Si les Jeux olympiques de Tokyo avaient eu lieu en 2020, qui aurait pu détrôner Isabell Werth? Alain Francqueville se prête au jeu!

À la suite de la pandémie de Covid-19, les Jeux olympiques de Tokyo qui auraient dû se dérouler cet été ont été reportés à 2021. Et si nous tentions d’imaginer ce qu’ils auraient pu être à leur date initiale? Alain Francqueville, ancien sélectionneur et entraîneur de l’équipe de France de dressage, s’est prêté avec sérieux au jeu. Loin de vouloir être “madame Soleil” selon ses propres mots, il présente des indicateurs afin d’être réaliste sur le rapport de force actuel entre les nations, tout en insistant sur le fait que ce dernier est susceptible d’évoluer d’ici les Jeux.  



Quelles nations auraient été favorites pour les médailles par équipes? 

Pour moi, les nations favorites se trouvent forcément dans le classement mondial. Ce sont des nations fortes avec des couples classés haut. Le nouveau dispositif fait que ces nations fortes doivent l’être le jour-J puisqu’il n’est plus possible de compter sur le quatrième cavalier. Pour moi, il y a forcément l’Allemagne en tête. Derrière, sans ordre de classement, se trouvent le Royaume-Uni, le Danemark, les États-Unis, la Suède et les Pays-Bas.

Pour l’Allemagne, il est pratiquement sûr de les voir en tête puisqu’en regardant le classement mondial et les résultats depuis que les compétitions ont repris, ils sont bien placés. Actuellement, ils trustent les meilleures places. Sur les cent meilleurs chevaux, et c’est révélateur, vingt-cinq représentent l’Allemagne! Un quart des cent premiers du monde sont Allemands, et la moitié représente les nations fortes que j’évoquais, puisque sept pour le Danemark, dix pour la Grande-Bretagne, huit pour les États-Unis, onze pour la Suède et les Pays-Bas.

En prenant les dix meilleurs couples mondiaux, en 2014, il y en avait quatre pour l’Allemagne. Aujourd’hui, il y en a six. Les Pays-Bas en avaient trois, aujourd’hui ils en ont zéro. La Grande-Bretagne en a toujours un. La Suède en avait un, aujourd’hui zéro. Le Danemark en avait un, maintenant ils en ont trois. En six ans, les choses ont évolué. L’Allemagne est devenue une nation vraimen très forte. Il y a une conjonction de planètes qui fait qu'ils sont en tête. Isabell Werth est exceptionnelle car elle a cinq chevaux dans le top 30, donc elle a le choix si l’un va moins bien!

Je pense que les résultats des Jeux reflèteraient vraiment la puissance de ces nations dans le classement mondial. Contrairement au saut d’obstacles, il n’y a pas de bouleversements dans notre discipline. Les chevaux qui ont atteint des scores de 80%, soit ils sont blessés et ne participent pas, et s’ils ratent un mouvement, alors ils seront légèrement en-dessous de leurs points, à 78%.

Je m’appuie toujours sur ces éléments. Je crois beaucoup à ces chiffres, qui sont le pourcentage obtenu par les chevaux en Grand Prix dans la durée, et leur rang au classement mondial. C’est ce qui est révélateur des nations.

Quelles nations auraient été outsiders pour remporter une médaille?

La médaille d’or malheureusement est déjà pour l’Allemagne. Admettons qu’il est possible qu’un cheval se déferre en pleine épreuve et fasse reculer l’équipe dans le classement... Cela ne me paraît pas tellement concevable qu’une équipe arrive par surprise. L’outsider viendra forcément de ces nations fortes que j’évoquais précédemment.

Quelles nations auraient pu créer la surprise par équipes? 

S’il n’y avait pas eu ce virus, il y aurait eu l’Allemagne en tête, puis le Royaume-Uni ainsi que la Suède ou les États-Unis. Un peu plus loin, il y a les Pays-Bas et le Danemark. Nous aurions pu avoir la surprise de voir ces deux nations être plus qu’au meilleur de leur forme, et les autres légèrement en deçà, ce qui aurait pu donner un match serré pour la troisième place. La pression aurait aussi pu jouer et un incident peut arriver même aux meilleurs. Par exemple, j’ai vu Parzival être éliminé (à Lexington en 2010 lors des Jeux équestres équestre mondiaux, Adelinde Cornelissen n’avait pu finir sa reprise par équipes car l’alezan avait légèrement saigné de la bouche, ndlr) avant d’entrer en piste, alors qu’il était un sérieux concurrent pour une médaille individuelle, parce qu’il avait un peu de sang. Ce sont les règles et ce n’est absolument pas prévisible, même en faisant très attention.

Quelle nation aurait réalisé une contre-performance par équipes? 

De manière générale, cela peut arriver à cause d’un incident ou un cheval qui irait moins bien le jour-J. Ce serait étonnant pour les meilleurs chevaux, qui ont montré une solidité mentale. Il peut toujours arriver un problème vétérinaire ou de harnachement à la dernière minute. Si les nations les plus faibles y vont pour participer, les nations qui risquent de connaître une contre-performance sont celles qui ne sont pas loin des nations fortes mais qui ne sont pas assez solides globalement. C’est-à-dire les pays avec un cavalier solide, voire deux, mais pas toute l’équipe. Si ce cavalier-là connaît un problème, l’équipe recule énormément dans le classement. Je pense à l’Autriche, au Portugal ou la France. Par exemple, lors des Jeux olympiques de Hong Kong en 2008, nous avions trois chevaux qui réalisaient des reprises propres. Celui qui pouvait être le meilleur, Calimucho (aux rênes de Julia Chevanne, ndlr), était bien au début de la détente, mais pendant les cinq dernières minutes, il était redevenu un peu irrégulier. Sa reprise n’a pas été aussi bonne qu’espérée, et en terme de notation, il a été finalement le moins bon de l’équipe. Ce jour-là, s’il était passé un quart d’heure plus tôt, il aurait encore été en forme et nous aurions gagné une ou deux places dans le classement par équipes (l’équipe de France avait conclu à la sixième place par équipes, ndlr).



“Dorothée Schneider, Jessica von Bredow-Werndl et Cathrine Dufour sont des cavalières à l’affut”

La France aurait-elle réussi un top cinq par équipes? 

Cela me paraît difficile. Il faudrait avoir plus de chevaux avec des scores plus élevés. Aujourd’hui nous n’avons qu’un ou deux chevaux à plus de 75%. Ce week-end, il y a eu les championnats de France et le cheval d’Anne Sophie était bien, mais est-ce qu’il aurait eu ces points aux JO? Le problème est la nouveauté du troisième cavalier. Nous avons une idée du rapport de force entre les nations quatre ou cinq mois avant les Jeux. De très bons chevaux peuvent un problème de santé. Au contraire, certains chevaux peuvent mûrir et se révéler d’ici-là. Ceux qui grimpent rapidement dans le classement mondial doivent confirmer. Nous entrons dans une période de six mois où l’évolution des pourcentages obtenus par les couples et leurs résultats peuvent être significatifs. La photo que nous avons aujourd’hui n’est pas celle que nous aurons dans six mois.

Aurait-on pu voir un ou plusieurs couples français qualifiés pour la Reprise Libre en Musique? 

Il faudrait d’abord passer les premières étapes, et avoir deux cavaliers au départ du Grand Prix Spécial. Dans la Libre, je pense que nous pouvons voir un couple, mais deux… Ce serait bien, mais ce n’est pas fait!

Justement, quels cavaliers tricolores auraient pu prétendre à une sélection? 

Dans les couples solides aujourd’hui, il y a Morgan Barbançon Mestre avec Sir Donnerhall II OLD et Anne Sophie Serre (avec Actuelle de Massa, ndlr). Alexandre Ayache peut y arriver (avec Zo What, ndlr). Derrière, Il y a trois ou quatre chevaux qui peuvent y prétendre. J’ai trouvé que Nicole Favereau avec Ginsengue avait signé un bon championnat. Star Wars (avec Bertrand Liegard, ndlr) a été correct bien qu’il soit un peu fragile. Ultrablue de Massa n’était pas au départ puisqu’Arnaud Serre a accompagné sa belle-fille (Mathilde Juglaret, ndlr) aux championnats d’Europe Jeunes. Lights of Londonderry (avec Charlotte Chalvignac, ndlr) tourne aussi autour des 72%, mais il faut qu’il soit en bonne condition physique pour performer. Un peu plus loin, Amorak (avec Stephanie Brieussel, ndlr) a montré qu’il était encore un peu compliqué. Le choix de l’entraîneur devrait être relativement simple, avec deux couples solides, même s’il faut en trouver deux ou trois autres pour faire face en cas de problème. J’avais connu ce cas lors du stage de préparation à Aix-la-Chapelle pour les Jeux de Hong Kong en 2008. La jument de Karen Tebar (Falada M, ndlr) avait eu un problème et nous avons préféré ne pas prendre le risque de lui faire faire le voyage. C’est ainsi que Marc Boblet a fini dans l’équipe, alors qu’il avait peu concouru avec son cheval (Whitni Star, ndlr)!

Quels couples auraient pu détrôner Isabell Werth en individuel selon vous? 

Il est vrai qu’elle peut avoir un problème de dernière minute avec son cheval, mais je ne pense pas qu’elle sera moins performante le jour-J. Si c’était le cas, il y a deux cavalières allemandes qui sont très proches : Dorothée Schneider avec Showtime FRH et Jessica von Bredow-Werndl avec TSF Dalera BB. Un petit peu plus loin, mais sait-on jamais, il peut y avoir Cathrine Dufour et Atterupgaards Cassidy. Ce sont des cavalières à l’affut. Charlotte Dujardin peut être l'outsider. Si ces couples sont au-dessus de leurs possibilités, ce qui est rare mais peut arriver, il n’y a pas des marges si extraordinaires que ça. Cela dépendra aussi des juges. La notation est assez honnête et transparente, surtout maintenant avec le nombre de juges placés autour du rectangle, le fait qu’ils soient de différentes nationalités, qu'il y ait des superviseurs… Il n’y a plus d’écarts aussi importants qu’autrefois entre les différents juges. 

Quels couples se seraient révélés dans la Reprise Libre en Musique?

Les meilleurs seront au départ de la RLM, et ils auront déjà été vus et les notes techniques sont déjà là. La surprise peut arriver sur l’enchaînement des figures avec une reprise bien conçue. Cela peut permettre au cavalier de gagner des points, non pas par la technique, mais par la chorégraphie, le degré de difficulté de la reprise et l’accompagnement musical. Nous avons vu tellement de difficultés que cela va être dur! C’est néanmoins possible et je me rappelle notamment de l’Espagnol Juan Manuel Muñoz Diaz avec Fuego (aux Jeux équestres mondiaux de Lexington en 2010, le couple avait fait sensation avec une reprise au son d’une musique espagnole, ndlr). Cela permet de gagner quelques places, mais le dernier ne finira pas premier! Dans les Reprises Libres en Musique, il faut d’abord être bon techniquement, puis il y a tout un travail sur la conception et des critères à respecter. C’est devenu très professionnel. Tout le monde se rappelle encore des reprises d’Anky van Grunsven, de Charlotte Dujardin aux Jeux de Londres, avec le son de Big Ben, ou encore Edward Gal qui avait une musique pour sa pirouette et une cloche qui sonnait aussi de manière parfaitement synchronisée, c’était extraordinaire! Les meilleurs du monde arrivent à faire ce que font les chorégraphes dans un ballet d’opéra. À travers ces reprises, nous voyons à quel point la discipline du dressage a progressé ces vingt-cinq dernières années.