Les chevaux sont-ils capables de nous reconnaître sur des photos?

Chercheuse à l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), Léa Lansade travaille depuis sept ans sur l’intelligence sociale des chevaux. Après avoir mené une étude sur l’aptitude des chevaux à reconnaitre des émotions humaines, la chercheuse s’est penchée sur leur capacité à reconnaitre des humains à partir de photos diffusées sur des tablettes tactiles. Pour cette dernière, mieux comprendre ce que ressentent et comprennent les équidés et une clef de lecture supplémentaire pour mieux assurer leur bien-être.



Onze poneys ont participé à un test de reconnaissance faciale pour tenter de répondre à cette question: les équidés sont-ils capables de nous reconnaitre sur des photos? "En interrogeant plusieurs personnes, on nous disait que les chevaux étaient capables de nous reconnaître à partir de notre silhouette, de notre comportement ou de notre voix, mais nous voulions savoir s’ils pouvaient reconnaître simplement notre visage", introduit, Léa Lansade, chercheuse à l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) et co-auteure de cette étude avec Miléna Trosch, doctorante de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).

Avant de passer au véritable test de reconnaissance faciale à partir de photos sur une tablette tactile, cette étude a nécessité une longue préparation. En effet, si aujourd’hui l’Homme est familiarisé dès le plus jeune âge aux images en deux dimensions et aux nouvelles technologies, ce n’est pas le cas des chevaux. "Tous les jours pendant un an, nous les avons habitués à jouer sur des tablettes avant de commencer l’étude. Pour ce faire, ils devaient réaliser des petits exercices : reconnaitre des formes par exemple. Quand ils y parvenaient, ils avaient une récompense. Cela a pris du temps. Rapidement, ils ont bien voulu aller toucher l’écran parce qu’ils étaient curieux, mais ils n’étaient pas suffisamment concentrés. Au bout de trois ou quatre essais, ils regardaient ailleurs. Or, pour réaliser convenablement l’étude, ils devaient être vraiment concentrés, donc il fallait passer par un apprentissage. Au début, ils étaient comme des élèves de maternelle et à la fin comme des lycéens en terminale, très concentrés. Nous avons alors pu leur faire faire des choses vraiment compliquées", détaille la chercheuse.

Une fois cette phase préparatoire terminée, l’expérience a pu commencer. Dans un box, chacun des onze poneys se trouvait seul devant un écran tactile affichant deux photos. Le sujet devait alors poser son nez sur le visage qui lui était le plus familier. "L’étude s’est déroulée en trois phases. Dans la première, le poney devait choisir entre un visage complètement inconnu qu’il ne verra qu’une fois dans sa vie et un des quatre visages récurrents. Au bout d’une semaine, ils ont appris à reconnaître le visage qui revenait tout le temps", explique Léa Lansade. Durant cette phase, aucun des deux visages n’appartenait à une personne que le sujet connaissait. L’objectif était simplement de lui apprendre à reconnaître les visages qui revenaient régulièrement. Dans la deuxième phase, sans qu’il n’y ait de récompense à la clef, l’équipe proposait aux poneys des visages de personnes qu’ils côtoyaient, comme leur soigneur actuel, par exemple. "Spontanément, sans phase d’apprentissage, ils les ont reconnus! Ils les ont touchés tout de suite"s’enthousiasme la chercheuse. Dans une troisième phase, la focale s’est déplacée sur la mémoire des équidés. "À l’INRAE, nous avons des étudiants qui viennent travailler régulièrement. Nous leur avons demandé des photos d’eux et nous avons présenté aux poneys des visages d’étudiants qu’ils avaient croisés six mois auparavant dans les écuries. Sans aucune difficulté, ils les ont reconnus tout de suite", détaille Léa Lansade avant de poursuivre: "Nous étions vraiment bluffés car c’était loin d’être gagné. Tout d’abord, nous leur proposions des images en deux dimensions, ce qui ne ressemble pas à la réalité. Ensuite, nous étions vraiment surpris de les voir se souvenir et reconnaître des gens qu’ils avaient seulement croisés! Ils reconnaissent des humains. C’est un peu comme si nous reconnaissions le portrait d’un animal que nous aurions croisée il y a six mois. Ce n’est pas la même espèce, il ne faut pas l’oublier."

Cette étude et ses résultats s’inscrivent dans un champ de recherche plus large autour de la cognition chez les animaux et plus spécifiquement des chevaux, en ce qui concerne Léa Lansade. L’été dernier, ses travaux ont également permis de prouver que les équidés étaient capables reconnaître des émotions humaines telles que la joie et la colère. "Quand ils sont face à une personne en colère, juste avec la voix, ils ressentent des émotions très négatives et notamment de la peur. De même, juste un petit cri de joie provoque une émotion très positive. Il y a une contagion émotionnelle entre eux et nous. Cela montre qu’ils ont co-évolué depuis six mille ans avec nous. Ils ont appris à nous connaître, à nous décoder, à nous reconnaître individuellement, etc. Je travaille également sur d’autres thématiques, notamment sur le bien-être des chevaux. Pour travailler sur ce sujet, sur leur condition de vie, je pense que ne pas savoir ce qu’ils pensent et ressentent, et comment ils nous comprennent est un manque. Je me suis dit qu’il fallait absolument creuser ces aspects-là."

On a déjà hâte de découvrir les résultats de ses prochaines études.