“Mon père est la personne la plus influente dans ma vie”, Steve Guerdat

Sacré champion olympique en 2012 à Londres avec Nino des Buissonnets, puis entré dans le club très fermés des triples vainqueurs de la finale de la Coupe du monde Longines, Steve Guerdat ne pourra pas garnir son palmarès d’une nouvelle médaille cette année, la finale du circuit indoor ayant été annulée et les Jeux olympiques de Tokyo reportés à 2021. Pour autant, dans les écuries de très haut niveau, la vie continue. Comme ses collègues, le Suisse continue à monter ses chevaux. La pandémie a aussi eu des conséquences plus personnelles pour le champion helvète, qui a dû reporter son mariage avec sa compagne, la Française Fanny Skalli, initialement prévu le mois prochain. Positif face à cette crise inédite, Steve Guerdat revient sur sa vie et évoque quelques grands souvenirs.



Quel regard portez-vous sur la situation actuelle?

Personne ne parle des millions d’enfants dans le monde qui n’ont pas accès à l’eau potable et qui meurent de faim chaque jour. Nous ne pensons qu’à la façon dont nous allons rendre aux concours, payer notre Mercedes, acheter notre nouvelle voiture, notre nouveau camion, notre nouveau cheval. Les pauvres sont confrontés à une crise chaque jour de leur vie. Dans les pays riches, nous devons maintenant faire face à ce problème, mais il n’y a aucune raison d’avoir peur. C’est une expérience, et pour une fois, nous sommes tous logés à la même enseigne. Nous devons donc nous tourner vers l’avenir et peut-être songer à faire les choses différemment – mais il y aura un moyen de s’en sortir.

En raison du coronavirus, les Jeux olympiques de Tokyo ont été reportés à l’été 2021. Comment avez-vous accueilli cette décision?

Cela change les choses, c’est sûr. Ce sera un an plus tard et on ne sait pas ce qui se passera d’ici là. Les chevaux auront un an de plus. Certains qui auraient été trop jeunes cette année et seront prêts l’an prochain. C’est différent de tout ce que nous avons connu jusqu’à présent, mais l’essence même du sport n’est-elle pas d’être capable de s’adapter à de nombreuses situations et d’en tirer le meilleur parti? Nous ne pouvons rien y faire, et reporter l’échéance était la bonne décision. Nous allons donc faire avec et repartir de l’avant d’une manière ou d’une autre.

Vous concourez au haut niveau depuis plus de quinze ans. Qui a eu la plus grande influence dans votre vie?

Mon père (Philippe Guerdat, ancien cavalier olympique et sélectionneur des équipes d’Espagne, de Russie, d’Ukraine, de Belgique et de France, qui officie désormais pour le Brésil, ndlr). Il ne s’est jamais mis en avant, il m’a toujours laissé libre de faire ce que je voulais. C’est pourquoi je le respecte énormément. Sur le plan du sport, il est la personne la plus influente pour moi depuis le premier jour. Et bien sûr, ces dernières années, Thomas Fuchs a également eu une grande influence sur ma carrière.

Quand vous étiez enfant, qui étaient vos héros?

Michael Jordan (la star du basket-ball américain, qui a fait plusieurs retours mémorables au cours de son extraordinaire carrière, ndlr). J’ai toujours été un fanatique de sport, et son histoire est une source d’inspiration. Normalement, une superstar est vraiment bonne sur une courte période, mais avec lui, nous n’avons jamais été déçus. C’était comme une leçon de vie et de sport, sur le fait de ne pas abandonner. Quand j’étais enfant, c’était quelqu’un dont j’étais fou!

Et en tant que cavalier, qui admiriez-vous?

Mon héros a toujours été John Whitaker. Je l’aime bien pour les mêmes raisons. Avec John, tout est facile. Je pense qu’il ne saurait même pas analyser ce qu’il accomplit parce qu’il fait tout si naturellement. Les chevaux lui répondent et c’est normal pour lui de monter et de gagner de façon très instinctive avec une attitude tout à fait naturelle. C’est ce qui m’inspire en tant que cavalier.

Vous-même êtes considéré comme un héros par nombre de cavaliers. Comment vivez-vous cela?

Je ne me sens vraiment pas comme ça, je ne me vois pas vraiment bien. J’ai confiance en ce que je fais, mais j’ai encore souvent l’impression d’être si mauvais, de faire tant d’erreurs, de faire tant de choses que j’aimerais faire beaucoup mieux. Je ne pense même pas à ça, à être un héros ou quelqu’un qui inspire les autres cavaliers…

Vous êtes très attaché aux membres de votre équipe qui travaillent quotidiennement avec vous. Sur qui pouvez-vous comptez aujourd’hui?

J’ai à mes côtés Heidi (Oliveira, ndlr) et Emma (Uusi-Simola, ndlr), mes grooms de longue date, et Anthony (Bourquard, ndlr), mon cavalier. Nous sommes dix à la maison et ils sont très importants pour moi. Ma famille, de mes parents à mes cousins, et moi avons aussi une relation étroite avec mes propriétaires. Il y a aussi le maréchal-ferrant et le vétérinaire – il y a tellement de gens. Ils ne se contentent pas de travailler avec moi et de me soutenir, ils sont aussi mes amis. Et bien sûr, depuis quelques années maintenant, j’ai ma compagne, qui sera bientôt ma femme (Fanny Skalli, ndlr). J’ai beaucoup de chance d’être là où je me trouve et d’avoir tant de gens formidables autour de moi.



“Tepic La Silla avait absolument tout. Pour moi, c’était le meilleur”

Pourquoi aimez-vous tant côtoyer les chevaux?

Parce qu’ils donnent beaucoup et ne demandent rien en retour. Nous essayons de leur donner le maximum, mais ils ne le demandent pas! Ils sont extrêmement loyaux et ne vous trompent jamais.

Lequel de tous les chevaux que vous avez montés vous a-t-il le plus marqué?

Jalisca (Solier, ndlr). Fondamentalement, c’est la jument qui m’a le plus marqué. Je ne veux pas dire qu’elle m’a sauvé – je montais et j’étais en bonne santé – mais j’étais dans un trou complet dans ma carrière sportive quand cette jument m’a mis sous le feu des projecteurs, en gagnant la finale du Top Ten Rolex IJRC à Genève (en décembre 2010, ndlr). Elle se donnait tout le temps 200% pour moi. C’était le cheval le plus gentil qu’on puisse imaginer. Elle se battait toujours pour moi. C’était la meilleure.

Au contraire, y a-t-il un cheval avec lequel vous ne vous êtes jamais entendu?

Je mentirais si je disais que je n’ai jamais été frustré par un cheval. Mais en vérité, dès que je suis contrarié, je me dis que c’est moi qui suis à blâmer, pour avoir eu de trop grands espoirs pour ce cheval, ou pour ne pas l’avoir éduqué de la bonne manière. Finalement, si cela ne marche pas avec un cheval, c’est uniquement notre faute, le résultat d’une mauvaise équitation, d’un mauvais achat et d’attentes erronées envers le cheval. En tout cas, ce n’est pas sa faute: nous sommes tous nés avec certaines qualités et des limites à nos capacités.

Si vous pouviez choisir n’importe quel cheval, lequel rêveriez-vous de monter? 

Je n’ai pas besoin de rêver, parce que j’ai déjà monté le meilleur cheval de l’histoire du saut d’obstacles: Tepic La Silla! Je ne l’ai monté que pendant trois ou quatre mois et j’ai remporté ma première médaille (le bronze par équipes, ndlr) aux championnats d’Europe de Donaueschingen et quelques Grands Prix avec lui, en 2003. C’était un cheval d’Alfonso Romo et j’aurais aimé l’avoir plus longtemps, mais je me sens privilégié d’avoir pu le monter. Il était incroyable, il avait absolument tout. Pour moi, il était le meilleur!

Quel cheval vous a donné le plus ?

(Il rit). Nino (des Buissonnets, avec lequel il a décroché l’or olympique à Londres en 2012, ndlr), et il se tient juste devant moi! Ce qui était bien avec lui, c’est que lorsque je voulais être sans faute, je l’étais 95% du temps. Nous avons aussi eu quelques mauvais tours, mais à partir du moment où je l’ai vraiment compris, nous avons commis très peu de fautes.

Dans le sport, qui sont vos plus grands amis?

Je n’en ai pas beaucoup, mais ceux que j’ai me sont très chers. Il y Alain Jufer, qui était dans l’équipe à Calgary quand nous avons gagné la Coupe des nations (en 2016, première victoire suisse de l’histoire de cette épreuve, ndlr). Nous avons grandi ensemble et nous commencé l’équitation en même temps quand nous étions enfants. Je suis aussi proche de Grégory Wathelet, depuis quinze ou vingt ans maintenant, de même que Daniel Etter. Je pourrais aussi mentionner Éric Lamaze. Ce sont mes amis les plus proches. Je ne peux pas dire pourquoi parce que ce sont tous des gens très différents qui sont entrés dans ma vie à des moments différents. Je sais que je peux compter sur eux, et eux savent que c’est réciproque.

Au cours de votre carrière, vous est-il arrivé de vous retrouver dans une situation saugrenue ?

Peut-être lors du premier concours auquel j’ai participé lorsque je travaillais pour Jan Tops (marchand et fondateur du Longines Global Champions Tour, ndlr). Je devais aller dans un endroit qui s’appelait Heikant. J’ai conduit le camion pendant trois heures, avec mon groom et huit chevaux. Une fois sur place, nous n’arrivions pas à trouver le concours. À l’époque, nous n’avions pas de GPS et nous avons roulé encore longtemps avant que je ne réalise que je nous avais emmenés à Heikant en Belgique… alors que le concours était à Heikant aux Pays-Bas! Heureusement, ce n’était pas trop loin et nous sommes finalement arrivés au bon concours quelques heures plus tard.