“La façon dont les enfants et jeunes chevaux perçoivent le monde peut être très drôle!”, Ingrid Klimke

Double championne d’Europe en titre de concours complet, Ingrid Klimke est privée de concours depuis mi-mars, comme tous les autres grands cavaliers, partout dans le monde. En attendant la reprise des compétitions, l’Allemande de cinquante-deux ans fait travailler ses chevaux à la maison et profite de sa famille. Dans la seconde partie de ce long entretien, elle évoque notamment sa maîtrise des trois tests de la discipline, l’inoubliable Butts Abraxxas, ses proches, ses émotions, mais aussi la crise sanitaire actuelle.



Comment avez-vous appris à maîtriser trois disciplines difficiles?

J’ai réussi grâce aux opportunités que m’ont données mes parents de monter différents chevaux de dressage et de bons maîtres d’école. Et quand j’étais chez Ian Millar (maître du saut d’obstacles canadien, récemment retraité, ndlr), j’ai eu la chance d’appréhender la façon canadienne de pratiquer le saut d’obstacles. Pendant mon enfance, je suis régulièrement partie en vacances chez Fritz Ligges (médaillé d’or allemand aux Jeux olympiques de Munich, en 1972, ndlr), un ami proche de mon père qui concourait également en complet et saut d’obstacles. J’ai beaucoup sauté là-bas. Depuis ma jeunesse, j’ai donc eu la chance de pouvoir monter de merveilleux chevaux dans les trois disciplines.

Quelle est votre discipline préférée et pourquoi?

C’est le cross-country, où je me trouve vraiment compétitive. Le buzz qui retentit dans la boîte de départ est ce que j’aime le plus! Et en dressage, à haut niveau, j’adore les Reprises Libres en Musique. Mon père m’a toujours dit d’essayer d’avoir des aides invisibles pour que les spectateurs ne puissent pas voir ce que je fais et que mon cheval semble le faire tout seul… Quand j’obtiens cela, ce qui n’est pas trop souvent, alors moi aussi j’aime beaucoup le dressage! Cela dépend aussi du cheval. Dans une prochaine vie, j’aimerais peut-être devenir une star du saut d’obstacles!

Quels sont vos plus grands souvenirs de cross-country?

Aux Jeux olympiques de Sydney en 2000, le cross était si long (13’05’’, ndlr), avec un steeple, des routiers et des pistes, et il faisait tellement chaud. Je n’étais vraiment pas sûre d’être prête pour ça. Je suis partie à la toute fin alors que tant de couples avant moi avaient déjà chuté et que cela n’avait pas bien marché pour l’équipe allemande non plus. Quand je suis arrivé dans la boîte de dix minutes, j’ai entendu quelqu’un dire: “Je ne pense pas qu’Ingrid réussira”… J’ai dit à Blue (Sleep Late, ndlr) que nous devions réussir quelque chose que nous n’avions jamais accompli auparavant et que nous n’oublierions jamais. Je lui ai dit qu’il devait montrer qu’il était un Pur-sang et courir sans s’arrêter! Dans le deuxième gué, il fallait sauter sur une banquette puis il y a avait une redescente assez profonde suivie d’une brosse. Je me suis trop penchée en avant après la banquette. Blue a tout simplement sauté tout droit sans faire aucunement attention à moi et en essayant de tenir le coup. Il a galopé la dernière minute en montée et a gardé ce rythme incroyable, si bien que j’ai fini ce cross dans les temps, ce que je ne pouvais pas le croire!

Et puis il y a eu mon dernier cross avec Braxxi (Butts Abraxxas, double médaillé d’or olympique par équipes, en 2008 à Hong Kong et 2012 à Londres, ndlr). C’était en 2013 à Burghley, il avait seize ans et je ne pouvais pas croire à quel point les obstacles étaient énormes! Braxxi m’a alors tout donné. À deux reprises durant cette épreuve je me suis demandée si je devais m’arrêter, mais quand nous avons terminé, c’était tellement émouvant. J’ai dit à Braxxi que c’était notre dernière compétition ensemble parce que je ne voulais lui demander de tel efforts! Il a montré plus de qualités et de puissance qu’il n’en avait véritablement. J’ai alors décidé de le retirer, même si je ne l’avais pas prévu.



“Nous devons rester optimistes et être reconnaissants de ce que nous avons”

Où vit-il aujourd’hui sa retraite?

Greta avait onze ans à l’époque et Braxxi a été un grand maître d’école pour elle. Il a aujourd’hui vingt-trois ans et vit toujours dans mes écuries. Je l’avais envoyé dans une maison de retraite avec d’autres chevaux, mais il a décidé qu’il ne voulait pas rester là-bas et il n’a cessé de s’échapper. Il voulait être avec nous, alors je l’ai ramené et j’apprécie vraiment de le voir tous les jours avec les poneys. Il est toujours dans l’écurie numéro un, ce qu’il mérite!

Quelle est votre philosophie lorsque les choses tournent mal?

Relève-toi et cherche du positif même si tu ne le percevras pas toujours tout de suite. Ma relation avec Braxxi est un bon exemple. Comme ce n’était pas un bon sauteur, j’ai tout essayé avec lui mais j’ai finalement dû accepter qu’il y a des choses qu’on ne peut pas changer. Quand je l’ai réalisé, j’ai pu apprécier nos merveilleux tests de dressage et de cross-country même si je savais que je ne gagnerais jamais de médaille individuelle parce qu’il ne réussissait jamais de sans-faute à l’hippique. Pour autant, nous avons toujours bien servi l’équipe allemande.

Vos deux médailles d’or européennes glanées l’été dernier à Luhmühlen ont-elles eu une saveur particulière pour vous? 

Oui, j’étais tellement ravi pour Bobby (SAP Hale Bob, ndlr)! À Strzegom en 2017, la bataille avait été serrée entre Michael Jung et moi. Là, ce fut une fois encore très indécis. Bobby a réalisé un si beau parcours de cross, si facile pour lui! J’ai regardé ma montre et nous étions tellement en avance que nous aurions pu rentrer à la maison! Le lendemain, il a réussi un brillant parcours de saut d’obstacles. Aux Jeux équestres mondiaux de Tryon, en 2018, nous avions renversé le dernier obstacles de l’hippique et avions perdu la médaille d’or. Cette fois, nous avons montré que nous pouvions vraiment briller lorsque la pression était forte. Et puis c’est toujours plus spécial quand un cheval vieillit. Il a maintenant seize ans donc je sais que nous vivons nos dernières années ensemble et je le chéris encore plus.

Quelles ont été les personnes importantes dans votre vie?

Ma famille bien sûr! J’ai trois mères (deux plus sa vraie mère Ruth, ndlr). Il y a aussi Faith Berghuis (mécène canadienne, ndlr) qui m’a soutenue à travers d’excellents conseils et m’a donné la chance de travailler avec Ian Millar, ainsi que ma tante. Ce n’est pas ma vraie tante, mais elle possède une petite ferme derrière la maison de mes parents. J’y ai passé une grande partie de mon enfance à m’initier aux animaux, à la nature et l’agriculture. Après la mort de mon père (à l’âge de soixante-trois ans, en 1999, ndlr), son conseiller, ami et professeur quand il était jeune, l’ancien officier de cavalerie Paul Stecken, est devenu mon mentor. Il est décédé il y a à peine quatre ans à l’âge de cent ans. C’était un homme adorable. Et il y a mes amis bien sûr, dont certains qui n’ont rien à voir avec les chevaux mais qui étaient avec moi à l’école, ici à Münster. Nous avons beaucoup en commun. Et puis il y a mes amis culture qui m’emmènent à des événements culturels. Ainsi, toute ma vie ne tourne pas autour des chevaux!

Qu’est-ce qui vous fait rire?

Les enfants et les jeunes chevaux… La façon dont ils perçoivent le monde peut être très drôle!

Qu’est-ce qui vous fait pleurer?

Voir des réfugiés assis dans ces camps en Grèce et personne disposé à les accueillir. Savoir que des gens sont pauvres et naissent dans des situations désespérées, cela me rend très triste. Je suis membre de Plan International, une organisation qui œuvre pour améliorer les droits des enfants, et l’égalité pour les filles qui vivent dans la pauvreté. Nous devons les aider autant que possible. Il y a aussi les animaux. Quand je vois des rhinocéros ou autres beaux animaux abattus par des braconniers, cela me met en colère et me rend très triste.

Enfin, comment gérez-vous la vie pendant cette pandémie?

Si l’on écoute ou regarde les informations, il est très facile de perdre son attitude positive, car il y a tant d’incertitude. Pour autant, je me dis que je suis privilégiée, en bonne santé et que ma famille l’est aussi, alors nous devons rester patients. Nous ne savons pas quand arrivera la vaccin, mais d’ici là, nous devons rester optimistes et être reconnaissants de ce que nous avons.

 

La première partie de cet entretien a été publiée hier