“Quand je suis tombé à Los Angeles, tout un rêve s’est effondré”, Pierre Durand
Durant tout l’été, GRANDPRIX vous fera revivre des victoires et des défaites fondatrices de grandes carrières et qui ont marqué l’histoire des sports équestres. Aujourd’hui, c’est au tour de Pierre Durand de revenir sur sa première expérience olympique à Los Angeles en 1984. Avec l’inégalable Jappeloup, le rêve avait viré au cauchemar.
Août 1984 à Santa Anita Park, à quelques encablures de Los Angeles. La petite ville californienne d’Arcadia, qui comptait alors à l’époque un peu plus de quarante-cinq mille habitants, a été témoin du “moment le plus douloureux de ma carrière, voire de ma vie” d’un cavalier devenu par la suite une légende du saut d’obstacles. Lors de sa première participation aux Jeux olympiques, Pierre Durand a encaissé l’une de ses défaites les plus marquantes et douloureuses avec l’iconique Jappeloup. “J’ai littéralement vu ma vie défiler”, lâche le Girondin au sujet de la chute qu’il a subie.
Jappeloup, le petit cheval noir d’un mètre cinquante-huit en qui personne ne croyait – et qui n’avait pas même convaincu Pierre Durand au départ, le jugeant trop petit –, s’est révélé dès 1982 en remportant les championnats de France à sept ans seulement. Deux saisons plus tard, il est sélectionné pour représenter la France aux Jeux olympiques de Los Angeles avec son cavalier de toujours, Pierre Durand. À l’époque, les Jeux sont encore réservés aux athlètes non professionnels et c’est une équipe inexpérimentée qui s’est envolés outre-Atlantique. Aux côtés de Pierre et Jappeloup, Frédéric Cottier avec Flambeau C, Éric Navet sur J’t’Adore ainsi que Philippe Rozier et Jiva étaient de la partie.
Lors de la finale par équipes, les difficultés se sont enchaînées pour l’équipe de France. À l’issue des deux manches, Éric Navet et J’t’Adore ont cumulé vingt-et-un points trois quarts, tandis que Philippe Rozier associé à Jiva et Frédéric Cottier en selle sur Flambeau C ont ajouté chacun vingt points au compteur tricolore. Au premier tour, malgré les qualités intrinsèques du petit hongre noir, le couple a réalisé un parcours désordonné, sanctionné de huit points à la suite d’une grosse faute sur l’oxer placé en quatrième position, ainsi que sur l’oxer en entrée de double n°8.
Malgré cela, la médaille de bronze restait atteignable, si Pierre Durand et Jappeloup se transcendaient pour terminer avec un sans-faute en seconde manche. Malheureusement, l’Histoire – et surtout le caractériel hongre – en ont décidé autrement.
Malgré un très beau début de tour, la mauvaise distance sur la barrière n°9 a fait voler en éclat tous les espoirs des Bleus et de Pierre Durand. Jappeloup s’est arrêté, entraînant la chute de son cavalier, le filet de son complice dans les mains, qui est lui retourné aux écuries devant les caméras du monde entier. Dans GRANDPRIX Heroes n°114 paru en novembre 2019, le Girondin est revenu sur sa terrible désillusion. “Quand je suis tombé, tout un rêve s’est effondré. Je m’exécrais. J’étais le dernier Français à entrer en piste et je jouais une médaille de bronze par équipes… Vis-à-vis des autres, je l’ai vécu comme un grave manquement. C’était une humiliation de ne pas avoir été à la hauteur de l’enjeu. Même si mes coéquipiers m’ont beaucoup soutenu et qu’aucun ne m’a accablé, j’ai ressenti une immense solitude”, s’était-il souvenu.
“J’aurais réellement pu mourir après cet épisode ”
La rapidité de cette chute couplée au fait qu’elle s’est déroulée en direct devant des milliers de spectateurs a accentué la désillusion de Pierre Durand, qui a été profondément marqué: “Après cet échec, il m’a été difficile de retrouver le goût de la compétition. Je le dis souvent, et sans emphase, mais j’aurais réellement pu mourir après cet épisode, d’autant que les critiques n’ont pas été d’une grande indulgence à notre retour en France.”
Avec le recul et les années, le cavalier a mis des mots sur les raisons de cet échec. “Je désirais tellement aller aux Jeux que je les avais idéalisés. Je représentais mon pays, devant le monde entier, je baignais au milieu de tous les plus grands sportifs de la planète comme le sprinteur américain Carl Lewis et j’avais pleinement vécu la cérémonie d’ouverture… En fait, j’ai voulu vivre les Jeux de manière émotionnelle. Je voulais me charger de tous les sentiments possible, et ce fut ma plus grande erreur. J’en ai tiré des enseignements et j’ai fini par vivre les grands championnats comme n’importe quelle autre compétition pour ne plus m’encombrer d’émotions paralysantes.”
“À Séoul, j’ai lavé mon humiliation de Los Angeles”
Ce coup dur n’a pas empêché le duo d’enchaîner les succès ensuite et de conquérir le Graal, quatre ans plus tard. Le dimanche 2 octobre 1988, Pierre Durand a réalisé son rêve en devenant champion olympique avec Jappeloup, à Séoul. “Quand je suis arrivé en Corée du Sud, j’étais très confiant, habité d’une vraie certitude. Quelques jours avant, je m’étais retrouvé exactement dans la même situation qu’à Los Angeles. Cette fois-ci, j’avais réussi à finir mon parcours sans aucune faute et offrir la médaille à mes coéquipiers. Ce tour a sûrement été le plus difficile de toute ma vie, et il m’a procuré un profond soulagement. J’avais le sentiment d’avoir payé ma dette vis-à-vis de l’équipe de France et lavé mon humiliation de Los Angeles. Dès lors, je me suis senti libéré et porté vers la victoire. Je ne voyais plus ce qui pouvait m’arrêter !”, confie-t-il. À l’époque de cette victoire, Le Monde avait alors écrit dans son compte-rendu, au sujet de Jappeloup: “Cette manie de s'"encapuchonner" et de rouler des épaules comme un boxeur lui a valu une réputation de rebelle. Réputation justifiée. À Los Angeles, ce diable de cheval n'avait-il pas expédié son cavalier cul par-dessus tête, piétinant dans la même dérobade tout espoir de médaille pour l'équipe de France ? Un souvenir cuisant. Le geste de Pierre Durand sur le stade olympique de Séoul n'en est que plus attendrissant (son cavalier avait attaché sa médaille d’or autour de l’encolure du hongre pour le tour d’honneur, ndlr). A-t-on déjà vu un délinquant, fût-il repenti, recevoir la Légion d'honneur des mains de sa victime ? En fait, la trahison de Jap était depuis longtemps pardonnée.”
Si celui qui reste toujours comme le dernier cavalier français à avoir remporté l’or olympique en individuel analyse lui-même que “la fusion entre un cavalier et son cheval conduit aux plus grandes performances”, il est la preuve vivante qu’un échec est aussi “un moment fondateur” d’exploits légendaires. “Sans ce drame, aurais-je été médaillé d’or quatre ans plus tard?? Pas sûr”, conclut-il. Une histoire émouvante qui a été transposée sur grand écran par Guillaume Canet en 2013, dans le film éponyme Jappeloup.
Pour aller plus loin au sujet de ce film, GRANDPRIX Heroes a retracé dans le numéro paru en juillet 2019 les carrières des neufs chevaux ayant doublé l’illustre Jappeloup lors du tournage de ce long métrage.
Retrouvez la chute de Pierre Durand lors des JO de Los Angeles en 1984 dans la première vidéo, puis son titre olympique avec Jappeloup, à Séoul en 1988, dans la seconde.