Bertrand Liegard, fidèle héritier de Patrick Le Rolland
Il fait partie de ceux qui ont choisi la discrétion comme écriture et la modestie comme signature. Installé en Belgique depuis bientôt quinze ans, Bertrand Liegard n’en défend pas moins les couleurs de la France. Désormais membre du Groupe 1 de la Fédération française d’équitation, le Normand aurait pu s’envoler cet été pour Tokyo, où devaient se dérouler les Jeux olympiques, et ainsi prendre part à ses premiers grands championnats avec Star Wars, son hongre de dix-huit ans. Avec le report des JO à 2021, le sort en a encore une fois décidé autrement...
12 avril 1977. Bertrand Liegard voit le jour à Coutances, charmante commune située à douze kilomètres de la Manche, en Normandie. Il n’a que cinq ans lorsque ses parents décident de déménager à Falaise, à cent dix kilomètres à l’est de là. “C’est le pays du cheval par excellence“, relève à juste titre l’intéressé, cette petite ville du Calvados se situant au milieu des grands haras de Trotteurs et de Pur-sang. La famille Liegard semble tout à fait étrangère au monde équin. “Mon père était directeur de banque et ma mère employée de la grande distribution“, raconte-t-il. Pourtant, comme souvent en Normandie, il ne faut pas remonter bien loin pour retrouver quelques racines liées à l’animal. “J’ai tout de même un côté terrien car ma mère est issue d’une famille d’agriculteurs et mon grand-père adorait les chevaux.“ Avant même de mettre le pied à l’étrier, le jeune Bertrand, enfant et écolier lambda, se passionne d’abord pour le handball. “J’ai énormément pratiqué ce sport, très réputé et développé à Falaise“, décrit-il. Adolescent, il s’approche même du haut niveau. “J’y jouais huit heures par semaine dans une section Pro, en plus des matches.“
Jusqu’à l’âge de douze ans, il n’a donc pas de véritable contact avec le cheval. Sa rencontre avec l’animal est d’ailleurs assez fortuite. “En sixième, j’avais un copain de classe qui pratiquait l’équitation. Un jour, je l’ai accompagné au centre équestre. C’est ainsi que tout a débuté.“ Il n’est alors même pas question de se hisser sur le dos de l’animal. “J’ai commencé à monter assez tard, car je m’amusais plutôt à m’occuper des chevaux. Ce n’est que petit à petit que j’ai nourri l’envie de me mettre en selle.“ Les premières armes équestres de Bertrand prennent pour cadre le centre équestre du château de la Fresnaye, à Falaise. Alors âgé de quinze ans, l’adolescent suit tranquillement ses cours au lycée, avant d’atteindre l’âge des premiers choix. “Je me suis alors dit que c’était peut-être ça, travailler dans le monde du cheval, que je voulais faire de ma vie.“ L’adolescent s’engage donc dans une filière agricole. “Au début, je n’avais toutefois pas de véritable projet professionnel, alors l’agroalimentaire m’aurait peut-être intéressé.“ Un choix accueilli sereinement par ses parents.
Malgré des débuts équestres tardifs, Bertrand Liegard progresse vite, très vite. “En deux ans, je suis passé du Galop 1 au Galop 7“, se souvient-il. Il effectue ses débuts en compétition en concours complet, jusqu’au niveau Grand Prix Poney. Son parcours scolaire l’amène à se former et à découvrir toutes les disciplines. “J’ai d’abord travaillé dans le trot, chez Alfred Lefebvre, puis Jean-Claude Daguet, l’ancien premier garçon de M. Lefebvre, et chez Arnaud Évain, au haras de la Cour Bonnet (situé à Falaise, ndlr), pour les ventes Fences.“ Bertrand Liegard travaille aussi quelque temps au Haras national du Pin, institution normande dont l’école est alors dirigée par Jean-Pierre Cosniau. “Un jour, celui-ci m’a dit qu’il avait un ami en Belgique qui cherchait quelqu’un pour conduire un tracteur et monter un peu à cheval.“ Bien que séduit par cette proposition, le jeune Normand a besoin de l’expérience et de l’avis d’Arnaud Évain, un homme en qui il a toute confiance. “Il m’a demandé ce que je souhaitais faire. Comme je lui ai répondu que je voulais devenir cavalier, il m’a conseillé de partir chez Patrick Le Rolland.“
La rencontre avec Patrick Le Rolland
On est en 1997 et le jeune homme, désormais âgé de vingt ans, s’expatrie en Belgique pour rencontrer celui qui va ni plus ni moins changer sa vie. “À l’époque, il y avait encore des postes frontières et on ne payait pas encore en euros ! Je suis un peu parti comme ça, sans savoir du tout où j’allais.“ Formé chez Maître Couillaud, Patrick Le Rolland fut adjudant-chef au Cadre noir de Saumur, quadruple champion de France de dressage, vainqueur au CHIO de Rotterdam, troisième de la Coupe des nations du CHIO d’Aix-la-Chapelle en 1975 et il participa aux Jeux olympiques de Munich en 1972. Par la suite, il entraîna l’équipe de France de dressage jusqu’aux Jeux olympiques de Los Angeles, en 1984, puis Margit Otto-Crépin et Corlandus, le meilleur couple de l’histoire récente du dressage français. Grande figure de la discipline, Patrick Le Rolland s’était installé non loin de Bruxelles. “Quand je suis arrivé, il s’était cassé la clavicule. Il portait son survêtement de l’équipe de France et je ne savais pas vraiment chez qui j’arrivais“, se souvient très bien le Normand. “Pendant longtemps, je ne l’ai pas vu monter. J’entendais les gens autour de moi dire que c’était un dieu vivant à cheval, mais je ne me rendais pas compte de la qualité de son équitation. Une fois que je l’ai vu en selle, au bout de deux mois peut-être, j’ai compris qu’il était extraordinaire.“
Pour autant, rien n’avait prédestiné Bertrand à une carrière en dressage pur. “Quand il m’a mis en selle, on peut dire que je tenais à cheval, mais c’est tout. Je n’avais aucune base de dressage et n’avais bien sûr jamais effectué ni changements de pied rapprochés, ni passage, ni pirouette, ni rien de tout cela. Il s’amusait d’ailleurs à dire qu’il m’avait choisi pour mon envie d’apprendre, et non pour mon équitation car elle était inexistante !“ Entre le Normand et le Breton d’origine débute alors bien plus qu’une simple relation professionnelle. Patrick Le Rolland dirige son écurie, donne de nombreux cours, commercialise des chevaux dressés par ses soins jusqu’aux États-Unis et donne des stages l’hiver à Wellington, en Floride. Petit à petit, Bertrand, arrivé comme garçon d’écurie, monte de plus en plus de chevaux. “J’ai fini par avoir une groom pour me les préparer et je ne faisais plus que monter.“ La belle histoire du palefrenier devenu cavalier, à l’instar de la Britannique Charlotte Dujardin, triple championne olympique.
En 2000, Patrick Le Rolland rentre en France. Il s’installe chez Christine Devigne au haras de Mesillé, à Boitron en Normandie. “Il y avait une partie élevage. L’idée était d’élever des chevaux plutôt que de les acheter en Allemagne“, se souvient Bertrand Liegard, qui en profite pour passer son monitorat chez Claude Merrien, le beau-frère de son mentor. À cette période, il enchaîne plus d’une centaine de parcours de saut d’obstacles. Pourtant, c’est bien en dressage que le cavalier envisage désormais son avenir. “J’ai monté en compétition Warlock (Han, Warkant x Lathan), avec lequel j’ai obtenu mon monitorat, débuté au niveau Saint Georges et que j’avais prévu de dresser jusqu’au Grand Prix, mais aussi Warhol de Mesillé (Han, Warkant x Saint Cloud, Trak), qui avait participé aux championnats du monde Jeunes Chevaux avec Stefan van Ingelgem.“
Après trois ans passés dans l’Orne, et notamment une cinquième place au championnat de France des chevaux de quatre ans avec Cameron de Mesillé (Han, Carismo x Ravallo), Bertrand Liegard quitte finalement son précieux formateur. “J’ai beaucoup appris à cheval, bien sûr - c’est grâce à lui que je me suis lancé en Saint Georges - mais aussi à gérer une écurie. Pour ses activités commerciales, j’ai accompagné des chevaux jusqu’à New York ou Miami, et connu les débuts des concours à Wellington.“ En 2006, il repart finalement en Belgique. “Le haras de la Ferme Rose a été acheté par d’anciens propriétaires de Patrick, M. et Mme de Reys, dont je m’étais occupé des chevaux. Ils cherchaient quelqu’un pour gérer leur écurie.“ Depuis quatorze ans, rien n’a changé ou presque. “L’activité se scinde en deux : dresser des chevaux et donner des cours.“ Chaque jour, Bertrand Liegard monte environ huit chevaux le matin et enseigne l’après-midi à des cavaliers de différentes disciplines. “Parmi mes élèves figurent quelques cavaliers internationaux de concours complet et je fais aussi travailler Constant van Paesschen, qui évolue au plus haut niveau en saut d’obstacles.“
Deux ans après son arrivée à Dion-leVal, le cavalier croise totalement par hasard la route de Star Wars (SCSL, Show Star x Rosenkavalier). “Je venais de vendre un cheval de saut d’obstacles qui me restait parce que je voulais me consacrer totalement au dressage. Une femme était en train de repeindre ma maison. En discutant de choses et d’autres, elle m’a dit qu’elle connaissait un cheval de dressage qui trottait. À cette époque, j’avais un fils de Weltmeyer qui trottait bien. Donc je lui ai proposé de venir me voir et de le monter quinze minutes afin qu’elle puisse me dire s’il trottait mieux. Elle m’a répondu que oui et c’est ainsi que Star Wars est rentré dans ma vie.“ À six ans, le hongre Luxembourgeois n’est pas franchement en avance pour son âge. “Beaucoup de cavaliers installés en Belgique l’avaient essayé, mais comme il était un peu rétif, ils ne s’étaient pas entendus avec lui. Pourtant, cela a tout de suite matché entre lui et moi.“
Secrètement, le trentenaire rêve alors des Jeux équestres mondiaux de Normandie. Après avoir débuté en Nationaux en Belgique, en mai 2009, Bertrand Liegard et Star Wars se lancent au niveau Saint Georges en février 2011. Une première guère spectaculaire, sanctionnée par une note moyenne de 60,895 %. Six mois plus tard, ils effectuent leurs premiers pas internationaux à l’occasion du CDI 3* de Leudelange, au Luxembourg. En mars 2012 à l’Étrier royal de Bruxelles, ils s’attaquent au Grand Tour et prennent la troisième place d’une Inter II, obtenant 66,118 %. En septembre, après un seul concours en France, le couple s’adjuge le Critérium Espoirs Grand Tour destiné aux jeunes chevaux abordant le niveau Grand Prix. Hélas, un mois après ce premier titre national, Star Wars est soudain irrégulier. “Il s’est mis à boiter. Ce fut une grande désillusion car je voulais faire plein de choses et tout a été soudainement remis en cause. Quand le sort en décide autrement, cela remet les pieds sur terre. Nous avons eu du mal à trouver la ferrure adéquate. J’ai vraiment été embêté deux fois, mais nous n’avons plus de problèmes depuis que nous avons trouvé la solution.“
Le couple renoue avec la compétition fin 2013. En mars 2014, des moyennes de 68 à 69 % enregistrées au CDI 3* de Barcelone nourrissent le rêve de Bertrand de participer aux JEM. Hélas, une contre-performance survenue un mois et demi plus tard au CDI 3* de Saumur (62,06 % dans le Grand Prix) l’écarte logiquement d’une possible sélection. La déception est grande pour le cavalier qui aurait tant aimé défendre les couleurs de la France dans sa Normandie natale. Un sentiment mêlé de tristesse, car Patrick Le Rolland décède brutalement durant les Jeux. Nombreux se souviennent encore de la minute de silence observée au cœur du stade Michel-d’Ornano. “On ne peut pas refaire l’histoire. Patrick est décédé d’une crise cardiaque. S’il avait été à Caen, il aurait été plus facilement pris en charge que seul chez lui dans sa maison. C’est un peu l’effet papillon. Le coup fut très dur. Tout ce que je fais aujourd’hui, c’est Patrick qui me l’a appris. Il m’a véritablement créé. Nous étions toujours là l’un pour l’autre. Il était comme mon père spirituel, un ami avec lequel je me suis toujours parfaitement entendu.“
Pour espérer poursuivre sa carrière vers le haut niveau, Bertrand doit toutefois trouver un autre soutien technique. “En 2015 et 2016, j’ai travaillé avec Dominique Brieussel, qui m’a fait avancer, notamment sur la présentation. Il y avait une telle émulation au Cercle hippique de L’Isle-Adam-Parmain que le dressage était un peu comme un sport d’équipe.“ Le cavalier poursuit sa progression avec Star Wars. À partir de 2015, la paire commence à s’illustrer dans de beaux concours, à l’instar des CDIO de Vidauban et Compiègne, du prestigieux CDI 4* de Hagen, des CDI 4* et 5* de Majorque, en 2016, où elle remporte un Grand Prix Spécial (70,98 %) puis un Grand Prix (71,78 %), du CDI 3* d’Hickstead, en 2017, où elle s’impose dans le Spécial (70,34 %), du CDI 4* de Windsor ou encore des CDI-W de Malines et Londres.
Aujourd’hui âgé de dix-huit ans, Star Wars n’a rien perdu de ses capacités à performer. En début d’année, grâce à des notes moyennes comprises entre 69,872 et 70,783 % lors de deux CDI 3* à Cascais, au Portugal, le couple rejoint Morgan Barbançon et Sir Donnerhall II (Old, Sandro Hit x Donnerhall) ainsi qu’Anne-Sophie Serre et Actuelle de Massa (Lus, Pastor GUB x Fuzi-lador OCO) au sein du Groupe 1 de la Fédération française d’équitation. On se met alors à imaginer une sélection pour les Jeux olympiques de Tokyo. C’était sans compter sur le terrible Covid-19 et ses effets dévastateurs, lesquels ont provoqué le report d’un an du rendez-vous. “Je pense que Star Wars n’est vraiment pas fait pour les championnats…“, confie le cavalier, un brin fataliste. Après un excellent début de saison et une pause forcée, l’heure de la retraite ne semble pas encore avoir sonné. “À chaque fin d’année, je me dis que c’est sa dernière saison, mais il va tellement bien que nous continuons.“
Depuis 2017, c’est Rien van der Schaft, ancien entraîneur de l’équipe nationale néerlandaise, qui les suit techniquement. “Au début, j’étais un peu réticent, car je ne pensais pas que cela pourrait me correspondre. Mais Rien a finalement une équitation très classique et très française, comme Patrick me l’a apprise.“ Le feeling entre les deux hommes est tel que le Français prête même son cheval de Grand Prix au Néerlandais. “Il l’a monté une fois. Cela m’a fait un petit quelque chose car je ne le prête jamais. Il m’a quand même dit que Star Wars était l’un des trois chevaux les mieux dressés qu’il ait montés. On revient toujours aux mêmes fondements. Rien partage la philosophie de Patrick, même s’il est davantage orienté vers la compétition. D’ailleurs, je suis un peu comme Patrick pour cela : j’aime le dressage en tant que tel et le concours n’est pas une fin en soi“, confie Bertrand Liegard. Comme son maître, il a fait du passage et du piaffer des marques de fabrique. Une empreinte qui lui permet d’être considéré comme un spécialiste de ces exercices. “Patrick m’a appris à faire travailler les chevaux à pied, au mur et aux longues rênes, donc j’ai effectivement des facilités à ce niveau. Par exemple, j’ai un peu aidé Morgan Barbançon-Mestre du temps où elle montait Girasol 7 (Bad-Wu, Gribaldi, Trak x Landioso) et lors des débuts de Sir Donnerhall. L’hiver, je donne également quelques stages aux États-Unis.“
Sportivement, l’heure est à la préparation d’autres chevaux pour prendre la relève de son étoile. “J’ai Furby de la Ferme Rose (Han, Fürst Nymphenburg x Londonderry), un bon cheval de neuf ans qui appartient à la Ferme Rose. Il est un peu tardif mais il a déjà obtenu plus de 70 % en Saint Georges.“ Sunny de la Ferme Rose (Han, Spörcken x Brentano), sept ans, et Fair Play de la Ferme Rose (Han, For Romance 1 x Rubiloh), cinq ans, complètent ce piquet d’avenir, lui permettant de rêver d’une participation aux Jeux olympiques de Paris 2024. En attendant, Bertrand Liegard continue à s’épanouir de l’autre côté de la frontière. “J’aime tout de même revenir en France de temps en temps pour voir mes proches“, concède-t-il. “Ma mère aime à dire que j’ai réussi à réaliser mes rêves, à concourir aux côtés de ceux qui me faisaient rêver.“ Souhaitons-lui de pouvoir continuer encore longtemps à vivre ainsi.
Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX n°116 du mois de mai.