“La FEI devrait être plus vigilante sur l’équité en ce qui concerne l’accès aux concours”, Philippe Léoni
Ancien membre de l’équipe de France de saut d'obstacles et vainqueur de la Coupe des nations du CSIO 5* de Gijón en 2004, Philippe Léoni est l’un des rares cavaliers de haut niveau à exercer une profession totalement extérieure au monde équestre. Co-fondateur et ancien directeur général du groupe Spir Communication, notamment à l’origine du site de vente entre particuliers Le Bon Coin, ce professionnel des media, également co-créateur du journal 20 Minutes, partage son quotidien entre sa vie d’homme d’affaires et son activité équestre. À l'occasion du Longines Deauville Classic, il s'est confié à GRANDPRIX sur ses objectifs et fait part de son regard sur l’évolution du sport.
Comment allez-vous et comment s’est déroulé votre week-end à Deauville?
Je suis heureux d’être là, car c’est une année particulière avec peu de concours à cause de la crise du Covid-19. Le Longines Deauville Classic est un très bel évènement, et grâce à l’intelligence de l’équipe organisatrice, nous avons pu courir le Grand Prix samedi au lieu du dimanche à cause des risques d'intempéries. Il y a également un très beau plateau de cavaliers, dignes de CSI 4* ou 5*! D’un point de vue plus personnel, je suis ravi car mes quatre chevaux sont enfin opérationnels. J’avais emmené les trois meilleurs à Deauville et je dois dire qu’ils sont en forme. En revanche, moi, je ne suis pas encore tout à fait dans le coup. J’ai besoin de refaire quelques concours pour me remettre dans le bain, mais mes chevaux ont très bien sauté.
Quel est votre ressenti avec Uhlan Okkomut (SF, Mylord Carthago x Éclair des Bois), le cheval avec lequel vous avez couru le Grand Prix, précédemment chez Laurent Guillet, puis passé sous la selle de Mégane Moissonnier?
Je connais bien ce cheval car je travaille avec Laurent depuis très longtemps. Il l’a fait débuter lui-même en compétition et il s’est toujours montré excellent. Lorsque Laurent a voulu prendre un peu de recul sur les concours (à la suite d'une blessure, ndlr), Mégane l’a monté, avec pas mal de succès d’ailleurs. Je l’ai acquis en fin d’année dernière, après Longines Equita Lyon et j’ai participé avec lui au concours d’Oliva, en Espagne, où il n’a fait presque que des sans-faute. Après la pause liée au Covid-19, nous avons doucement repris la compétition à Grimaud dans des épreuves à 1,35m car cela faisait évidemment plus de deux mois qu’il n’était pas allé en concours. Après cela, nous sommes allés à Gorla Minore, en Italie, où nous nous sommes classés dans le petit Grand Prix. Vendredi, dans l’épreuve à 1,50m, j’ai mal abordé le dernier obstacle, ce qui nous a mené à la faute. Samedi, alors que nous avions magnifiquement bien entamé le Grand Prix, j’ai mal tourné devant le numéro 8 et cela nous a également couté cher. La fin du parcours était assez difficile, mais je suis très content du cheval. Il est très respectueux, doté de beaucoup de moyens, bien dressé et un peu sensible, mais pour avoir monté beaucoup de bons chevaux dans ma vie, je peux affirmer que celui-ci fait partie des très bons. Je vais m’accrocher pour essayer d’atteindre le haut niveau avec lui.
Pouvez-vous nous parler des deux autres chevaux que vous avez évoqués?
James Bond du Bec est un fils de Diamant de Sémilly (et issu d’une mère par Grannus, ndlr). C’est un très bon cheval, bien que peut-être un peu moins qualiteux que les deux autres. J’ai également Monthy Python 25 (Hann, Monte Bellini x Friedenstraum), avec lequel j’ai terminé la saison dernière en CSI 3*, avec un sans-faute dans le Grand Prix d’Oliva. Il a ensuite été blessé et a repris la compétition dernièrement à Grimaud, puis à Gorla Minore, où il a également montré de bonnes choses. Ici à Deauville, il a écopé de quatre points le premier jour et a signé un sans-faute le deuxième jour. Dès la semaine prochaine, à Cluny, il recommencera à participer à des épreuves de niveau plus élevé.
Quels-sont vos objectifs pour les prochains mois et années à venir?
Je vais plutôt parler en mois! (rires) Mon objectif était de retrouver des chevaux capables de concourir à haut niveau et c’est chose faite, notamment avec Uhlan et Monty, qui pourront à mon avis participer à des CSI 4* et 5*. J’aimerais également parvenir à retrouver de bonnes sensations à cheval et à me sentir parfaitement à l’aise, ce qui n’est pas tout à fait le cas pour le moment. J’ai aussi pour objectif de terminer cette année en CSI 3* et 4* et de continuer à progresser l’an prochain avec les chevaux d’avenir sur lesquels je peux compter aujourd’hui. Je n’ai finalement pas d’autres objectifs que de me faire plaisir!
Vous avez la particularité d’exercer une profession extérieure au monde de l’équitation. Quel regard portez-vous sur les conséquences de la crise du Covid-19 sur l’économie?
Je pense que cette crise est le symptôme de tous nos excès et que nous avons été réellement pris au dépourvu. Nous vivons dans une société aseptisée qui n’accepte plus ni la mortalité, ni le risque, et nous n’y sommes pas du tout préparés, ce qui est assez paradoxal. Les gouvernements ont pris la mesure des dernières crises économiques de 2008 et de 2011 en soutenant beaucoup l’économie, notamment aux États-Unis et en Chine, mais l’Europe n’a pas été en reste! Je pense qu’il y aura tout de même beaucoup de dégâts et cela n’épargnera pas le monde équestre. Pour les cavaliers qui vivent des concours et du commerce, le monde ne sera plus tout à fait le même, ne serait-ce que parce que la saison indoor est largement compromise cette année. Le fait qu’il y ait moins de concours pourrait d’ailleurs avoir un impact sur le prix des chevaux, ainsi que sur les mouvements inter-continentaux. Sans vouloir dire que le monde d’avant était mieux, il y a tout de même de nos jours une dérive dans le domaine du “sport-business”. Il y a davantage de grands évènements auxquels il est de plus en plus difficile d’accéder, à moins d’être parmi les meilleurs mondiaux, ou de payer... Je pense que la FEI devrait être plus vigilante sur l’équité en ce qui concerne l’accès aux concours, mais je crains que l’on avance de manière inéluctable vers une sorte d'élitisme qui n’est pas bon pour le sport de manière générale.
À propos du système d’accession et notamment d’invitations aux concours qui fait débat actuellement, lorsque l’on écoute le discours d'une grande partie des organisateurs, on peut comprendre qu’il est difficile de trouver un modèle viable et qui profiterait à tout le monde…
En effet, c’est le serpent qui se mord la queue! L’organisation d’un concours coûte tellement cher pour une si courte durée qu’il est certain que ceux qui en sont à l’origine sont méritants. Ce que l’on vend aux amateurs pour les faire venir fait partie intégrante du business model des concours. L’équitation a toujours été un sport de riches et cela continue à l’être, mais je pense qu’il faut trouver un équilibre qui prenne aussi en compte le cahier des charges des organisateurs. Cela pourrait notamment passer par une remise en question du fonctionnement de la FEI. Je pense que nos instances fédérales et politiques ne sont pas assez modernes et innovantes dans la promotion du sport. Il y a de plus en plus de bons cavaliers, et de bons chevaux, et cela devient de plus en plus difficile de trouver un équilibre qui convienne à tous. C’est pour cela qu’il faudrait instaurer un système qui préserve l’équité sportive. Le Global Champions Tour, qui a le mérite d’être un beau circuit, représente pour moi l’antithèse du sport. Les quinze premiers mondiaux sont invités et tous les autres payent, cela devient compliqué... C’est pour cela qu’il ne faut pas laisser tomber les circuits Coupe du monde ou les Coupes des nations. C’est ce qui nous faisait rêver et nous motivait lorsque nous étions jeunes et il faut que la FEI encourage encore ces circuits et les aide pour ne pas laisser la place uniquement aux circuits qui s’articulent autour d’un business.