La tendinite, une affection commune et redoutable
Les tendons sont des structures fibreuses qui relient les muscles aux os. Peu souples et peu vascularisés, ils sont d’autant plus vulnérables qu’ils sont souvent très sollicités chez le cheval de sport. Ce que redoutent les cavaliers ? La tendinite, qui correspond à une inflammation des tendons lorsqu’ils se trouvent excessivement fragilisés. Exploration des différentes méthodes qui existent pour soigner cette pathologie redoutable car très longue à guérir et souvent récidivante.
Les chevaux de sport sont soumis tout au long de leur vie à un travail intense. Or, on ne le sait que trop, le cheval est un animal aussi fort et courageux que délicat… Bien qu’il soit capable d’efforts énormes et de prouesses grandioses, certaines parties de son corps sont fragiles. Parmi elles, les tendons. Ceux des membres antérieurs, le tendon perforé (fléchisseur superficiel du doigt) et le tendon perforant (fléchisseur profond du doigt), sont ceux qui sont le plus fréquemment sujets à des tendinites. C’est-à-dire que le tendon s’enflamme suite à une rupture fibrillaire qui survient avec une rupture des vaisseaux capillaires. Il existe des tendinites traumatiques chez le cheval, mais la cause la plus fréquente est la tendinite de fatigue, liée à l’accumulation de microtraumatismes répétés dus à l’activité sportive du cheval. La survenue de certaines tendinites peut de plus être favorisée par la présence de défauts d’aplombs, induisant une surcharge chronique d’un membre.
Les différentes phases de la tendinite
La tendinite évolue en quatre phases. D’abord, la phase lésionnelle. “Comme un câble métallique, constitué de l’assemblage de petits fils métalliques, le tendon est constitué de l’assemblage de fibres microscopiques”, schématise Natacha Gimenez, vétérinaire-ostéopathe, avant de poursuivre. “Le début de la tendinite de fatigue passe souvent inaperçue. Quelques petites fibres commencent à se détériorer, mais c’est tellement infime que le cheval ne montre souvent aucun signe de gêne ni douleur, donc il continue à travailler à son rythme habituel, ce qui entraîne la rupture d’autres microfibres de proche en proche, et l’inflammation s’accentue. À ce stade, il est néanmoins possible de détecter une douleur à la palpation du tendon, à la condition de savoir évaluer chaque tendon individuellement et précisément sur toute leur longueur accessible. Sans réaliser cette palpation, on peut facilement passer à côté d’une tendinite débutante.” C’est ainsi que l’on arrive le plus souvent à la phase inflammatoire, puis la phase de cicatrisation. À ce stade, de nombreuses méthodes permettent une reconstitution harmonieuse du tendon, avec l’obtention de nouvelles fibres bien alignées dotées d’une bonne élasticité. Enfin, on finit par la phase de reconstruction, avec la rééducation et la remise en route progressive du cheval. Hervé Baldassari, physiothérapeute et ostéopathe à la tête du centre de réhabilitation Equicare, prévient que “cette phase est un processus qui peut être long. La clé, c’est le temps. Une cicatrisation complète peut prendre jusqu’à dix-huit mois.”
L’importance d’un diagnostic précis
Le cheval atteint d’une tendinite va présenter un membre gonflé et / ou chaud. Une boiterie peut survenir. Le vétérinaire confirmera son diagnostic avec une échographie, qui sera réalisée entre trois et dix jours après la survenue de la lésion. Natacha Gimenez alerte sur l’importance capitale d’un bilan orthopédique et ostéopathique complet dans le cas des tendinites de fatigue, afin d’être à même de soigner non seulement la tendinite, mais aussi sa cause, et ainsi empêcher autant que possible sa récidive. “Toute douleur chronique, aussi minime soit-elle, qu’elle soit d’origine ostéo-articulaire, viscérale, ou secondaire à une dysfonction ostéopathique, génère une modification du geste associé, ainsi que des adaptations des segments articulaires adjacents. Le corps enregistre cette modification et s’adapte par des reports de poids sur un bipède ou un diagonal, des changements de la posture, etc. Ces compensations posturales génèrent aussi des asymétries locomotrices (report de poids, amplitudes articulaires modifiées) qui sont responsables d’une fatigue articulaire et tendineuse. C’est ainsi que se mettent en place les “chaînes lésionnelles” en ostéopathie : à terme, les gênes locomotrices peuvent alors se trouver à distance de la dysfonction ostéopathique de départ. Cette notion est essentielle. En effet, cela est l’une des raisons pour lesquelles les douleurs ressenties (donc les symptômes) se trouvent parfois très éloignées de la cause, et si celle-ci n’est pas corrigée, les douleurs vont réapparaître.”
Que faire pendant la phase inflammatoire ?
Outre l’administration d’anti-inflammatoires par voie locale ou générale pour éviter toute extension de la lésion, préconisée par le vétérinaire, des solutions existent pour calmer l’inflammation et préparer un terrain propice à une cicatrisation optimale. “Il s’agit de juguler l’inflammation aiguë mais pas de l’éradiquer, car il faut laisser le corps faire son boulot. Cette phase de détersion, c’est-à-dire le nettoyage des agents pathogènes responsables de l’inflammation, est très importante car elle va non seulement permettre la cicatrisation, mais aussi éviter à la tendinite de s’installer dans un contexte chronique”, précise Hervé Baldassari. “Pour ce faire, nous utilisons diverses méthodes à effets anti-inflammatoires, mais aussi antalgiques et anti-œdémateux : traitement manuel à distance, drainage circulatoire manuel ou assisté, hydrothérapie, cryothérapie, técarthérapie, électrostimulation antalgique ou excitomotrice à visée drainante, laser, algothérapie, phytothérapie, naturopathie, bandages, bandage du membre opposé… La boîte à outils mise à notre disposition est vaste, nous piochons dedans au cas par cas.”
La cicatrisation
Durant la phase de cicatrisation, les fibres tendineuses se reconstituent afin que le tendon recouvre au mieux son aspect initial. C’est le moment d’envisager d’injecter dans la lésion des produits favorisant la cicatrisation comme les cellules souches, les dérivés sanguins enrichis en facteurs de croissance (PRP par exemple) ou des produits synthétiques mimant certains composants du tendon et assurant leur protection (RGTA par exemple). À nouveau durant ce temps, l’ostéopathie prend tout son sens, comme le détaille Natacha Gimenez. “Les techniques spécifiques d’ostéopathie appliquées aux fascias permettent de corriger les tensions sur toutes les structures fibreuses de l’organisme. Il est extrêmement bénéfique d’appliquer ces techniques sur la lésion elle-même, mais également sur tous les segments articulaires adjacents afin de limiter les tensions et les torsions sur la zone en cours de cicatrisation.” Hervé Baldassari propose quant à lui “d’optimiser la phase de cicatrisation par des actions de mise en charge partielle qui vont aider à redonner de la symétrie et du parallélisme aux fibres tendineuses endommagées. Aux outils utilisés durant la phase inflammatoire, on peut rajouter les ondes de choc, les infrasons, les vibrations sonores, les bains alternés (chaud-froid). La remise en charge progressive peut être facilitée par l’utilisation du tapis roulant immergeable. La nage, en piscine ou en mer, favorisera la remise en route des grandes fonctions cardio-circulatoire, respiratoire, digestive et musculaire.” Hervé Baldassari insiste également sur deux points qu’il estime capitaux : la remise en route de la proprioception et le logement du cheval confiné. “La qualité du lieu de vie d’un cheval participe également à la bonne cicatrisation de la lésion : box aéré, foin dépoussiéré et litière réduite afin d’éviter un trop grand étirement. L’idéal est d’avoir un fond en caoutchouc avec juste un peu de paille ou des copeaux, ambiance futon et non Georges V!”
La reconstruction
La phase de reconstruction correspond à la rééducation. Le plus important dans cette période parfois longue est la gestion de l’activité (comprenant le sol et la ferrure) et le contrôle du poids afin d’éviter toute contrainte supplémentaire sur le tendon. Quel que soit le protocole mis en place, celui-ci doit être revu et adapté quotidiennement en fonction de l’évolution du cheval. “Le rôle de l’ostéopathie prend ici encore tout son sens, car la reconstruction, de même que la cicatrisation, doit se faire sur un corps qui présente des tensions réciproques”, insiste Hervé Baldassari, avant que Natacha Gimenez ne précise: “Le travail d’ostéopathie appliqué aux fascias est intéressant notamment au moment de la remise en activité progressive du cheval, c’est-à-dire au moment de la mise en charge du tendon pour favoriser le retour à une élasticité et un alignement optimal des nouvelles fibres.” Durant cette phase, il faut plus que jamais faire preuve d’humilité et de patience. On prend son temps pour en gagner, on observe et on écoute le cheval, on s’attache à comprendre les signaux qu’il envoie… “Le rôle de la physiothérapie n’est pas d’aller plus vite. Il n’y a pas de machine mieux faite que le corps : il s’agit plutôt d’aider celui-ci, de le soutenir dans sa réparation”, note Hervé Baldassari.
Concernant le travail à proprement parler, il doit s’adapter à la sévérité de la lésion et doit être effectué en douceur, sans jamais forcer, sur un sol souple mais plutôt ferme, plat et régulier, avec des contrôles échographiques réguliers. Il s’agit d’optimiser la qualité de la cicatrice (alignement, souplesse, élasticité et robustesse des fibres tendineuses) et ainsi d’éviter autant que possible les récidives.
Zoom sur la ferrure!
On ne le répètera jamais assez : pas de pied, pas de cheval. La mise en place d’une ferrure adaptée sera la clé d’une réhabilitation réussie du cheval et de son bon fonctionnement sur le long terme. “Les vétérinaires nous recommandent d’agir sur le pied dès le début de la cicatrisation afin de soulager le tendon concerné”, indique Denis Leveillard, maréchal-ferrant. “Dans un deuxième temps, nous adaptons la ferrure de manière à étirer la cicatrice afin d’éviter les récidives. Pour soulager le tendon perforé, on va partir de l’extérieur du pied : on va baisser les talons, donc diminuer l’angle de la pince afin de solliciter le perforant, pour qu’il soutienne davantage le boulet en soulageant d’autant le tendon perforé. Ensuite, j’aurais tendance à mettre des fers fermés à planche (fermés en arrière) quand le cheval va recommencer un exercice modéré, avec un bon effet de rolling de façon à tirer un peu sur le perforé pour allonger la cicatrice. En effet la cicatrice du tendon étant toujours plus solide et moins souple que le tissu préexistant, le fait de l’allonger permet de limiter les risques de récidives. Pour soulager le tendon perforant, c’est le contraire. Tant que le cheval est au repos, on relève les talons, on ouvre l’angle de la pince afin de la verticaliser, puis je suggère de “laisser faire” le cheval, c’est-à-dire de laisser pousser l’angle de la pince jusqu’à lui permettre de revenir à son angle préexistant, ainsi le bras de levier de l’antérieur va s’allonger, ce qui va permettre d’étirer le per- forant. Quand le cheval va reprendre un exercice modéré, je préconiserais alors pour le perforant un fer à pince légèrement couverte, avec des branches courtes et dégagées. Une fois que le cheval retrouvera sa pleine activité, pour une tendinite du perforé, je mettrai des fers assez ordinaires avec des branches un peu courtes et du rolling, et pour le perforant, des fers classiques, voire des fers à planche, avec un bon rolling également.”
À retenir : fréquente, la tendinite peut souvent être évitée grâce à une bonne prévention et un travail adapté et équilibré. En cas de survenue, elle peut, si elle est soignée de façon intelligente, tout à fait guérir et le cheval pourra reprendre sa carrière sportive. À condition de respecter le maître-mot: patience. “Pauvres gens ceux qui n’ont pas de patience ! Quelle blessure s’est jamais guérie autrement que par degrés?”, écrivait déjà William Shakespeare dans «Othello».