“C’est respecter le cheval que de lui donner la possibilité de faire du sport”, Odile van Doorn

Odile van Doorn fait partie des grandes figures du dressage en France. Cavalière professionnelle auparavant membre de l’équipe de France et coach renommée, vice-présidente de la Fédération en charge du dressage, cette dernière est aussi connue pour avoir dispensé ses passionnants commentaires lors d’épreuves internationales sur l’antenne d’Equidia Life. Lucide sur la situation exceptionnelle traversée par l’humanité lors de la crise sanitaire du Covid-19, l’amazone a répondu aux questions de GRANDPRIX dans un entretien publié hier et disponible ici. Dans la deuxième partie de ce question-réponses, il a été question du bien-être du cheval de sport.



La première partie de cet entretien est disponible ici


Regrettez-vous que le monde de l’équitation soit parfois aseptisé, que les chevaux aient de moins en moins une vie correspondant à leurs besoins fondamentaux, que les concours soient souvent les mêmes…? 

Je pense que les chevaux sont comme nous, ils vivent dans le monde dans lequel ils peuvent encore vivre. Je ne pense pas que les chevaux enfermés dans des boxes aient un cadre de vie parfait, mais certains arrivent à y vivre heureux. On ne peut pas apporter à chacun, humain ou cheval, le meilleur. Les chats sont des animaux individuels, pourtant, beaucoup de gens en possèdent trois ou quatre, ce qui n’est pas du tout dans leur nature. À l’inverse, les chiens qui aiment vivre en meute sont souvent seuls chez leur maître. Si on réfléchit bien, très peu d’animaux vivent aujourd’hui autour de l’Homme de manière parfaite. L’humain n’est pas non plus né pour vivre dans des tours HLM. Ce que l’on doit chercher à faire, c’est avoir du respect pour tous les êtres vivants qui nous entourent, aussi bien végétaux qu’animaux, et apporter un maximum de bien-être. Une vache qui est destinée à être mangée doit aussi avoir la vie la plus belle possible et la mort la plus douce possible, c’est une question de respect pour le vivant. Ainsi, si l’on décide de monter à cheval, on doit apprendre à le faire de façon juste, afin de proposer au cheval un exercice simple, pour lequel on a appris ce qui est correct ou ce qui ne l’est pas. Le cheval est un animal naturellement sportif, je ne suis pas sûre que vivre dans un hectare de pré étriqué soit suffisant pour le rendre heureux. Il peut l’être en pratiquant du pas, du trot, du galop avec un cavalier, que ce soit pour sauter des obstacles ou apprendre à faire des changements de pied et des appuyers. Ainsi, il utilise son corps, et à partir du moment où l’on cherche à monter avec justesse et à donner au cheval un geste sain, on contribue au respect animal. De plus, cela lui apporte quelque chose qui lui est essentiel, car c’est un animal profondément sportif. 

Je ne suis pas sûre que de les laisser enfermer, même dans un paddock tous les jours, soit bon pour eux. Ils restent limités dans leurs mouvements. Le fait de les monter et de les travailler, avec l’encadrement adapté, contribue à les aider à bien vivre. La vie idéale pour chacun n’existe pas. Dans le monde actuel, il ne faut pas essayer de revenir en arrière, avec le mythe du bon sauvage qui vit à moitié nu dans la nature et le cheval qui jouit de trois mille hectares de pâtures dans un troupeau en liberté. C’est un monde idéalisé qui n’est plus réalisable. Aujourd’hui, il n’y a plus de justifications à ce que les chevaux vivent dans la nature puisqu’il n’y a plus assez de nature sauvage pour accueillir des troupeaux d’animaux. Partout dans le monde où ils sont libres, on les tue, comme les mustangs aux États-Unis ou le Brumby en Australie, où ils sont considérés comme des nuisibles. Le cheval n’a sa place qu’auprès de l’humain désormais. À lui de le respecter et lui apporter ce dont il a besoin, c’est-à-dire un exercice sportif adapté. Je pense que la compétition est une façon de valider que l’on travaille dans le bon sens, car un cheval de compétition ne doit pas être présenté en mauvais état, c’est à dire boiteux, dopé etc… Il y a des gens pour vérifier qu’il est aussi bien traité, que ce soit à la détente ou en piste, peu importe la discipline. Je pense que le respect du cheval peut passer par la pratique de la compétition parce qu’elle valide que ce qu’on lui demande est justifié techniquement, qu’on ne fera rien d’autre que ce qui est attendu d’un quatre ans par exemple. Le sport, quand il est bien pratiqué, permet de s’occuper des chevaux correctement et de les respecter, je ne suis pas sûre que de les laisser croupir dans un pré corresponde au respect, car ce n’est pas sa nature. Soit il vit de manière nomade dans trois mille hectares, soit l’Homme lui donne une raison d’utiliser son corps correctement.

 

Pourtant, beaucoup de gens se disent qu’ils offrent un formidable cadre de vie à leurs chevaux car il vit dans un pré…

Un chien doit vivre en meute, le cheval en troupeau. Même s’il a deux ou trois copains, ce n’est pas un groupe familial avec des étalons, des juments, des poulains… Il y a très peu d’endroits où l’on peut leur offrir ça, et cela ne fonctionne pas si on leur donne juste un hectare. Il en faut au minimum trois mille car le cheval est un nomade qui se déplace, qui doit se mettre de l’autre côté de la colline quand le vent souffle, revenir sur l’autre versant quand il veut prendre le soleil parce qu’il fait froid, aller se mettre au couvert d’un bois quand il pleut… Il y a plus d’espace au pré qu’au box, c’est certain, de la même manière que les gens qui vivent dans un pavillon avec jardin ont plus d’espace que ceux qui ont été confinés dans un appartement de trente mètres carrés dans une tour. Mais cela rend-t-il le cheval beaucoup plus heureux ? Je n’en suis pas sûre. Je pense que le cheval a vraiment besoin d’utiliser son corps, c’est un sportif. Il n’y a pas un seul animal domestique, que ce soit l’éléphant, le dromadaire, le chameau, le yack, le bœuf, dont l’Homme se sert parfois comme monture et avec lesquels il fait autant de choses. Si on s’amuse à faire des courses de dromadaires, ce n’est évidemment pas dans leur nature de courir et chercher à aller vite, alors que cela est dans la nature d’un cheval. C’est le respecter que de lui donner la possibilité de faire du sport, que ce soit aller se promener en forêt ou bien aller en compétition. 

 



“Monter sur un cheval, ce n’est pas le détruire”

Craignez-vous le mouvement animaliste qui prend de plus en plus d’ampleur ? 

Peut-être que la crise du Covid-19 va avoir changé un peu les choses. Il s’agit de prises de positions un peu excessives : à un moment donné plus personne n’osait manger du gluten car certains étaient intolérants, après certains ont dit qu’il ne fallait plus manger d’animaux… Nous vivons dans un monde dans lequel nous prenons des positions qui sont souvent excessives et non justifiées, comme par exemple l’idée de rendre la liberté à tous les animaux. Relâcher les chiens dans la forêt pour qu’ils retrouvent le goût de la chasse, alors qu’ils ne l’ont jamais fait de leur vie, ce n’est pas possible. Il y a quelque chose d’excessif à vouloir faire revenir les animaux à une vie qu’ils ne peuvent pas vivre qu’aujourd’hui. Le mythe qui consiste à dire « c’était bien quand les animaux étaient en liberté » ne correspond pas à notre vie aujourd’hui. Par contre, le point de départ est juste et louable. Vouloir le respect de l’animal, de la nature, éviter le gaspillage sur tous les plans est primordial. On a trop longtemps maltraité des animaux en les faisant vivre en batterie comme pour les poules ou les veaux dans des endroits innommables… Il y a eu beaucoup d’excès et il faut réagir, je suis totalement d’accord. Prendre le parti totalement opposé, en disant qu’il ne faut pas consommer d’œufs, de lait, de viande, qu’il faut arrêter de monter sur les chevaux est pour moi un excès. L’Homme a besoin de manger des protéines animales, et ne peut nourrir un bébé uniquement au lait de soja sans le mettre en danger. Je ne suis pas sûre que de cueillir une salade soit moins grave que de tuer un lapin pour le manger. La salade naît, vit, se reproduit et meure, c’est aussi un être vivant. Elle n’a pas de système nerveux central, mais on découvre que les végétaux ont un système qui leur permette d’avoir de la mémoire. Ils sont capables de réagir et d’évoluer d’une année sur l’autre par rapport à des situations qu’ils ont vécu l’année précédente, donc ils ont emmagasiné des connaissances. Si on doit respecter le vivant, on doit aussi respecter les végétaux, donc pourquoi se nourrir de végétaux ? Comme on ne peut pas se nourrir de pierres, notre nature est hélas de consommer des produits d’origine animale, mais aussi des végétaux. 

Nous sommes devenus responsables d’un certain nombre d’animaux qu’on ne peut plus relâcher dans la nature. Il faut apprendre à les respecter et leur faire vivre la plus belle vie possible. Toutes les positions excessives sont compliquées à vivre, même si c’est bien que ces voix-là s’élèvent aussi. Si on peut améliorer le gavage des canards pour faire le foie gras, si on peut améliorer l’abattage des vaches ou des cochons, évidemment qu’il est nécessaire que les gens prennent position et en parlent. Je pense qu’il faut garder un esprit pragmatique et regarder le monde dans lequel on vit, pour s’apercevoir de ce qu’il est possible de faire ou pas. Monter sur un cheval, ce n’est pas le détruire, et la majorité des races de chevaux ont été créées par l’Homme, à part le cheval de Przewalski qui est encore l’un des rares chevaux sauvages. On est responsable des chevaux, et en être responsable ne veut pas dire leur faire du bien en les relâchant dans les prés. Il faut faire en sorte que les choses aillent au mieux pour eux. Je pense que le cheval apprécie la compagnie de l’Homme. J’ai vu pleins de chevaux que l’on a mis au pré pour la retraite et qui étaient malheureux, en permanence derrière la clôture à vouloir retourner vers l’Homme et à arriver au grand galop dès qu’un humain s’approchait. En les relâchant avec des mouches, des taons, sur un sol dur avec les pieds nus, alors qu’ils ont été toute leur vie protégés du vent et des mouches, je ne suis pas certaine que cela les ait rendus heureux. Il faut leur apporter ce qui leur convient le mieux, une vie sportive, la plus saine possible. Pratiquer la compétition, ce n’est pas les martyriser, mais contraire faire valider par des professionnels que ce qu’on leur fait faire est adapté à leur niveau, à leurs moyens, à leur âge. C’est aller dans le sens du respect de l’animal.