jusqu’au 11 mai en France?
C’est long! Cela commence à me peser un petit peu même si nous avons des conditions idéales. Vivant sur place, j’ai mes chevaux à trente mètres de la maison. Il y a pire, mais c’est vrai que j’ai envie de retrouver les concours et de pouvoir mettre en application tout ce que nous avons travaillé cet hiver.
Quel est le programme de travail de vos chevaux? Dans quelle mesure l’avez-vous modifié en raison des conditions actuelles?
Mes chevaux travaillent un peu moins qu’en période de concours mais ils sont tous restés actifs. Ils travaillent cinq jours par semaine et font un peu de tout: saut, dressage, sorties en extérieur. J’ai la chance que mes installations soient voisines d’une propriété privée où nous pouvons aller les balader un petit peu. Ce n’est pas immense, mais cela permet de leur faire faire de l’exercice autrement que dans la carrière. Ils sont en activité et près à pouvoir ressortir! Je ne me voyais pas les arrêter car je voulais qu’ils continuent à prendre de la technique, surtout les jeunes. J’ai juste remis au pré un cheval de quatre ans.
Comment appréhendez-vous la progression de ces jeunes montures, aujourd’hui privées de concours, lesquels leur permettent normalement de s’aguerrir?
Cela m’inquiète, d’autant que j’ai des chevaux de cinq ans qui n’ont pas couru à quatre ans. Je ne leur en demande pas trop à cet âge-là: après deux ou trois concours, j’aime bien les remettre un peu au pré. Comme ils ne prennent donc pas beaucoup d’expérience à quatre ans, je compte toujours sur la saison de cinq ans pour les faire concourir davantage et de façon plus régulière. Là, ces chevaux vont très peu s’aguerrir cette année, voire pas du tout. Je devrai sûrement procéder un peu autrement, peut-être me rendre sur des terrains de cross quand nous serons à nouveau libres de nos mouvements, afin de les mettre un peu plus en conditions de concours. Même si l’on ne rattrape jamais le temps perdu, je vais essayer de leur donner un peu d’expérience d’une autre manière.
Les capacités cardio-vasculaires sont primordiales pour les chevaux de complet, notamment pour le test de fond. Comment les entretenez-vous en ce moment?
C’est dur car je ne peux pas les faire galoper. Je les emmène faire de petits trottings en extérieur mais ce n’est pas vraiment du cardio. Dès que possible, il est clair que je devrais reprendre le travail de fond. Entre le moment où nous pourrons à nouveau déplacer les chevaux et le retour des concours, il y aura quand même un laps de temps. Je me rendrai alors sur une piste qui se trouve à dix minutes de la maison afin de les remettre en condition.
Comment se porte Totem de Brécey (SF, Mylord Carthago x Quouglof Rouge), votre cheval de tête, quatrième des championnats d’Europe Longines de Luhmühlen et sixième du Grand National de Saumur le 6 mars, avant le confinement?
Il se porte très bien, il est très en forme. Au retour de Saumur, je lui ai laissé une petite pause, puis nous avons repris le travail. Physiquement, il est super, très souple. Il a très bien couru à Saumur, ce qui était plutôt de bon augure pour la suite de la saison… Le principal est qu’il aille bien, ce qui est le cas, donc c’est parfait!
“Mes haies n’ont jamais été taillées aussi tôt dans l’année!”
Avant-hier, vous avez évoqué sur Instagram un système vous permettant d’être coaché à distance. En quoi cela consiste-t-il?
Il s’agit d’un partenariat établi entre Isabelle Méranger (fondatrice d’Equivisio, la société à l’origine d’un système de cours à distance, ndlr) et la Fédération française d’équitation. Michel (Asseray, directeur technique nationale adjoint en charge du concours complet, ndlr) m’a appelé pour savoir si avoir une caméra m’intéressait. J’ai bien sûr répondu favorablement. Cela me permet de continuer à évoluer techniquement. Je vais commencer à utiliser le dispositif demain (entretien réalisé le 23 avril, ndlr) avec Serge Cornut. Il me verra à cheval et moi j’aurai un casque afin qu’il puisse m’orienter en direct, me conseiller des exercices ou me corriger. Je pense que cela peut être un excellent outil pour continuer à travailler, même après le confinement. On ne peut pas toujours parcourir deux ou trois cents kilomètres pour prendre un cours. Ce peut être un vrai outil de travail, au quotidien, dans sa structure, surtout qu’on monte souvent tout seul, en dehors des stages fédéraux.
Comment avez-vous vécu le report d’un an des Jeux olympiques de Tokyo?
Je m’en doutais un peu vu la tournure des événements mais cette annonce m’a démotivé pendant quelques jours. Il fallait digérer la nouvelle. Ensuite, je me suis dit que Totem était encore jeune, qu’il n’aurait que quatorze ans en 2021. De plus, il n’a pas énormément couru donc il pourra tout à fait prétendre à une sélection l’an prochain. À moi de profiter de cette année supplémentaire pour être encore plus au point techniquement. C’est sûr que les JO étaient l’objectif de l’année, auquel je pensais depuis les championnats d’Europe. Tout l’hiver, je n’avais que cela en tête, j’y pensais tous les jours. Alors quand on nous a dit: “Non, c’est fini pour cette année”, cela nous a forcément mis un petit coup derrière la tête. Pour autant, il faut aussi savoir relativiser.
Quid de vos propriétaires?
Ils étaient un petit peu déçus aussi, mais ils ont tout de suite eu plus de recul que moi. Ils m’ont remotivé et dit que nous attendrions une année de plus pour essayer de participer à ces JO.
Vous exercez habituellement une activité d’entraîneur et de coach. Sans vos élèves, à quoi ressemblent vos journées?
Je ne donne plus du tout de cours, les propriétaires ne viennent plus. Maintenant, les chevaux sont restés au travail donc nous avons toujours de l’occupation. Nos journées sont bien remplies. Et en plus du travail des chevaux, nous faisons ce que nous n’avons pas trop le temps de faire d’habitude. Par exemple, mes haies n’ont jamais été taillées aussi tôt dans l’année (rires)! Nous en profitons aussi pour effectuer quelques améliorations: donner un coup de peinture sur les portes et volets des boxes, faire couler un peu de béton là où c’est nécessaire… Nous nous occupons autrement, et les journées ne sont pas moins longues.
Comment appréhendez-vous la crise économique qui découlera de cette situation?
Je suis forcément moins touché que les poney-clubs et centres équestres, dont l’activité est complètement gelée. Je m’attends à une baisse de recettes en termes de coaching en concours, de gains et de ventes de chevaux, mais elle sera négligeable par rapport à celle des centres équestres qui sont fermés depuis plusieurs semaines et qui n’ont aucune rentrée d’argent. Je ne suis vraiment pas dans le pire des cas.