"Gagner Aix-la-Chapelle n’a pas de prix", Grégory Wathelet

Champion d’Europe par équipe l’été passé à Rotterdam aux rênes de son photogénique MJT Nevados S, Grégory Wathelet ne cesse de faire preuve de régularité au plus haut niveau depuis des années. Le discret Belge, qui fêtera ses quarante ans au début du mois de septembre dispose d’un solide piquet de chevaux, ainsi que de prometteurs jeunes, qu’il a pris le temps de connaître durant ces longues semaines sans compétition. Fidèle à sa philosophie, il a d’ailleurs tenté de tirer le positif de la crise sanitaire que traverse le monde depuis le passage à l’an 2020. 



Après avoir débuté la saison à Oliva, vous avez été doublement freiné dans votre élan, d’abord par votre blessure à l’épaule, puis par la crise de Covid-19. Comment avez-vous vécu cette période si particulière ?

J’essaye toujours de voir le positif dans ces situations-là. D’abord, à la suite de ma blessure, je me suis dit que cela aurait pu être plus grave. J’ai fait une grosse chute et nous savons tous que nous prenons des risques. Quand on fait une chute pareille, on se dit que l’on a “que” l’épaule cassée. C’est sûr que ce n’est pas très gai, j’ai été à l’arrêt pendant quelques semaines, mais nous avions mis en place une rééducation rapide afin que je puisse être présent à Doha quelques semaines après. Concernant la situation sanitaire, que tout le monde a vécue, c’était très particulier. Lorsque cela arrive, nous sommes tous un peu surpris, livrés à l’inconnu, dans l’incertitude quant à ce qu’il va se passer. Il est clair que cette situation va apporter beaucoup de changements. Chacun essaye de s’adapter en fonction de sa propre vie, de ses écuries, de ses moyens. J’ai essayé d’en retirer du positif. J’ai passé beaucoup plus de temps à la maison, ce qui m’a laissé la possibilité de prendre le temps, de m’occuper des jeunes chevaux, et surtout, une chose qui parait simple pour beaucoup de gens : être à la maison. Avoir une vie un peu normale n’était pas du tout désagréable ! 

Avez-vous profité des semaines sans compétitions pour vous adonner à des activités auxquelles vous n’avez d’ordinaire pas beaucoup de temps à consacrer ?

J’ai en ai profité pour prendre le temps, tout simplement. Je fais un petit peu tout moi-même : mon bureau, mon secrétariat ; je n’ai pas de secrétaire ni de manager contrairement à beaucoup. Je passe beaucoup de temps à faire tout cela. Ce sont souvent les journées du lundi au mercredi qui sont interminables. J’aime ça et je ne m’en plains pas du tout.  Mais en général, je commence à 7 heures le matin et je termine à 21 ou 22 heures. Et là, pendant quelques semaines, j’ai pu régulièrement rentrer à 18 ou 19 heures chez moi et c’est très agréable aussi. Avoir des journées où les choses s’enchaînent, mais pas dans la course, où l’on peut repousser certaines choses au lendemain, a aussi été bénéfique. J’ai également pu prendre du temps pour les poulains de mon élevage, aller regarder les deux ans sauter. Hormis peut-être aller faire du vélo, je n’ai pas fait beaucoup de choses autre qu’en rapport avec les chevaux. 

Vous avez été très actif ces derniers temps sur les réseaux sociaux, notamment à travers des présentations de vos montures et une série de “flashback”. D’où vous sont venues toutes ces idées ?

Personnellement, je ne suis pas très réseaux sociaux. J’ai quelqu’un qui s’occupe de cela pour moi. D’ordinaire, les gens aiment bien suivre ce que nous faisons, nos résultats sportifs, et là, comme il n’y avait plus rien à mettre, je me suis dit que ce serait sympa de faire quelque chose de différent. Parfois, des gens me demandent ce que j’ai comme nouveaux chevaux, comme jeunes, ... Je me suis dit que ce serait l’occasion de faire des présentations de certains jeunes que personne ne connaît et que j’ai pu apprendre à connaître ces derniers temps. Et en même temps il y a aussi une partie de présentation pour les étalons. C’était la période pour les promouvoir, il ne faut pas s’en cacher. J’ai la chance d’avoir quelques étalons de qualité et je trouve dommage que quelques fois ils ne soient pas assez utilisés. Dans l’idée, je me suis dit qu’il serait bien de reparler de certains chevaux, qui, dernièrement, m’ont tenu à cœur. Ce n’est pas fini, il y a d’autres projets à venir par rapport à cela même si la compétition va revenir petit à petit. J’ai eu des retours positifs de la part des internautes, qui avaient oublié certaines performances de mes chevaux. Dans notre sport, c’est comme cela ; on oublie vite. Il y a tellement de compétitions, d'évènements tout le temps que certaines performances sont vite oubliées. Tout est parti de cette idée-là.

Comment se portent vos chevaux ? Sont-ils prêts à reprendre les concours ?

Il y a trois groupes de chevaux. Les jeunes, comprenant les huit ans, n’ont pas arrêté le travail. Ils sont restés dans un rythme tout à fait normal, hormis l’absence de compétition. Nous avons la chance d’avoir de bonnes installations, qui nous ont permis de faire des bons entraînements, de façon régulière. Après, parmi les vieux chevaux, je distingue les étalons, qui sont trois, des autres. Nous en avons profité de la période pour les rendre disponibles en frais, ce que nous ne faisons jamais à cette période-ci, et les prélever pour les congeler un maximum. Iron Man van de Padenborre et Nevados spécialement, qui sont mes deux chevaux de tête, sont allés trois fois par semaines au prélèvement. Nous les avons gardés dans un travail d’entretien, mais je n’aime pas qu’ils sautent en période de prélèvement. Je trouve que ce n’est pas compatible. L’autre partie des chevaux, Full House ter Linden, Indago et les autres, ont poursuivi un travail semi-intensif, afin de ne pas les arrêter trop longtemps. J’ai sauté régulièrement, tous les dix ou quinze jours, sur de petits sauts, à 1m ou 1m10, pour les entretenir. Ce sont les chevaux sur lesquels je vais pouvoir compter pour reprendre les concours. Iron Man et Nevados, eux, ne seront pas prêt. Mais je ne vais pas changer mon planning, qui était de les consacrer à la reproduction jusqu’à fin juin, avant de prendre un ou deux mois pour les remettre en route, refaire des plus petits concours dans l’objectif qu’ils soient prêts pour le courant septembre. 



"Corée devrait bientôt recommencer le travail"

La formidable Corée est absente des terrains de concours depuis juillet 2018.

La formidable Corée est absente des terrains de concours depuis juillet 2018.

© Scoopdyga

D’ailleurs, quelle vision avez-vous pour les prochains mois en termes de concours ?

Pour le haut-niveau, j’ai une vision très mauvaise. Je pense qu’il y aura très peu de concours 4 et 5* d’ici la fin d’année. Il y aura quelques événements, comme à Saint-Tropez, peut-être à Barcelone, Valence, ou Genève. Mais cela sera minime par rapport au circuit habituel que nous avons la chance d’avoir. J’imagine que les concours en dessous, 2 et 3*, seront plus nombreux ; on ne sera pas en manque de concours de ce niveau-là. Au haut-niveau, nous risquons d’être au ralenti pendant encore de longs mois, en espérant que tout cela reprenne un peu plus d’ici 2021. Nous avons besoin de ces concours pour rentabiliser notre activité. 

Votre formidable Corée, lauréate du mythique grand prix d’Aix-la-Chapelle en 2017, est absente des terrains de compétitions depuis juillet 2018. Comment se porte-t-elle ?

Elle devrait bientôt recommencer le travail. Malheureusement elle s’est reblessée à plusieurs reprises. À chaque fois que nous avons repris le travail, il y avait un petit couac. Elle avait ressauté en début d’année à la maison, je pensais qu’elle allait revenir en concours cette année, mais elle est de nouveau à l’arrêt. Nous allons essayer un dernier traitement en espérant que cela fonctionne et que nous puissions de nouveau compter sur elle.

Outre votre activité de cavalier, vous avez récemment donné plusieurs stages. Quelle place occupe le coaching dans votre carrière ?

J’ai toujours entraîné, depuis des années. J’ai beaucoup de demandes et j’ai toujours développé cette partie-là. Depuis des années j’ai des clients fidèles qui s'entraînent chez moi régulièrement. J’essaye de combiner le sport de haut niveau et le coaching, aussi parce qu’il s’agit d’une activité rentable. Je n’ai pas d’étoile au-dessus de ma tête, donc chaque euro que je dépense, je suis obligé de le gagner. Je dois ouvrir les portes aux activités qui peuvent être économiquement intéressantes. Avec le temps, j’y ai aussi pris goût. Je prends vraiment de plus en plus de plaisir à entraîner les gens. Avec le confinement, nous avons développé deux trois choses, avec des stages notamment, pour donner la possibilité à certaines personnes de venir s’entraîner avec moi. 

Vous êtes également à la tête d’un élevage, celui de la Marchette. Quel regard portez-vous sur l’élevage ?

Pour le moment, cela reste un jeu pour moi. Un jeu qui coûte beaucoup d’argent, mais que je qualifie ainsi car j’ai avant tout envie d’apprendre. C’est quelque chose qui ne m’intéressait pas du tout à la base et puis j’ai commencé à m’y intéresser pour plusieurs raisons. Déjà parce que mon père aimait bien cela. Le fait de côtoyer des gens impliqués dans ce domaine, des propriétaires passionnés, m’a fait mettre les pieds dedans. Comme pour tout, je n’aime pas faire les choses sans connaître. Si je fais quelque chose, j’aime savoir ce que je fais. Automatiquement, on est obligé d’apprendre par l’expérience. Je suis très très loin évidemment des grands spécialistes. Mais depuis une poignée d’années j’essaye de découvrir comment on peut juger de la qualité d’un cheval de deux ou trois ans, des croisements, etc. Nous avons une quinzaine de naissances cette année, un peu plus l’année prochaine. Dire que je le fais à petit niveau c’est exagéré mais je l’utilise pour apprendre. Je ne me dis pas spécialiste, je me fais mes idées, je m’entoure de gens connaisseurs. Si un jour cela m’amène à la satisfaction d’avoir élevé un bon cheval, ce sera une grande fierté. Si ce n’est pas le cas, on se redirigera autrement. Je pars toujours de ce principe-là : je ne suis pas quelqu’un d’argent. J’ai besoin d’argent pour vivre et faire tourner mon écurie, évidemment. Mais comme beaucoup d’athlètes, je vis pour le sport. Il y a des victoires comme Aix-la-Chapelle, par exemple, qui n’ont pas de prix. L’argent ne peut pas acheter ces victoires-là. Alors, un jour, vivre une aventure avec l’un de mes produits serait une satisfaction inestimable. J’aime ces histoires-là.



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