“C'est un peu comme un hiver sans fin“, Gwendolen Fer (partie 1)
Contrairement à la plupart des grands cavaliers français de concours complet, Gwendolen Fer, victime d’une fracture de l’épaule début février, n’a même pas pu reprendre la compétition avant le confinement de la France, mi-mars. Depuis, l’écurie des Houarn - mot signifiant fer en breton, clin d’oeil aux origines de la championne - vit en vase clos avec son personnel et ses chevaux, en attendant le retour des propriétaires, puis le redémarrage des concours. Pour la jeune trentenaire, installée à Saint-Léon, à trente kilomètres au sud-est de Toulouse, en Haute-Garonne, cette période prolonge en quelque sorte la trêve hivernale habituelle de sa discipline. Face à une conjoncture incertaine et au report d’un an des Jeux olympiques de Tokyo, dont elle avait fait son objectif de l’année, la lauréate de l’édition 2017 du CCI 5*-L de Pau ne baisse pas les bras. Et à bien y regarder, la crise liée à la pandémie de Covid-19 ne peut que l’encourager à persévérer dans sa démarche respectueuse des chevaux, de l’environnement et du monde qui l’entoure.
Comment allez-vous et à quoi ressemble votre nouvelle vie au milieu d’une période de deux mois de confinement (entretien réalisé en partie pendant le confinement, ndlr) ?
Ça va, mon équipe et moi tenons le coup. Nous avons essayé de nous adapter au mieux à ces circonstances exceptionnelles. Sportivement, même si nous nous en doutions et si c’était nécessaire au regard de la situation mondiale et de l’absolue nécessité de protéger la santé d’un maximum de personnes, l’annonce du report d’un an des Jeux olympiques de Tokyo nous a mis un coup de massue. Depuis que c’est acté, nous tâchons de rebondir et de nous remobiliser. Le plus dur est de ne pas savoir quand nous pourrons enfin reprendre les concours. Contrairement à la plupart de mes collègues, je n’avais pas pu le faire avant le confinement, puisque je m’étais fracturé l’épaule début février en glissant bêtement avec un cheval lors d’un entraînement de cross à Pibrac (à cinquante kilomètres au nord-ouest de Saint-Léon, ndlr). Je n’ai pas eu besoin d’être opérée mais cela m’a privée de la première étape du Grand National, début mars à Saumur. N’ayant pu disputer qu’un petit concours de saut d’obstacles près de chez moi avec mes jeunes chevaux, j’ai l’impression que la période hivernale se prolonge. C’est un peu comme si nous traversions un hiver sans fin... D’un point de vue personnel, même s’il y a beaucoup à faire aux écuries, cette période me donne l’occasion de consacrer un peu plus de temps à autre chose que mon travail. Par exemple, je me suis mise à cuisiner, particulièrement des desserts, ce que je n’ai jamais le temps de faire d’habitude parce que je finis super tard avec les cours. Je ne suis pas encore prête à devenir chef pâtissier, mais cela me fait du bien!
Économiquement, dans quelle mesure votre écurie des Houarn est-elle impactée par la crise actuelle ?
Pour l’instant, nous tenons le coup grâce au paiement des pensions, ce dont ne peuvent malheureusement pas bénéficier les poney-clubs et centres équestres. Pour autant, entre l’annulation des cours, l’absence de coaching en compétition, la fermeture temporaire de notre section sport-études et l’impossibilité de vendre des chevaux, je perds un quart de mon chiffre d’affaires. J’ai demandé aux banques un report de mes mensualités de crédits, en espérant pouvoir l’obtenir dans les meilleures conditions. Pour le reste, nous, cavaliers de haut niveau, finançons aussi notre activité sportive grâce au soutien de partenaires, qui sont pour la plupart des entreprises dont l’activité est partiellement ou totalement à l’arrêt depuis mi-mars... J’ai pris des nouvelles de presque tous les miens ces dernières semaines. Ils m’envoient toujours des messages encourageants mais je comprendrais aisément que certains décident de réduire leurs budgets. J’en ai aussi profité pour mettre en relation la société paloise Sport’R (spécialisée dans le textile sportif, ndlr), qui fabrique des masques, avec d’autres partenaires qui cherchaient à s’en procurer ou en produire.
Comment avez-vous adapté le travail de Romantic Love (SF, L’Arc de Triomphe x Shercame, Ps) et Traumprinz (Trak, Elkadi II x Graciano), vos deux chevaux de tête ?
Tant que les Jeux restaient programmés en 2020, ils suivaient un programme intensif. Dès que le report à 2021 a été officialisé, j’ai allégé leur programme parce qu’on ne peut pas garder des chevaux indéfiniment au top de leur forme. Je leur ai donné quelques jours de repos puis les ai remis dans un cycle d’entretien physique, afin qu’ils ne perdent pas toute leur musculature. C’est comparable au travail hivernal, si ce n’est que nous profitons des conditions printanières pour les emmener en extérieur. Cela leur change les idées, notamment à Romantic qui se lasse rapidement du travail en carrière, tout comme moi, et le vallonnement leur permet de se dépenser un peu. Cela vaut plus ou moins pour tous mes chevaux, qui ne s’en portent pas plus mal! En dehors de l’absence de concours, leur vie n’a pas tant changé.
Quid de la trentaine de chevaux de propriétaires ?
C’est plus délicat pour eux. Ils ont des profils différents, entre ceux de la section sport-études, ceux qui évoluent en compétition, des niveaux Amateur 3 à CCI 4* (c’est le cas de Valkiri d’Arize, SF, Quat’Sous x Bayard d’Elle, partenaire de Marie Capot) et ceux qui sont montés en loisir. Bien que nous nous en occupions au mieux, qu’ils passent leurs journées au pré, que nous leur donnions des carottes et que nous les fassions travailler lorsque leurs propriétaires nous le demandent, ils ressentent forcément un manque affectif lié à l’absence de ceux-ci. Au moins, ils étaient déjà habitués à passer leurs journées au pré, ce qui est une chance pour nous.
Le report des JO vous inquiète-t-il quant à l’âge de Romantic Love, qui aura seize ans en 2021 ?
Non. Pour l’instant, il est en pleine forme et ne montre aucun signe de lassitude. De plus, il ne requiert pas beaucoup de travail et garde assez facilement sa musculature. De fait, il s’économise beaucoup donc il s’use peu, ce qui joue en notre faveur, et il ne devrait pas être trop sollicité en 2020! Donc je ne suis vraiment pas inquiète à ce sujet.
À Tokyo, les sélectionneurs devront composer des équipes de trois couples. Que pensez-vous de cette formule où tous les scores compteront ?
Même si, comme la très grande majorité des cavaliers, je n’approuve pas les choix de la Fédération équestre internationale, il faudra bien faire avec. Cela va encourager les sélectionneurs à miser sur les couples les plus fiables et les cavaliers qui sont vraiment prêts à jouer pleinement le jeu de l’équipe. La tactique jouera un rôle encore plus important qu’avant, et je crains que le spectacle ne soit quelque peu nivelé par le bas... Les équipes qui devront faire rentrer leur couple remplaçant seront fortement pénalisées, alors je ne serais pas surprise de voir sur le podium au moins une nation que l’on attend pas.
En France, la concurrence s’annonçait féroce cette année, et devrait sûrement l’être tout autant en 2021. Comment vivez-vous cela ?
Elle est rude, c’est clair, mais j’aurai mes chances. Je dois tout simplement continuer à travailler et prouver la valeur des couples que je forme avec mes chevaux. Le choix reviendra à Thierry (Touzaint, sélectionneur national de l’équipe de France, ndlr), mais je vais toute faire pour en être. D’une manière générale, la concurrence nous pousse à progresser dans tous les aspects de notre sport et à nous sublimer en piste.
Plus aucune femme n’a représenté la France en concours complet depuis Marie-Christine Duroy de Laurière, en 1996 à Atlanta. N’est-il pas temps de réparer cela ?
Si, ce serait bien ! Au-delà de l’aspect symbolique, j’admire la carrière et le palmarès de Marie-Christine. Et même si j’ai été la première femme française à gagner un CCI 5*-L (en 2017 à Pau avec Romantic Love, ndlr), elle demeure un exemple à suivre, notamment pour ses sélections en grands championnats. Ces trois dernières années, les femmes ont dominé notre sport plus que jamais. Pour s’en rendre compte, il suffit de constater que les Jeux équestres mondiaux de Tryon ont été dominés par la Britannique Rosalind Canter et que l’Allemande Ingrid Klimke a glané l’or lors des deux dernières éditions des Européens, à Strzegom et Luhmu¨hlen. En France, nous n’en sommes pas encore là, mais j’ai confiance en la jeune génération !
Pendant près d’un an, vous avez été privée de vos deux meilleurs chevaux. Que leur est-il arrivé ?
Traumprinz a souffert d’une tendinite assez classique à un antérieur qui s’est déclarée au CCI 4*-L de Bramham (en juin 2018, ndlr). Et Romantic a présenté une inflammation au niveau d’un boulet (décelée après le CCI 4*-S de Marnes-la-Coquette, en juillet 2018, ndlr). Nous avons pris tout le temps nécessaire pour les remettre sur pied, en gardant en tête nos objectifs. À partir du moment où nous ne pouvions plus prétendre aux JEM de Tryon (disputés en septembre 2018, ndlr), j’ai préféré me concentrer sur les Jeux olympiques que d’accélérer leur retour en vue des championnats d’Europe.
Comment les avez-vous remis sur pied ?
Pour “Prince“, nous nous sommes rendu compte avec notre vétérinaire que plus il passait de temps au pré, mieux il se sentait. Sa rééducation s’est fort bien passée ainsi, puis nous avons décidé d’appliquer le même protocole à Romantic. Comme cela leur convient, ils vivent désormais à plein temps au pré, sauf le court moment qui précède le travail, où on les rentre dans un box. Je pensais que ce serait compliqué pour “Prince“, qui est plus près du sang et anxieux, mais c’est finalement Romantic qui aime le plus retrouver son box. Depuis qu’il vit au pré, notamment l’hiver, “Prince“ est plus apaisé et disponible au travail. Et jusqu’à présent, revivre dans un box durant les week-ends de concours ne leur a jamais posé de problème. Je peux me permettre cela parce que mes chevaux disposent de bons prés, d’un hectare chacun, où nous avons fait aménager des abris. Cela reste le Sud de la France, mais ils ont de l’herbe en permanence. Désormais, tous nos pensionnaires passent au moins la journée dehors dans de grands paddocks. Et l’été dernier, nous les avons tous laissés dormir à la belle étoile, avec l’accord unanime de leurs propriétaires. De fait, si je devais repenser mon écurie, je ferais probablement construire un barn s’ouvrant sur des paddocks individuels. Cela nous ferait gagner pas mal de temps chaque jour puisqu’il nous faut bien trente minutes à trois pour sortir quarante-cinq chevaux le matin et à nouveau le soir pour les rentrer.
Avez-vous traversé des périodes de doute pendant la convalescence de vos deux cracks ?
Oui, j’avoue que cela n’a pas été une période facile. D’une part, ces deux blessures m’ont privée des JEM, qui étaient mon objectif de l’année 2018 et pour lesquels j’avais de vraies chances d’être sélectionnée. D’autre part, les chevaux de tête sont un peu comme les locomotives d’une écurie, alors quand ils se retrouvent indisponibles, leur cavalier se pose forcément plein de questions sur son travail. J’ai heureusement la chance d’être très bien entourée, ce qui m’a aidée à traverser cette période.
Quel regard portez-vous sur votre saison 2019 ?
Ce fut une année de transition avec le retour progressif de ces deux chevaux et l’arrivée de nouveaux jeunes prometteurs, mais pas encore prêts à performer à haut niveau. Du coup, je ne me suis pas vraiment mise en lumière durant les deux tiers de la saison. Quand j’ai relancé “Prince“ et Romantic dans le grand bain, les bons résultats sont tout de suite revenus : le premier a gagné le CCI 3*-S du Pin-au-Haras avant de se classer deuxième du CCI 4*-S de Lignières, et le second, après une petite incompréhension au Pin, a fini deuxième du CCI 3*-L de Lignières et a remporté le CCI 4*-L de Pratoni del Vivaro. J’appréhendais un peu ce dernier rendez-vous, parce que Romantic n’avait que quelques mois de travail derrière lui, mais nous avons obtenu l’aval de Xavier Goupil (vétérinaire fédéral, ndlr) et de mon vétérinaire traitant, et tout s’est bien passé. Il s’est même promené lors du cross, où nous n’avons concédé que trois secondes de pénalité de temps sur un parcours vallonné. Cette saison s’est donc très bien terminée.
À quoi avez-vous occupé votre trêve hivernale ? Avez-vous pu profiter de vacances ?
Maxime (Châtaignier, son compagnon, ancien patineur olympique de vitesse sur piste courte, reconverti avec succès dans la préparation mentale, ndlr) et moi sommes partis en vacances début décembre, ce qui ne m’était plus arrivé depuis sept ou huit ans. Notre entourage nous y a un peu contraints, et à la dernière minute, nous nous sommes envolés pour Agadir, au Maroc. Cela nous a fait du bien, et je crois que nous y avons pris goût. Ensuite, j’ai animé pas mal de stages partout en France. Après les fêtes et avant ma fracture, j’ai participé au premier stage fédéral à Saumur, ce qui m’a permis de retrouver des cavaliers que j’aime bien mais aussi d’en découvrir d’autres, comme Gireg Le Coz, que je connaissais un peu moins.
Vous avez également bien terminé la saison 2019 avec Arpège de Blaignac (SF, Santander H x Duc du Mûrier), troisième du CCI 4*-S de Pratoni. Quels seront vos objectifs avec lui cette année ?
J’aime beaucoup ce cheval, qui avait débuté sa carrière sous la selle de Romain Ferré, avec lequel j’entretiens de très bonnes relations. Je l’ai récupéré en juin 2018. Nous avons dû faire connaissance et j’ai avancé très progressivement car il avait besoin de prendre de l’expérience. Il saute très, très bien et prend de plus en plus goût au cross, mais il demeure raide quand il s’agit de travailler sur le plat. Je ne sais pas si je pourrai atteindre les mêmes notes au dressage qu’avec Romantic ou “Prince“, mais j’y travaille, notamment avec l’aide de Serge Cornut (entraîneur national adjoint au dressage, ndlr). Cette année, l’objectif était de lui faire courir son premier CCI 4*-L à Saumur. Celui-ci ayant été annulé, nous étudierons les possibilités à la reprise des concours. Quoi qu’il en soit, il plaît beaucoup et on me le demande souvent… Je pense notamment à Andrew Nicholson, qui m’en a dit beaucoup de bien à Lignières.
Que diriez-vous de Don Divino (KWPN, Ferro x Sir Sinclair), douze ans, que vous avez récupéré en 2019 ?
Il est un peu atypique, à l’opposé des petits chevaux que je monte habituellement en équilibre et en avant. Là, j’ai affaire à un animal imposant, auquel j’ai dû m’adapter. Le saut d’obstacles était parfois compliqué, parce que je me laissais déborder par ses grandes foulées de galop. Il m’a fallu un certain temps, mais les choses avancent bien. Brice Grugeon, avec qui je travaille sur ce test, m’a beaucoup aidée. J’espère que le travail accompli cet hiver paiera. En tout cas, Don Divino a beaucoup de présence sur le rectangle de dressage et c’est un avion de chasse au cross. Lui aussi devait courir le CCI 4*-L de Saumur fin mai…
Quid de Corail des Mels (AA, Gral des Vernières x Câlin de Mels) et Câline de Trop Loin (AA, Lord de Hus x Ryon d’Anzex), âgés de huit ans ?
Ce sont deux chevaux assez tardifs. Corail, qui appartient à Maxime, a beaucoup de qualités, mais un caractère assez tendre, si bien qu’il faut encore l’attendre. Cette année, j’aurais bien aimé qu’il coure un CCI 3*-S et éventuellement qu’il termine la saison par le CCI 4*-S du Pouget, mais nous verrons bien. Câline, elle, appartient à Jean-Pierre Briand, qui l’a fait naître. C’est une petite-fille d’Aleq de Fondelyn (AA, Novillo), avec laquelle Pierre Michelet a concouru jusqu’au plus haut niveau, notamment les CCI 5*-L de Badminton et Burghley. Elle lui ressemble beaucoup. C’est une jument très énergique et talentueuse, mais au caractère bien trempé. Elle aussi vit désormais dehors toute l’année, ce qui la rend plus disponible au travail. Elle m’a fait beaucoup réfléchir à ma manière de travailler sur le plat. Il n’est pas toujours facile de trouver les boutons sur des chevaux qu’on n’a pas formés dès leur plus jeune âge… On verra quel pourra être son programme cette année, mais elle me semble plus avancée dans son travail que Corail.
Cet entretien est paru dans le magazine n°116 en mai.