Pour Marie-Christine Duroy de Laurière, tout a commencé avec Harley, un crack au physique atypique
Qu'ils collectionnent les honneurs ou multiplient les victoires, chaque champion garde en tête le souvenir d'un cheval qui, à défaut d'avoir marqué leur carrière avec un titre ou les esprits, a joué un rôle dans leur chemin vers le succès. Dernièrement, Grégory Whatelet s’est confié à GRANDPRIX sur les prémices de sa carrière avec Miss Mary, une trotteuse pour le moins particulière. Cette semaine, Marie-Christine Duroy de Laurière, ancienne cavalière de concours complet aux nombreuses victoires, a accepté de revenir sur ses débuts aux côtés d’Harley, le cheval qui lui a permis de faire ses gammes à haut niveau. Né d’un heureux hasard, le couple a participé aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1984, puis de Séoul en 1988 et contribué aux médailles d’argent de l’équipe de France remportées aux championnats d’Europe de Burghley en 1985 ainsi qu’au championnats du Monde de Gawler, en Australie l’année suivante.
Quel cheval a marqué vos débuts en tant que cavalière?
Il s’appelait Harley et son histoire est un petit peu particulière. Son père était un Anglo-Arabe qui appartenait à mon ex-beau-père, le Docteur Duroy. Il a produit très peu de poulains mais tous ont été des cracks! Harley est donc né près de chez moi et vivait dans le centre-équestre que je fréquentais, où il était monté par un moniteur. Lorsque celui-ci est parti, j’ai proposé au propriétaire d’Harley de me le confier car je soupçonnais une complicité entre nous. Il avait alors déjà sept ou huit ans. C’était un cheval très gentil mais extrêmement délicat et qui ne supportait pas la contrainte. Comme je montais beaucoup au ressenti, nous sommes rapidement bien entendus et un an plus tard, nous participions à notre première compétition internationale.
C’était un petit cheval alezan au physique peu conventionnel car il était panard des antérieurs. Nous étions au début des années 1980 et la fédération avait mis en place un système de location de chevaux qui assurait aux propriétaires un montant prédéfini de gains par année. Pour accéder à cela, il fallait faire passer une visite vétérinaire aux chevaux. Harley a donc passé un examen complet qui s’est avéré très positif à l’exception de ses aplombs. Le vétérinaire émettait une immense réserve sur le fait qu’ils soient panards et les jugeait donc très fragiles. Pourtant, il est resté sept ans à haut niveau sans jamais avoir de problème tendineux…
La mère d’Harley était une trotteuse qui appartenait au facteur du village. Le Trotteur français était à l’époque considéré comme une race améliorative car elle transmettait un très bon mental et dans de nombreux cas, un coup de génie qui, en une petite foulée de trot, pouvait nous sauver la mise lorsque l’on abordait les obstacles de trop près. Il est beaucoup moins courant de voir du sang de Trotteur dans les lignées des chevaux de sport de nos jours. Ces chevaux sont davantage considérés comme des chevaux de loisirs et de balade. Ils ont pourtant du sang et c’est ce qui est aujourd’hui recherché en concours complet, mais aussi en concours hippique. Je ne suis plus assez dans le coup pour savoir ce qui est attendu des chevaux maintenant, mais je sais c’est qu’à mon époque, cette race transmettait de l’intelligence et un bon geste des antérieurs.
En quoi ce cheval a-t-il eu un impact sur votre carrière?
Quand j’ai commencé à monter Harley, mon équitation était loin d’être irréprochable. J’avais un bon niveau régional, voire national, mais à un certain moment, on m’a fait comprendre qu’il fallait que je commence à affiner mon équitation. Je n’avais aucune appréhension de la vitesse, ni des obstacles. Parfois, on entendait même dire : “j’ai fait une Duroy”, ce qui signifiait que l’on avait sauté quatre mètres avant l’obstacle. Les gens me croyaient folle, mais j’avais un bon cheval, tout simplement. J’ai donc passé six mois à essayer de m’améliorer, six mois au cours desquels Harley a été un peu déstabilisé. Mais après cela, il avait une telle confiance en moi que nous sommes parvenus à une osmose totale, ce qui nous a permis de devenir réellement compétitifs.
Comment êtes-vous parvenue à vous faire une place à haut niveau avec lui?
À cette époque, très peu de femmes montaient à cheval. J’étais la seule à intégrer l’équipe de France, alors je me suis dit qu’il fallait que je trouve un moyen de me démarquer des autres. Harley sautait déjà très bien dans les tests de cross et de saut d’obstacles, il n’y avait qu’en dressage que cela pouvait pécher. Comme j’allais souvent en stage à l’École nationale de Saumur, je me suis mise à y observer les écuyers du Cadre Noir. Un jour, j’ai rencontré Tristan Chambry, qui était d’une extrême rigueur et avait une façon de travailler qui me convenait. Je l’ai pris comme entraîneur de dressage en cachette, dans le dos de Jean-Paul Bardinet (l’entraîneur de l’équipe de France de concours complet à l’époque, ndlr), envers qui j’ai une reconnaissance sans borne, mais qui n’aimait pas partager. Nous avons donc travaillé ensemble en douce et il m’a aidé à faire progresser le cheval. Ma manière de fonctionner consistait à travailler beaucoup à la maison pour arriver en concours et n’avoir à utiliser ni la force, ni la contrainte, ni l’usure. Mon père, cavalier également, avait passé son instructorat, mais il n’était pas un professionnel de l’équitation. Toutefois, il m’a enseigné l’importance d’une “bonne main” et du respect de la bouche du cheval, ce qui est toujours resté mon mot d’ordre.
A-t-il eu une influence sur votre vision de l’équitation?
Probablement, car il m’a fait comprendre que si je travaillais, je pouvais être aussi bonne que les autres. Il m’a également appris à ne pas abandonner mes objectifs et à me battre en tant que femme pour faire partie des sélections. Pendant des années, j’ai entendu dire : “C’est facile pour elle car elle a un bon cheval”. C’est vrai! Je n’étais pas plus stupide que les autres et je me suis tout de même aperçue qu’il était plus facile d’y arriver avec un bon cheval qu’avec un mauvais. Effectivement, j’avais un bon cheval, mais par la suite, j’en ai trouvé six ou sept autres que j’ai tous formés moi-même jusqu’à les emmener au plus haut-niveau. Inconsciemment, avec Harley, j’ai mis la barre haute pour les chevaux qui ont suivi…
Qu’est-il devenu?
Après les Jeux olympiques de Séoul, son propriétaire a voulu le récupérer pour faire de la promenade, mais Harley ne l’a pas supporté. Au bout de deux mois, il m’appelait pour l’aider à attraper son cheval dans le pré parce qu’il n’y arrivait plus, ce que j’ai réussi en quelques minutes. C’était la récompense ultime après tant d’années de complicité.