“J'entraînerai des cavaliers jusqu'à la fin de ma vie”, Nelson Pessoa

Les 14 et 15 septembre prochains, Nelson Pessoa endossera pour quelques heures l'habit de marchand de chevaux, à l'occasion d'une vente aux enchères en ligne qu'il organisera afin de se séparer de prometteurs chevaux qu'il a lui-même fait naître. Ancien illustre cavalier de saut d'obstacles, le “sorcier brésilien“, entend plutôt se concentrer sur sa qualité d'entraîneur auprès de l'équipe australienne de concours complet, qui fait bien des jaloux! Et s'il fêtera ses quatre-vingt-cinq ans le 16 décembre prochain, le Brésilien, rencontré dans le cadre du Longines Deauville Classic, a encore la passion, la vivacité, l'humour et l'esprit critique d'un gamin de vingt ans. 



© Collection privée

Comment allez-vous et comment avez-vous vécu ces derniers mois un peu particuliers à cause du Covid-19?

Je me porte très bien en ce moment, même si le monde va plutôt mal... Nous traversons une période horrible et on se demande tous comment nous allons sortir de cette crise. J'étais confiné en Europe, puisque j'habite depuis plusieurs années en Belgique.

Vous allez organiser une vente de chevaux en ligne mi-septembre. Pouvez-vous nous raconter un peu l’histoire de cette vente?

Quelques années après avoir arrêté ma carrière de cavalier de haut niveau, j'ai créé un petit élevage pour m'occuper. Je ne montais plus, et je ne vends pas de chevaux, et même si j'entraîne des cavaliers, il fallait bien que je trouve quelque chose car j'avais beaucoup de temps libre! Voici maintenant quatre ans, j’ai réuni un groupe de personnes afin qu’elles investissent dans mon élevage. L’objectif étant de vendre 50 % de mon effectif afin de sécuriser l’ensemble de mon élevage, de garder ces chevaux au travail pendant quatre ans, de les amener au meilleur de leurs possibilités et de les commercialiser à l’issue du projet. En temps normal, j'aurais sûrement vendu ces derniers pendant des concours ou des événements, mais avec le Covid-19, tout est devenu plus compliqué. Les seuls concours qui sont actuellement maintenus sont accessibles pour ceux qui peuvent ou veulent bien payer des tables, donc nous avons plutôt décidé d'organiser une vente aux enchères en ligne. Ce que je n'avais jamais fait auparavant. Heureusement que j'ai des amis qui peuvent s'occuper de ça et m'aider! (Rires) Ce sera la première et dernière vente que j'organiserai, à mon avis!

Parmi les chevaux proposés, certains vous ont-ils séduit plus que d'autres?

Déjà, j'ai eu le bonheur d'avoir pu vivre cette aventure avec des partenaires et des amis américains et européens, et la chance d'avoir pu acquérir de très bons chevaux quand j'ai fondé cet élevage, dont Pandora, la toute première poulinière (qui a évolué à haut niveau avec le Belge Patrick Masset avant d'être vouée à l'élevage, ndlr), une fille de Kannan. Parmi les produits à la vente, qui descendent quasiment tous de la même souche et sont tous de prometteurs chevaux de sport, deux étalons sortent vraiment du lot. L'un d'eux, Ze Carioca, est stationné aux États-Unis, chez Rodrigo (Pessoa, son fils, illustre champion de la discipline, ndlr), et nous pensons qu'il a toutes les capacités pour réaliser de grandes choses. Il a neuf ans. L'autre est un peu plus jeune (six ans). C'est un fils de London, superbe étalon qui a brillé aux Jeux olympiques de Londres en 2012, nommé El London King (retrouvez une vidéo ici). Il a vraiment hérité de la qualité de son père! S'il tombe dans de bonnes mains, il sera aux Jeux olympiques de Paris en 2024. Ce timing est plutôt idéal car la plupart des chevaux arrive désormais à l'âge commercial parfait. 

Le grand public vous connaît très bien en tant que cavalier et maître de l’équitation, un peu moins comme éleveur, et surtout comme marchand de chevaux. Quel regard portez-vous sur ces deux activités?

Déjà, il faut dire que je déteste le commerce de chevaux, donc je ne le pratique pas! (Rires) Je suis le pire marchand qui puisse exister. Cela m'est arrivé de vendre des chevaux lorsque j'étais encore cavalier car c'était le moment ou parce que le propriétaire souhaitait s'en séparer, mais je n'ai jamais eu la fibre commerciale. Je n'ai jamais acheté un cheval pour le revendre par exemple. Moi, j'aimais monter, préparer, entraîner, et ce ne sont pas forcément des caractéristiques qu'un marchand doit avoir. Celui-ci doit savoir amener rapidement un cheval à son meilleur niveau et calculer le bon moment pour le vendre. Quand il gagne une grande épreuve, la première chose qu'il fait, c'est de discuter en sortie de piste avec des potentiels clients. Moi, je savais pas faire ça. Pour autant, c'est un métier essentiel à notre secteur. Je ne suis pas contre, mais ce n'est mon truc! Ma plus grande passion aujourd'hui, c'est d'entraîner. J'ai accumulé beaucoup d'expérience et je travaille actuellement auprès de l'équipe australienne de concours complet. Je coache également un cavalier brésilien, qui est un grand champion et qui a de grandes chances de se révéler aux Jeux olympiques de Tokyo, s'ils auront bien lieu l'année prochaine... J'adore cette activité, et je peux dire que j'entraînerai des cavaliers jusqu'à la fin de ma vie!

© Timothée Taupin



“Je crois qu'il doit y avoir une erreur dans mon passeport... C'est écrit que j'ai quatre-vingt-cinq ans, mais je ne me sens pas aussi vieux!”

Depuis 2017, vous êtes entraîneur de l’équipe australienne de concours complet pour le côté saut d’obstacles. Qu’est-ce qui vous plaît dans cette expérience, et comment abordez-vous les Jeux olympiques de Tokyo avec cette grande nation?

Nous abordons les Jeux de Tokyo avec sérénité car nous sommes vraiment dans une bonne dynamique et cette nation est l'une des meilleures de la discipline. Il y a des cavaliers vraiment extraordinaires, et j'ai retrouvé chez les Australiens une mentalité incroyable et des gens formidables. Si un jour vous allez en Australie, vous ne reviendrez plus! Ce sont vraiment des gens adorables. Je travaille avec eux depuis trois ans et j'ai déjà noué une vraie amitié avec beaucoup d'entre eux. La Fédération a fixé un objectif ambitieux de décrocher trois médailles à Tokyo, et franchement, c'est totalement possible. Bien sûr, il y a de la concurrence en face, entre la Nouvelle-Zélande, l'Angleterre, le Japon, l'Allemagne et la France, mais nous sommes bien préparés. Le concours complet est quasiment le sport national de l'Australie, et fait partie de la culture du pays, comme le rugby. 

Pourquoi vous être investi dans le concours complet pas en saut d’obstacles? Les propositions n’ont pas dû manquer!

Travailler dans le concours complet est une activité plus reposante car il n'y a pas des concours tous les week-ends non-stop, contrairement au saut d'obstacles. En jumping aujourd'hui, les concours rendent les cavaliers complètement esclaves... Le système avec le classement mondial fait que les cavaliers se sentent obligés d'aller en concours sous peine de descendre dans le classement. C'est incroyable, ils ne passent quasiment plus un seul jour aux écuries ou chez eux! Pour être un cavalier de haut niveau aujourd'hui, il faut avoir une santé de fer, une mentalité très forte et spéciale pour supporter cette pression et ce rythme de vie. Les événements se sont vraiment développés et tant mieux, mais compter désormais cinquante-deux semaines de concours par an, c'est beaucoup trop... Et évidemment, les entraîneurs doivent les suivre. Donc j'ai préféré le complet!

Vous allez fêter vos quatre-vingt-cinq ans cet hiver. À quoi aspirez-vous désormais? 

Mon rôle auprès de l'équipe australienne est évidemment mon activité principale. Si nous arrivons à décrocher trois médailles à Tokyo, peut-être qu'ils viendront bien me conserver, ce que j'espère parce que je veux vraiment continuer de travailler avec eux. J'ai également d'autres jeunes élèves, qui ont entre vingt-trois et vingt-cinq ans. Mais honnêtement, je crois qu'il doit y avoir une erreur dans mon passeport... C'est écrit que j'ai quatre-vingt-cinq ans, mais je ne me sens pas aussi vieux! (Rires) J'ai l'impression d'avoir encore trente ans et qu'hier encore je montais un Grand Prix! Je me sens encore très jeune dans ma tête.

Le monde actuel est rempli d’incertitudes, de violence et d’incompréhensions, et fait face à de nombreux défis. Quel regard portez-vous sur l’actualité?

Ce Covid-19 a créé un sacré séisme dans le monde, s'il faut rester poli. Dans la politique, dans la santé, dans le sport, dans la vie... C'est une pagaille générale, et nous allons bien voir qui va survivre. Même dans le monde scientifique, qui est censé nous éclairer pendant cette période, plus personne ne s'entend plus et tout le monde raconte n'importe quoi! Certains pays annoncent avoir trouvé un vaccin sans aucune preuve, d'autres disent qu'avec une seule piqûre nous serions prêts à courir un marathon... C'est devenu n'importe quoi. J'ai l'impression que dans le monde actuel, plus personne n'est capable de créer le moindre projet de société ; tout le monde survit. Ce moment est encore pire que la guerre ; quand c'est la guerre, vous connaissez l'identité de votre ennemi. Aujourd'hui, l'ennemi peut être n'importe qui, y compris votre ami ou partenaire. Je n'écoute même plus la télévision car il n'y a que des mauvaises nouvelles! Je pense que cette crise va engendrer des sérieuses conséquences dans la société, et je me demande qui va réussir à s'en sortir.



Plus de détails sur la vente...

Outre Ze Carioca (Canturo x Kannan) et El London King (Glock's London x Kannan), les potentiels acheteurs de cette vente, programmée les 14 et 15 septembre, pourront aussi retrouver Cornetina, une pouliche de trois ans par Cornet Obolensky, fille de Divine Sensation qui est la sœur des deux champions précédemment cités, Cornetino (Cornet Obolensky x Kannan), ou encore Tinkabell, jument de quinze ans qui a accompagné Rodrigo Pessoa sur des épreuves à 1,60m, qui sera suitée d’un poulain de l’année par Ze Carioca. Citons encore Bella Baloubette (Baloubet du Rouet x Chellano Z), Eleonore (Kannan x Quick Star), Ginseng de la Bonnette (Malito de Rêve x Totoche du Banney) et Jigaro C (Figaro de la Vie x Heartbreaker) qui sont des juments et hongres âgés de six à onze ans et prêts pour la compétition. Ces derniers viennent compléter le catalogue, composé d'autres jeunes poulains mais aussi d'une jument porteuse gestante d’un embryon d'Untouchable.

La vente aux enchères sera à suivre ici