“Lors d’une reconnaissance aux JO de Sydney, j’ai suivi Mark Todd dans l’espoir d’apprendre quelque chose de lui”, Ingrid Klimke
Double championne d’Europe en titre de concours complet, Ingrid Klimke est privée de concours depuis mi-mars, comme tous les autres grands cavaliers, partout dans le monde. En attendant la reprise des compétitions, l’Allemande de cinquante-deux ans fait travailler ses chevaux à la maison et profite de sa famille. Dans la première partie de ce long entretien, elle évoque son enfance, ses héros et quelques-uns des chevaux qui ont marqué sa carrière.
Pendant cet entretien, réalisé samedi soir, Ingrid Klimke préparait le dîner, ce qui n’a rien de surprenant, la star allemande étant une multitâche née. Aussi, jongler entre une interview et un repas du soir est un jeu d’enfant pour elle. Âgée de cinquante-deux ans, elle compte à son actif cinq participations aux Jeux olympiques, quatre Jeux équestres mondiaux et dix championnats d’Europe. Sa collection de médailles comprend deux médailles d’or olympiques par équipes, glanées en 2008 à Hong Kong et 2012 à Londres, une médaille d’argent olympique par équipe, obtenue en 2016 à Rio, deux médailles d’or par équipes et une médaille de bronze individuelle aux JEM, plus six médailles d’or européenne, Ingrid ayant conservé en 2019 à Luhmühlen le titre individuel qu’elle avait gagnée en 2017 à Strzegom avec SAP Hale Bob. Et sa première grande récompense internationale remonte déjà à 2005, avec le bronze individuel décroché aux Européens de Blenheim.
Ses prouesses en tant que cavalière de dressage ont été la clé de bon nombre de ses succès. En 2002 à Bois-le-Duc, elle avait d’ailleurs terminé septième de la finale de la Coupe du monde. Son palmarès est stupéfiant et sa carrière est encore loin d’être achevée. La preuve, cette année, elle était présélectionnée en concours complet et en dressage pour les Jeux olympiques de Tokyo, qui ont été reportés à l’été 2021. “Figurer sur les listes dans les deux disciplines, avec trois chevaux différent, était déjà un rêve devenu réalité! J’espère maintenant qu’ils resteront tous en bonne santé pour l’an prochain!”, dit-elle.
Qu’est-ce qui vous a incité à essayer de vous qualifier dans deux disciplines olympiques cette fois-ci?
J’ai vu Mark Todd (le maître néo-zélandais, récemment retraité, ndlr) concourir en saut d’obstacles et concours complet à Barcelone, alors en faire de même un jour en dressage et complet est l’un de mes rêves! Quant à mon père (le regretté maître allemand Reiner Klimke, ndlr), il a concouru aux JO de Rome en 1960 en complet, avant de se consacrer pleinement au dressage.
À part votre père, qui étaient vos héros?
J’ai vraiment admiré Lucinda Green et lu tous ses merveilleux livres. Elle était championne du monde et d’Europe lorsqu’elle a gagné ici à Luhmühlen (médaille d’or par équipes pour la Grande-Bretagne aux championnats du monde en 1982, ndlr). Ce jour-là, j’ai couru après elle pour voir le parcours de son parcours! Elle était si courageuse et ses chevaux lui donnaient tout. J’aime vraiment la façon dont elle parlait de ses chevaux ainsi que sa gentillesse. Elle était amusante, ouverte et avait une belle personnalité. Et Mark Todd a toujours été une légende. Lors de mes premiers Jeux olympiques, en 2000 à Sydney, ni moi ni mon cheval (Sleep Late, ndlr) n’avions jamais concouru au niveau 5* (ex-4*). Quand j’ai reconnu le parcours de cross-country pour la première fois, je me suis dit: “Oh mon Dieu!” J’ai alors suivi une reconnaissance de Mark dans l’espoir d’apprendre quelque chose de lui!
Être la fille de Reiner Klimke a-t-il mis une pression supplémentaire sur vos épaules?
Oui… Plus jeune, quand je faisais bien, les gens disaient: “Oh, pour une Klimke, c’est un résultat normal.” Et quand je commettaient une erreur, ils disaient: “Une Klimke devrait faire mieux que ça.” C’est pourquoi je dis à mes filles (Greta et Philippa, ndlr) de ne pas s’inquiéter, qu’elles ne peuvent tout bien faire pour les autres, et qu’elles ne le font pas pour eux, mais pour elles-mêmes parce que elles aiment le sport et le cheval.
“Mon père ne voulait pas que je devienne une cavalière professionnelle”
Vos filles sont-elles ambitieuses?
La plus âgée, Greta, a maintenant dix-huit ans. Elle évoluera en Jeunes Cavaliers l’an prochain et elle est très ambitieuse et déterminée. Quant à Philippa, elle a presque dix ans et elle aime jouer avec les chevaux, les monter à cru. Elle entre dans l’arène et s’en va en disant : “OK, j’ai fait un tour de dressage alors maintenant, au revoir Maman!” Elle s’amuse beaucoup et elle a un beau poney mais je ne sais pas encore ce qu’elle fera d’elle-même!
Qu’aimez-vous le plus dans le fait d’être près des chevaux?
Je me suis récemment lancée dans la formation d’un cheval de quatre ans. Un ami m’a demandé pourquoi je me remettais à cela, alors que je pourrais laisser les filles le faire! En fait, c’est justement cela qui me fait tant plaisir: voir comment les chevaux découvrent le monde, vous font confiance et se connectent à vous. Et l’autre partie que j’aime, c’est le horsemanship, monter à cru, avec une simple reine d’appui. J’ai alors l’impression de jouer à nouveau avec mes poneys!
Y a-t-il quelque chose que vous n’aimiez pas au sujet des chevaux?
Non, même si mon père ne voulait pas que je devienne une cavalière professionnelle quand j’étais jeune. Il pensait que devoir les vendre changerait mon attitude envers les chevaux. Il voulait que les chevaux soient mon passe-temps et il m’a fallu un certain temps pour le persuader que je pouvais trouver un autre moyen, mais je l’ai fait et j’adore ça. En fait, nous ne vendons pas de chevaux. Nous les gardons pour le sport, et je suis vraiment heureuse d’avoir de très bons sponsors et de pouvoir bien prendre soin d’eux. Asha (sa future star, lauréate notamment du CCIO 4*-S de Waregem en 2019, et désormais âgée de neuf ans, ndlr) aurait pu être vendue très cher, mais son propriétaire (Andres Lauber, ndlr) a dit que nous ne vendions pas les membres de sa famille!
Quel cheval avez-vous le plus aimé?
Pinot, mon premier cheval, un petit étalon Trakehner. J’ai disputé avec lui mes premières compétitions de dressage et de saut d’obstacles ainsi que mon premier concours complet. Je n’avais aucune idée de ce que je faisais, et lors de mon premier cross-country, je regardais tout autour de moi en pensant à quel point c’était merveilleux si bien j’avais fini avec presque deux minutes de retard sur le temps imparti! Il était petit, avait beaucoup de cœur et pas beaucoup d’envergure, mais c’était un grand maître d’école. C’est grâce à lui que je me suis décidée à concourir dans les trois disciplines.
Quel cheval avez-vous le moins aimé?
(elle hésite et ne le nomme pas) Il y avait un cheval qui n’était pas mon préféré mais je savais qu’il y avait quelque chose en lui qu’il ne me montrait pas. Je me suis dit: “Ingrid, tu es Reitmeister (titre honorifique remis aux meilleurs cavaliers et entraîneurs allemands par leur fédération nationale, ndlr) donc tu dois être capable de monter tous les chevaux, alors cherche d’autres voies avec lui!”
Nous avons finalement réussi et il m’a beaucoup appris sur les vertus de la patience. Plus tard, il a gagné mon cœur – mais entre nous c’était tout sauf un coup de foudre!
Quel est le meilleur cheval que vous ayez jamais monté?
Escada, ma jument qui faisait partie de l’équipe gagnante des Jeux équestres mondiaux de Normandie, en 2014. Elle avait toutes les qualités qu’on puisse imaginer. C’était une jument unique, respectueuse, puissante, avec une de belles allures, et elle pouvait sauter n’importe quel cross-country. Malheureusement, parce qu’elle se donnait toujours trop, nous n’avons pas pu la garder en parfaite santé. Hale Bob et elle ont grandi ensemble et Bobby était toujours numéro deux quand elle était au sommet de son art.
La seconde partie de cet entretien sera publiée demain.