RÉTRO RIO 2016: Les clés du retour en grâce du concours complet français (partie 2)
Il y a quatre ans, les yeux de la planète équestre étaient rivés vers le Brésil où se jouaient les Jeux olympiques. Pour fêter ces quatre ans et se consoler du report des JO de Tokyo à l'année prochaine, GRANDPRIX vous propose de vous replonger dans Rio 2016 pendant une semaine. // Après sa défaite cuisante aux Jeux olympiques de Londres en 2012, l’équipe de France de concours complet a entamé sa reconstruction, une phase au terme de laquelle elle a atteint le Graal: la médaille d’or par équipes aux JO de Rio, agrémentée de la médaille d’argent individuelle d’Astier Nicolas et Piaf de B’Neville. Cet exploit n’a pas été réalisé sans signes avant-coureurs, les cavaliers français s’étant régulièrement distingués sur la scène internationale au cours des deux dernières années. Ce retour en grâce méritait bien une analyse de ses facteurs clés.
Une remontée spectaculaire en dressage
La première partie de cet article, paru dans le magazine GRANDPRIX n°80, est à retrouver ici.
Une remontée spectaculaire en dressage Lorsqu’il avait quitté la tête de l’équipe de France en 2009, Thierry Touzaint avait déjà mis FFE et cavaliers en garde quant à la nécessité absolue pour les Français de progresser en dressage afin de combler leur retard par rapport aux autres grandes nations de la discipline. À son retour en 2013, la prise de conscience était acquise et une première impulsion avait été donnée par Laurent Bousquet. Cependant, beaucoup restait à faire dans un travail qui ne pouvait s’envisager que sur le long terme. Pour le mener à bien, Thierry Touzaint s’est alors associé à des spécialistes au premier rang desquels Michel Asseray, nommé DTN adjoint. Juge international, ce dernier était un témoin privilégié des changements d’exigences attendus sur le premier test. “Il y a eu une évolution vers davantage de complexité dans les mouvements demandés. Cela a commencé avec les changements de pied, une grosse étape à franchir pour des chevaux à qui l’on avait jusqu’alors interdit de changer de pied, ainsi que pour les cavaliers, qui ne dominaient pas du tout ce mouvement. Ensuite, il a fallu se rapprocher du dressage pur avec la notion de rassembler. Nos chevaux et nos cavaliers ont alors pris du retard par rapport aux Allemands, plus proches de cette discipline que nous.”
Les Français devaient donc se raccrocher au bon wagon, d’autant que l’importance relative du dressage par rapport au cross ne cessait de croître. À ce titre, on se souvient des critiques adressées au parcours de cross des Européens de Malmö en 2013, jugé insuffisamment sélectif, de sorte que les médailles s’étaient jouées dès le premier test. “Il faut veiller à ce que notre sport conserve le cross en son cœur car c’est bien la discipline reine”, analyse Michel Asseray. “Le dressage doit permettre de prendre une avance de points qui donne de la confiance avant de partir sur le deuxième test, mais les concours comme ceux de Malmö ne sont pas de bons concours. Au contraire, les JO de Rio ont été parfaits, car le parcours monté par Pierre Michelet était sélectif en termes de temps accordé et de difficultés techniques, sans que cela ne soit dangereux.”
En 2013, Thierry Touzaint a également rappelé Serge Cornut à ses fonctions d’entraîneur adjoint en charge du dressage. Ce grand technicien, cavalier olympique, est une valeur sûre et un homme de confiance pour le staff fédéral et les cavaliers. “Quand j’ai repris du service, j’ai été séduit par le projet global de formation à long terme. On m’a confié de grandes responsabilités puisque j’étais en charge du groupe JO/JEM. Cela m’a permis de me consacrer à un groupe de cavaliers d’avenir. J’ai pu faire preuve de plus de rigueur dans la régularité du travail, et apporter plus de technique. Tous les cavaliers savent effectuer un appuyer, une épaule en dedans ou une serpentine, mais l’important est qu’ils sachent le faire mieux que les autres. Au fil du temps, j’ai pu pousser les couples plus loin car ce que l’on travaillait une fois était acquis, et qu’ils en demandaient toujours plus. Nous avons perfectionné la technique à un niveau de détail très poussé. Pour l’anecdote, à la fin de cet hiver, beaucoup de cavaliers étaient capables d’effectuer des diagonales de changements de pied aux deux temps et des pirouettes”, explique-t-il avec passion et humilité.
L’aspect technique a donc été la clé du travail mis en place ces trois dernières années, dans le respect de la spécificité de chaque paire. Sur ce point, Serge Cornut confie ne pas avoir réellement évolué dans son approche par rapport aux années 2000. En revanche, il reconnaît avoir acquis une meilleure connaissance du cheval de complet en tant qu’athlète, et de la manière de l’entraîner. “Il ne faut pas lui demander d’avoir le physique d’un cheval de dressage. Ceux de complet sont des machines de guerre complexes à qui l’on demande en permanence des changements difficiles d’équilibre. Comme je le dis toujours, ce sont des marathoniens qui doivent se transformer en danseurs étoiles.”
Pour aider les cavaliers à progresser et à trouver du confort dans la répétition d’exercices difficiles et parfois rébarbatifs pour eux, l’entraîneur s’est aussi attaché à leur propre préparation mentale. “Le mental est totalement lié à la technique. Quand le cavalier maîtrise techniquement son sujet, qu’il peut intervenir sur la propulsion et l’équilibre de son cheval, s’installe alors une certaine sérénité qui lui permet de faire toujours mieux. En revanche, quand il connaît des incertitudes, il ne peut pas se lâcher pour monter réellement sa reprise. Par exemple, Astier avait des doutes sur ses changements de pied quand il est arrivé à Granville. Nous avons beaucoup travaillé dessus, mais ses doutes sont revenus à Rio, où il a commis une faute. Mon travail a aussi intégré un peu de sophrologie. Et puis, nous avons beaucoup échangé avec les cavaliers tout au long de l’année afin de pouvoir mettre en place avec eux et pour eux des protocoles de détente et de travail très précis et spécifiques. En étant à leur côté, j’ai appris à parler à chacun, à leur dire les bons mots pour les encourager sans instiller le doute dans leur esprit. Ces détails combinés leur ont permis de se présenter à Rio dans un certain confort mental afin de dérouler au mieux leurs reprises”, détaille Serge Cornut. Grâce à cela, les cavaliers français, dont certains étaient pourtant plus inexpérimentés que leurs concurrents étrangers, sont allés chercher leurs points sans gêne : “Ils y croyaient parce qu’ils le faisaient tous les jours !”
Serge Cornut reconnaît avoir été aidé en cela par l’arrivée de cette nouvelle génération assoiffée de succès. “Ces jeunes cavaliers ont très vite compris l’importance d’avoir des chevaux qui bougent correctement, et ont pris la mesure du travail à accomplir. Cela a aussi boosté les plus anciens qui sont toujours dans la course et présentent désormais des reprises comme ils en faisaient peu jusque-là.” La collaboration avec les coaches privés a également fait son œuvre, leur travail se coordonnant parfaitement avec celui du staff fédéral. “Je m’entends très bien avec tous les entraîneurs. J’ai eu un certain nombre d’entre eux comme élèves, à l’instar de Jean-Luc Force ou Claire Gosselin, de sorte que nous nous connaissons parfaitement. Notre collaboration est parfaite et totale car nous allons tous dans le même sens. Il faut aussi reconnaître qu’en plus de la technique qu’ils offrent au quotidien à leurs cavaliers, ils sont un plus indéniable pour leur moral”, confie Serge. Le quatuor composé de Thierry Touzaint, Michel Asseray, Serge Cornut, mais aussi Jean-Pierre Bianco, œuvrant depuis trois ans dans la quasi-totalité des Coupe des nations, a donc réussi son pari. Il a mis en place une formation dans la durée qui, en l’espace d’une olympiade, a transformé le complet français, lui permettant de combler son retard face aux Britanniques, aux Néo-Zélandais, aux Australiens et mêmes aux Allemands, dont les Français n’étaient qu’à 0,2 point après le dressage à Rio. La réussite tricolore dans les plus beaux concours et la qualité de leur travail participe évidemment à changer le regard des juges sur l’équipe de France, point sur lequel Michel Asseray et Serge Cornut s’accordent parfaitement : “En mai, à Chatsworth (où les Français se sont classés premier, deuxième, troisième et cinquième, ndlr), nous avons marqué les esprits. Les juges ont dit : “Les Français sont de retour dans le haut du panier. Ils compteront donc parmi les favoris aux JO”.“ Même si rien n’est jamais acquis, leur présence de plus en plus régulière sur les terrains étrangers leur permettra sans doute d’accroître ce statut. Leur exploit brésilien y a incontestablement contribué.
L’effet Thierry Touzaint
Il est des hommes qu’il vaut mieux avoir avec soi que contre soi. En concours complet, Thierry Touzaint est de ceux-là. Après trois ans passés à peaufiner ses compétences d’entraîneur privé mais aussi de chef de piste, il est revenu à la tête de l’équipe de France en 2013, toujours aussi affamé de médailles. Résultat : trois breloques de bronze en championnats d’Europe, ainsi que l’or par équipes et l’argent individuel aux JO ! Une réussite totale qui fait encore parler de l’effet Thierry Touzaint…
Michel Asseray, son collègue et complice, aide à percer le mystère de ce personnage aussi efficace que secret. “C’est un homme incroyable, un “king”, un puits de science fantastique, un passionné du sport de haut niveau qui a une connaissance inestimable et inégalable des concours, des obstacles, des chevaux et des hommes. Dès 2013, nous avons passé trois heures ensemble dans mon restaurant à Saumur pour détailler et lister les chevaux et cavaliers présents et en devenir, afin de savoir si nous avions le vivier suffisant pour aller chercher les médailles attendues. C’est un travail qu’il fait en permanence.” Cette perception des hommes et des chevaux est une véritable force. À Rio, il a su mettre en place une équipe inédite qui, malgré son inexpérience olympique, a ramené le plus beau des titres. “Thierry connaît les chevaux, ceux sur lesquels on peut compter pour l’avenir et ceux qui vont avoir le potentiel d’aller très haut. Pour Rio, il a toujours voulu amener une équipe composée des quatre chevaux et cavaliers les plus performants à l’heure H. Après avoir testé de nouveaux couples en 2014 et 2015, il a su extraire les meilleurs du moment et les porter jusqu’à la médaille.”
Perfectionniste acharné, Thierry Touzaint a également su étudier le fonctionnement de ses hommes afin de leur proposer le meilleur programme de travail possible. Avec l’aide de son staff, il a réglé dans les moindres détails tous les paramètres nécessaires à la réalisation de la performance. Si certains cavaliers évoquent parfois un être mutique dont les choix restent mystérieux, le sélectionneur est à l’écoute et observe tout, tout le temps. Il sait aussi gagner la confiance et le respect de ses troupes. D’ailleurs, nombre de compétiteurs ne tarissent pas d’éloges à son sujet, à l’image de Mathieu Lemoine, qui sait combien cet entraîneur a joué un rôle majeur dans la réussite de son équipe. “Thierry est un chef de file formidable. À Rio, nous lui avons accordé une confiance totale, d’autant que nous découvrions tous les JO. Il connaît si bien son sujet qu’avec lui, il n’y a pas de place pour le doute. Mais ce que j’admire le plus chez lui, c’est que c’est un grand joueur. Il s’exerce aux courses et au casino, de sorte qu’il sait prendre des risques mais aussi miser sur la sécurité quand il le faut. Et finalement, il ne se trompe pas beaucoup !”
Aujourd’hui encore, fidèle à lui-même, alors que son avenir dépend en partie des prochaines élections fédérales, Thierry, accompagné de son staff, poursuit son œuvre, repérant déjà les jeunes chevaux qui assureront la relève des médaillés de Rio. L’anticipation, encore et toujours ! Le succès de l’équipe de France à Rio résulte donc d’un ensemble de paramètres dont il serait présomptueux de prétendre établir la liste exhaustive ou mesurer le poids relatif dans la balance. D’autant plus que la chance, qui est la complice de tout athlète de haut niveau, n’y est sans doute pas pour rien dans la victoire française. Néanmoins, la renaissance du complet français est incontestable. Naturellement, ses artisans ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Le rendez-vous est déjà pris pour Tokyo en 2020 !