L’annulation des prochains championnats d’Europe fait débat

À l’été 2021, Budapest, capitale de la Hongrie, devait accueillir du 23 août au 5 septembre, les championnats d’Europe de saut d’obstacles, dressage, para-dressage, attelage et voltige, tandis que le Haras du Pin, dans l’Orne, aurait reçu les complétistes du 11 au 15 août. Mais le couperet est tombé le 8 mai dernier : la FEI a décidé de les annuler (sauf l’attelage et la voltige). La raison ? La proximité avec les Jeux olympiques et paralympiques, respectivement programmés du 23 juillet au 4 août et du 24 août au 6 septembre, et la nécessité de faire preuve d’équité, toutes les nations n’ayant pas la possibilité d’envoyer deux équipes lors d’échéances majeures et internationales si rapprochées. Dans le milieu du jumping, cette annonce a globalement fait l’effet d’une bombe. GRANDPRIX a recueilli les témoignages sur la question de plusieurs figures majeures du milieu, dont trois champions d’Europe.



Philippe Rozier (FRA), champion olympique par équipes

“C’est tellement dommage ! Les Jeux olympiques ont certes été reportés d’un an, mais nous ne sommes même pas certains qu’ils auront lieu. Ce qui signifie que la conséquence de cette décision, c’est le risque de n’avoir aucune échéance majeure l’été prochain. Comme cela arrive souvent, nous les cavaliers n’avons pas été concertés. Les Jeux olympiques font se déplacer la planète entière, mais les championnats d’Europe, c’est plus modeste, les risques sont moindres, peu de transports seront nécessaires, on reste dans l’espace Schengen… Les risques sont maîtrisés. Les championnats d’Europe sont un peu le bébé de la FEI, elle se doit de les considérer un peu plus ! 

Et puis, je pense que courir les deux échéances le même été n’est pas excessif, en termes d’effort sportif, les championnats d’Europe ne demandent pas particulièrement plus qu’un CSIO, et puis les Jeux olympiques ne concernent que trois couples par nation… Qu’en est-il de tous les autres ? Sans parler du fait que ces championnats d’Europe étaient clairement le terrain de préparation pour les championnats du monde de l’année suivante. Je trouve cette décision trop soudaine, radicale, peut-être aurait-il été possible de modifier les dates ou le lieu. À ce stade, il était encore largement temps de réfléchir à un plan B”.

 

Thierry Pomel, sélectionneur de l’équipe de France 

“Voilà encore une décision bien aléatoire de la FEI, qui décidément ferait mieux d’affirmer de vrais choix et de s’occuper de sport que de perdre du temps en politique - cela me fait penser à la question des protège-boulets, qui finalement ne sont pas totalement interdits, mais plus vraiment permis, c’est flou et dans le fond rien n’a changé ! Cette décision me semble avoir été prise trop hâtivement. Pour ma part, ces championnats d’Europe correspondent à un réel besoin. C’était l’occasion de préparer, tester, lancer des couples en vue des championnats du monde en 2022 et des Jeux olympiques de Paris en 2024. Et puis, seules dix nations sont qualifiées pour les Jeux olympiques, alors que dix-huit sont présentes aux championnats d’Europe, donc près de la moitié vont se retrouver sans aucune échéance importante durant deux ans ! Aussi, de nombreuses nations fortes ont largement de quoi envoyer deux équipes, une à Budapest et une à Tokyo. Enfin, le risque que les Jeux olympiques de Tokyo n’aient pas lieu est grand, puisque le Japon a bien stipulé que rien n'aurait lieu si le vaccin n’était pas mis en circulation, ce qui à ce jour n’est en rien garanti. Cavaliers, propriétaires, comment peuvent-il rester motivés s’ils n’ont aucune perspective sportive pendant deux ans ? Si la FEI n’a pas conscience de cela, c’est qu’on ne parle pas de sport”.



Roger-Yves Bost (FRA), champion olympique par équipes 

“Je me doute que les Championnats d’Europe ont été annulés parce que la FEI a privilégié les Jeux olympiques, et que les deux échéances allaient avoir lieu à la même période. Bien sûr que je suis déçu, mais de toute façon, courir les deux aurait à mon sens été impossible ! J’avoue n’être qu’à moitié surpris de cette décision…”

 

Jos Verlooy (BEL), champion d’europe par équipes et vice-champion d’Europe individuel

“On peut voir les choses de deux façons. D’un côté, avoir au même moment les Jeux olympiques et les championnats d’Europe, ce n’est pas bon pour le sport car les meilleurs iront aux Jeux olympiques. Or, il faut maintenir absolument le niveau d’excellence des championnats d’Europe, car ce sont les meilleurs qui sont également attendus sur les trois premières marches du podium ! De l’autre, si les Jeux olympiques n’ont pas lieu, et ce risque est réel, on va être nombreux à se retrouver sans échéance majeure pendant deux ans. Je pense que, peut-être, cette décision est un peu rapide et précoce”.

 

Kevin Staut (FRA), champion olympique par équipes et président du Club International des Cavaliers de saut d’obstacles (IJRC)

“À titre personnel, je regrette vraiment que les championnats d’Europe aient été annulés. Cette décision a été très rapide, elle a été validée au sein du comité de saut d’obstacles de la FEI en une réunion, le Club des cavaliers n’a pas été consulté, de même que les fédérations nationales. Avec les autres membres du Club des cavaliers, nous avons rédigé une lettre à l’attention de la FEI, expliquant que nous cavaliers, mais aussi les propriétaires, trouvions dommage qu’avec une date aussi lointaine, une recherche d’une solution alternative n’ait pas été menée : en effet, on pourrait envisager de modifier les dates, ou le lieu d’organisation, ou encore, on pourrait séparer les disciplines, afin que la charge organisationnelle soit moindre. Le Club des cavaliers a spécifiquement pris position pour le jumping, en avançant les arguments suivants, à savoir que les Jeux olympiques ne sont ouverts qu’à trois couples par nation, or, de nombreux autres couples ont le potentiel de courir un championnat de ce niveau, et que des nations comme l’Italie ou l’Espagne, n’étant pas présentes aux Jeux olympiques, doivent avoir un objectif en 2021, pour leurs cavaliers, leurs propriétaires, leur filière d’élevage. Clairement, nous estimons avoir besoin de ces championnats d’Europe pour nous situer sportivement et motiver les gens qui soutiennent notre discipline à haut niveau. De nombreux propriétaires seraient honorés de voir leurs chevaux courir les championnats d’Europe”.